Il y a un mois, la France a vécu des évènements tragiques qui nous ont tou.te.s touché.e.s. Les traitements médiatiques de ces attaques terroristes, au vu des éléments d’enquête et des revendications qui rapprochent nécessairement ces méfaits de la religion musulmane, laissent parfois place à d’importants glissements et dérapages dans les débats télévisés notamment, qui nous rappellent ô combien les musulman.e.s sont loin d’être épargnés par la stigmatisation, et surtout dans quelle mesure cela va en s’empirant.
La première partie du Top 7, c’est ici.
4. « Je regrette de ne pas avoir vu les musulmans de France à la marche en hommage à Samuel Paty » Julien Paquet, le 19/10 sur Cnews
Pour contraster avec ce propos désolant et désolé de Chalghoumi, parlons de la remarque de Julien Paquet, et, nécessairement, de la pertinence de la réponse de l’islamologue Ghaleb Bencheikh.
Le journaliste, clamant avoir participé à cette marche, déplore l’absence des musulman.e.s. Il a manqué de dire « on ne va pas se mentir…» ils sont par essence visibles… bah oui, parlons franchement… « Vous cherchez à me mettre en difficulté » a-t-il dit. Mais pas du tout cher monsieur. Vous le faites très bien tout seul.
Toujours dans cette démarche d’appel aux musulman.e.s à se démarquer, à les observer tout particulièrement dans ce moment de deuil collectif, le journaliste déclare que les « musulmans de France » n’étaient pas dans la rue, et pour cause ; nous avons une source très fiable qui est, tenez-vous bien : son observation à échelle personnelle et subjective de la foule pendant qu’il a pu y assister. Un journaliste d’investigation qui ne manque visiblement jamais à son métier.
Des musulman.e.s qui doivent se faire tout petits toute l’année, dont la présence dans l’espace public est souvent mise en cause, dont la parole est souvent tue dans le débat public, dont les moindres faits et gestes sont scrutés toute l’année et peuvent même mener à des dénonciations, et que l’on a depuis peu accusé.e.s de séparatisme, doivent maintenant être visibles… en tant que musulman.e.s. Qu’est donc un.e musulman.e visuel.l.e? Un.e musulman.e au premier abord ? Si la confession pouvait se deviner à l’apparence, la laïcité n’aurait absolument aucun intérêt à exister en France. Ce cher journaliste nous apprend non seulement que les musulman.e.s sont identifiables extérieurement, mais en plus qu’ils n’étaient pas présents à cet hommage national selon lui, moment de recueillement et d’hommage, laissant ainsi transparaître cette injonction à la désolidarisation, créant ainsi presque une ambiance de traque.
En relevant le paradoxe de cette double injonction à se fondre dans la masse mais en même temps à être présent en tant que musulman, Ghaleb Bencheikh a réussi à mettre en avant la preuve que la marginalisation des musulman.e.s est systématique dans les médias et se fait en tout plan. Les musulman.e.s doivent être visibles oui ou non ? Sinon ils ne doivent l’être que suite à un attentat de type islamiste ? Encore une fois pour clamer leur innocence, leur désolidarisation, ou simplement pour se joindre au recueillement de tous les autres françai.se.s ? Ce qu’ils sont !
Les musulmans sont ainsi différenciés des autres françai.se.s encore une fois. A se demander franchement d’où vient en réalité le séparatisme. Ce que j’aimerais particulièrement souligner ici, c’est que, non seulement « ils » étaient là, mais ils ont en plus même pu avoir le privilège de se faire insulter.
Mais finalement je pense comprendre d’où vient cette confusion, la raison pour laquelle ils/elles doivent être si visibles dans l’espace public… Apparemment, les musulman.e.s seraient de plus en plus nombreux…
5. Les musulman.e.s sont des françai.se.s… qui « font plus d’enfants que les autres » et « pratiquent une religion qui parfois a des dérapages insupportables » Jean-Claude Dassier sur Cnews le 05/10
C’est vrai qu’en termes de dérapages, Jean-Claude doit savoir de quoi il parle.
Les musulman.e.s, la communauté musulmane. Encore ce bloc homogène. Présenté comme un groupe dont la fertilité supposée pose problème en plus. « Ils », «La communauté musulmane » versus « On » ; « Nous » « La nôtre». De belles oppositions bien claires qui en disent long sur le côté duquel se trouve réellement ledit séparatisme.
