Pour la première fois depuis la naissance de Lallab, toutes les bénévoles, anciennes et nouvelles, ont dû participer à un parcours de formation, qui s’est déroulé pendant les mois d’octobre et novembre. Une ancienne Lalla nous raconte les temps forts qui l’ont marquée tout au long de ce parcours.
Le 1er octobre, je suis arrivée au Lallab Day comme une ancienne. Le visage souriant et le regard rassurant, prête à accueillir les nouvelles et à leur expliquer le fonctionnement de l’association.
En les observant, je me suis revue, il y a deux ans, débarquant dans cet espace décoré de petits drapeaux jaunes, parmi ces femmes toutes différentes. Toutes les couleurs de peau, toutes les textures de cheveux, toutes les façons de porter le voile, tous les âges, tous les styles vestimentaires étaient représentés. Une complicité se créait simplement par le croisement de nos regards, sans avoir besoin d’échanger de mots.
En réalité, on reste toujours une nouvelle, j’en ai pris conscience pendant le parcours de formation de cette année. Les moments collectifs d’émotions et de découvertes sont tout aussi intenses même après plusieurs années de militantisme, comme si on les vivait pour la première fois.
Il y a les instants de déclics, lorsqu’une intervenante formule un discours clair et logique sur un ressenti commun, sur lequel on n’a jamais réussi à poser de mots. Ce fut le cas par exemple lorsque Hanane Karimi, sociologue, expliqua comment l’islamophobie subie par les femmes musulmanes profitait à certains hommes musulmans. Elle faisait alors référence aux associations religieuses, conscientes des discriminations subies par les femmes musulmanes sur le marché du travail, qui en profitent pour les rémunérer à de très bas salaires (cela fera l’objet d’un prochain article).
D’autres interventions ont été l’occasion de questionner nos discours militants. Leïla Alaouf s’est notamment exprimée sur un effet indirect de l’obsession autour du voile : l’impossibilité d’avoir une conversation apaisée sur le dévoilement. Notre réaction spontanée, face à la stigmatisation du voile, consiste en effet à combattre ces clichés et à rappeler que la grande majorité des femmes qui portent le foulard ont choisi de le faire. L’une des limites de ce discours est qu’il rend peu audible la parole d’une personne qui aurait décidé de retirer son voile après avoir réalisé qu’elle le portait pour de mauvaises raisons, une personne dont le témoignage est tout aussi nécessaire et important.
C’est le cas de Leïla Alaouf, qui a clôturé son intervention par la lecture d’un texte relatant ses interrogations sur sa décision, alors qu’elle venait d’avoir ses règles, de porter le foulard : “Je me suis souvent demandée, j’ai souvent été aussi questionnée, sur ce qui pousse une petite fille de onze ans à porter un foulard ou à prendre n’importe quelle autre décision qui touche à son intégrité physique, sans jamais avoir été verbalement contrainte à le faire. (…) Cette injonction s’est activée avec la puberté, comme un automatisme. D’ailleurs, je ne sais plus comment cette certitude s’est ancrée si naturellement en moi, je n’en ai aucun souvenir. Je ne me remémore pas une parole ou un moment qui aurait fait germer cet engagement et je crois que c’est ce qui fait vraiment le plus peur. Avec la puberté on se couvre. (…) Alors j’ai passé ces dix dernières années à me demander : comment se construisent les choix d’une petite fille ?”
D’autres temps forts du parcours de bénévole furent les moments de rencontre et de discussion entre Lallas. Ces instants étaient parfois silencieux, comme lorsque nous dûmes nous arrêter devant une personne au hasard et la regarder dans les yeux pendant une minute, un exercice pratiqué lors du Lallab Day pour faire connaissance. Beaucoup de larmes ont été versées lors de ces face-à-face durant lesquels nous avions l’impression d’accéder à l’intériorité de l’autre.
Nombre d’entre nous ont aussi été marquées par les groupes de parole. Dans la salle de sieste, matelas par terre, coussins contre les murs, le temps était comme suspendu. Il y a eu quelques hésitations avant la première prise de parole, puis chacune s’est lancée, rebondissant sur les remarques des autres, enchaînant sur d’autres sujets. Un doudou faisait office de bâton de parole et circulait de mains en mains.
Des expériences douloureuses ont pu être racontées dans cet espace, où chacune se sentait en sécurité. Certaines en parlaient pour la première fois. Dans mon groupe de parole, beaucoup se sont exprimées sur les oppressions perpétrées par des personnes musulmanes : au sein de leur famille, de leur couple, de leur mosquée (cette problématique, dont Lallab a décidé de faire l’une de ses priorités, sera explorée plus en détail dans le magazine dans les mois à venir).
Je me rends compte que ces histoires sont à la fois différentes et toutes les mêmes. Sans ces groupes de parole, nous n’aurions pas pu nous rendre compte des similitudes que dessinent nos récits.
Je me rends compte, aussi, qu’on ne devient pas Lalla par hasard. Il y a souvent, à l’origine de nos engagements, une multitude de traumatismes et d’humiliations qui nous conduisent à devenir des féministes antiracistes, non par choix, mais par nécessité, dans l’urgence. A cause de la société raciste et sexiste dans laquelle nous vivons, qui nous expose aux violences à la fois des hommes blancs, des hommes musulmans et des femmes blanches, qui veulent contrôler nos corps et nos vies.
Je me suis souvent fait la réflexion que le mot “communauté”, employé à tort et à travers dans les médias, n’avait pas de sens. En réalité, c’est la façon dont la société nous pointe du doigt et nous stigmatise, qui crée la communauté. La communauté des femmes musulmanes existe, qu’on le veuille ou non, car il existe des oppressions qu’elles sont les seules à vivre. A nous de décider ensuite du destin de cette communauté.
A Lallab, nous avons choisi de transformer les expériences douloureuses qui nous unissent en joie et en amitiés. Nous chantons, dansons, nous nous applaudissons et nous nous célébrons les unes les autres ! C’est de là que nous puisons notre force, qui nous permet ensuite de changer le monde.
Crédit photos : @dalal.tmr