Ce monsieur partage une information intéressante. Les musulman.e.s feraient plus d’enfants que les autres. « La communauté musulmane » est clairement désignée, face à un « nous » assez évasif. On apprend que la fertilité des musulman.e.s correspondrait à « 3 enfants et demis quand on en fait à peine deux. » Ce chiffre a-t-il une source ?
En effet, bien que légèrement erroné sur le chemin, il semble tiré d’une enquête Pew Research Center qui a été relayée en France par des journaux orientés et classés comme étant de droite, s’intéressant au nombre de musulmans en Europe dans les années à venir, utilisant notamment des « indices de fécondité ». Gardons en tête qu’il est question d’une enquête sociologique qui comme toute autre, a ses intérêts et ses limites, et porte nécessairement certains biais, comme le montre la sociologue Agnès de Feo (Slate). Cela de côté, il s’agit moins de savoir à quel point ce chiffre pourrait se rapprocher de la réalité que de constater qu’il est utilisé une nouvelle fois pour diaboliser les musulman.e.s. Jean-Claude Dassier présente cela comme un réel problème, et à Laurence Ferrari qui rappelle que ces musulman.e.s sont françai.se.s au même titre que les autres, il répond qu’il s’agit de françai.se.s certes mais qui « pratiquent une religion qui parfois a des dérapages insupportables ». Incessamment ramené.e.s à leur religion, les françai.se.s musulman.e.s seraient donc une menace potentielle, leur religion étant intrinsèquement problématique ; prêt.e.s à devenir dangereu.x.ses à tout moment, en plus d’être des françai.se.s essentiellement différents des autres. Alors disons-le, une religion de 14 siècles n’a pas de « dérapages »… on fait des dérapages en moto, on en fait sur le plateau de Cnews, mais là le terme n’est absolument pas approprié. Ne minimisons pas le fait religieux et son immensité à des considérations irréfléchies : une religion est traversée par toutes sortes de dynamiques, de subdivisions, d’influences ; elle s’observe à la lumière de sciences humaines telles que l’histoire, la théologie, la philosophie, même la littérature et l’art… mais certainement pas à la lumière de Jean-Claude Dassier.
6. « On peut parler d’attentat terroriste déjà, ou pas ?» Jean-Pierre Pernaut. Réponse de Georges Brenier : « Aucun témoin ne parle pour le moment d’un éventuel AllahuAkbar », Journal de 13 h sur TF1 du 25/09
Ah, le fameux « cri Allahu Akbar ». Bientôt, les journalistes le prononceront tellement bien que j’ai parfois peur de me surprendre à croire que c’est l’heure du Asr.
Petit retour en septembre. Ici il ne s’agira pas nécessairement d’un énorme dérapage ahurissant comme nous avons pu en citer depuis tout à l’heure, la dimension islamophobe n’est pas la même, elle n’est pas revendiquée et ne semble même pas consciente. De fait, le lien avec les musulman.e.s est sensible et on peut même penser qu’il n’est pas du tout flagrant.
Mais c’est un mécanisme médiatique sur lequel il est important que l’on se penche. Levons d’abord toute concession : oui, le terrorisme à idéologie islamiste est celui qui a frappé la France récemment. C’était clairement le cas de l’attentat contre Samuel Paty. Cela n’empêche en rien le fait qu’à travers cette vidéo nous assistons :
– à la démonstration d’une énième contribution à ce triste glissement sémantique : « Allahu Akbar » change de sens;
– à une dangereuse réduction de la définition que l’on donne au terrorisme.
En effet, à observer la réponse du journaliste, non seulement l’idéologie terroriste islamiste serait la seule forme de terrorisme possible, et surtout, c’est le cri « Allahou Akbar » qui détermine si l’attaque est de type terroriste ou non. Le glissement sémantique de ce mot si important semble ainsi s’appuyer sur ces qualifications médiatiques depuis maintenant plusieurs années. Le problème ici est le suivant : ce mécanisme tend à occulter le fait que le terrorisme, dans sa définition générale, peut bien évidemment être autre qu’islamiste.
Cela nous rappelle par ailleurs que des actes de même nature, lorsqu’ils sont perpétrés par des personnes ne présentant aucun lien avec l’islam (ni l’immigration, car c’est également inclus dans ce raccourci), des personnes blanches par exemple, la qualification « terroriste » est rarissime voire impossible. Ce qui mène par exemple à des qualifications telles que :
« bon voisin mais adepte du nazisme »(Le Dauphiné)
« Rallié aux idées fascisantes, [il] était d’abord perturbé par des problèmes psychiatriques. » « Itinéraire d’un garçon paumé » (L’humanité) [A propos de Fabien Badaroux, auteur d’une agression à Avignon le 29 octobre 2020]
Le facteur psychologique n’entre quasiment jamais en compte dans le cas de terroristes non-blanc.he.s et/ou se réclamant de l’islam, et dans la foulée, ces méfaits, relevant pourtant du terrorisme, ne sont pas qualifiés comme tel.
(Edit : je profite de ce meme assez connu pour faire une petite remarque : je me suis rendue compte qu’il apparaissait, presque à l’identique, dans un article de Lallab datant de 2017, qui relève les mêmes types de propos et problématiques que nous relevons actuellement mais il y a 3 ans…)
Au-delà du fait que, par ce rapprochement, la définition du terrorisme ne soit restreinte qu’à son option religieuse, rappelons-nous du sens premier des paroles « Allahu akbar ». Des paroles qui sont pour les musulman.e.s des paroles spirituelles et fédératrices, annonçant la grandeur et la transcendance de Dieu, et notamment l’entrée dans la prière, qui deviennent ainsi, pour tout le monde, le signal qui annoncera dans le même coup lorsqu’un attentat terroriste a lieu :
– si les musulman.e.s vont pâtir des retombées médiatiques
– et si l’attentat sera désigné comme terroriste ou non…
C’est ici que ce genre d’indications, inutiles quand l’enquête n’a même pas commencé, crée une problématique duelle, provoquée par ce lien machinal entre « Allahu Akbar » et terrorisme, qui renvoie les musulman.e.s à une stigmatisation pesante et angoissante.
7. « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y a un rayon de telle cuisine communautaire, c’est comme ça que ça commence le communautarisme » Gérald Darmanin, dans Face à BFM, le 20/10/2020
Dans toute cette effervescence médiatique, un propos a particulièrement retenu l’attention.
Son but à travers cette intervention était de livrer une opinion qui touche aux causes d’el famoso communautarisme. Il appelle les grandes entreprises à questionner leur responsabilité dans le renforcement de ce phénomène, sans nécessairement inculper les individus, selon ses dires. Tous les chemins mènent au séparatisme, et ma foi cet article a montré qu’on a même le TGV.
Mais au risque de vous surprendre, je crois particulièrement Gérald Darmanin et c’est vrai, je le comprends, on peut se sentir dépaysé. J’aimerais pour une fois le soutenir au lieu de lui jeter la pierre ; en tant que ministre il a totalement le droit de nous faire part de ses sensibilités d’esprit dans toute leur subjectivité, après tout voilà, « toutes mes opinions ne font pas partie des lois de la République » précise-t-il, nous sommes donc un peu ses psychologues. Pourquoi devrait-on TOUJOURS attendre des discours clairs, structurés, et visant un minimum d’objectivité de la part de nos ministres quoi…
Le pauvre… ça doit vraiment être une expérience bouleversante. Débarquer dans un rayon et se voir submergé par tous ces produits, destinés à une communauté bien précise, qui relèvent de principes qui n’ont rien à voir avec les traditions de la république, une cuisine codée, nouvelle, exotique et parfois incompréhensible… non vraiment
…c’est toujours quelque chose, la première fois dans un rayon Vegan.
Pour conclure, que vous ayez réussi à vous éloigner de vos écrans ou que ces phrases aient eu l’occasion de résonner dans vos salons ou vos écouteurs, nous espérons que ce petit retour, entre humour et décryptage, vous aura permis de dédramatiser ces propos parfois frustrants, parfois choquants, mais qui ne doivent en rien nous faire douter sur la place de l’identité musulmane en France, car toutes ces allégations comme nous avons pu le voir, ne relèvent bien souvent que du discours et de l’idéologie, du ressenti subjectif sans ne rien avoir de factuel ; elles ne doivent pas être normalisées, et peuvent et doivent toujours être réfutées.
P.S : bisou à nos ami.e.s vegan.e.s, c’était juste pour la chute 🙂
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