Si la combinaison féminisme/végétarisme/Islam va de soi pour certain.e.s d’entre nous, pour d’autres, ils n’ont malheureusement rien de visiblement conciliables, et seraient même incompatibles. Qu’il s’agisse des musulman.es ou des non-musulman.es, beaucoup sont sceptiques quant à la coexistence de ces pratiques, dites “paradoxales”. “Comment serait-il possible d’être végétarien.ne ou végan.e lors de la fête de l’Aïd par exemple? En quoi être une femme dans la société patriarcale est-il comparable au sort réservé aux animaux?”.
Gardons également à l’esprit que ces “paradoxes” ne s’appliquent bizarrement pas avec autant de ferveur lorsqu’on remplace “musulman.e” par “alsacien.ne” (alsacien.ne non musulman.ne) – bah, et la choucroute, alors?! – ou par “capitalisme”. On apprécie le monopole qui a été exclusivement attribué aux musulman.es et/ou personnes racisées pour justifier notre féminisme et notre sensibilité à la cause animale, mais puisqu’on aime partager, on vous invite également à aller au delà du sujet favoris des français.es: l’Islam. Que cela étonne ou non, le végétarisme comme le féminisme, sont très souvent la suite logique du cheminement spirituel de beaucoup de musulman.es (et de non musulman.es). Pour vous en donner un rapide aperçu, voici un top 6 des perles entendues par des féministes racisées et/ou musulmanes végétariennes/véganes.
Végétarisme: régime alimentaire sans chair animale, ni poisson.
Véganisme: régime alimentaire et mode de vie sans chair animale et sans aucun produit issu de l’exploitation des animaux (ex: oeufs, lait, miel, cuir, plumes …)
1) “Toi, végétarien.ne/végan.e ? Mais tu es musulman.e !”
On a tou.t.e.s eu à faire à ces “gentil.les” gauchos qui ne sont pas du tout végétarien.nes (bien au contraire) mais qui savent donner des leçons quant à l’abattage des animaux, notamment lors de l’Aïd. Bah oui, égorger les bêtes à la main afin de limiter leur souffrance semble très cruel pour certain.es non-musulman.es carnistes qui préfèrent assommer et/ou électrifier les animaux. Et bien, pour beaucoup de musulman.es qui mangent halal, notre mode de vie alimentaire nous a sensibilisé aux questions des souffrances animales. Choquant pour une religion “barbare”, n’est-ce pas? Le végétarisme n’est pas un “truc de blanc”, comme on a tendance à l’entendre. Loin de là. Beaucoup de Soufis (adeptes du soufisme; une tendance mystique de l’Islam que l’on retrouve chez les sunnites ainsi que chez les chiites) d’Afrique du Nord lors de l’Empire Ottoman étaient déjà végétarien.nes depuis des décennies. Et d’innombrables musulman.es sont aujourd’hui végétarien.nes ou végan.nes à travers le monde, en partie grâce à leur éducation religieuse. Il faut noter que les questions animales et l’Islam sont souvent réduits à ces incessantes images d’abbatoires dans les médias et par nos quelques défenseu.se.rs d’animaux islamophobes, qui ont d’ailleurs plus de respect pour les animaux que pour les personnes racisées et/ou musulmanes. Et si on respectait tous les êtres vivants de la même façon?
Je suis devenue végétarienne après 4 jours au camp d’été décolonial. 4 jours avec des personnes racisées et pleins d’antiracisme. On peut penser que l’antiracisme, le féminisme, l’Islam ou même la queerness n’ont rien avoir avec l’antispécisme, mais moi je pense que tout est lié et surtout avec l’Islam. L’Islam nous apprend à respecter tout être vivant, l’aimer et le traiter avec bienveillance. On ne peut pas aimer et respecter un animal en le tuant et juste pour nos plaisirs gustatifs. L’Islam est la raison principale pour laquelle je suis devenue végétarienne.
– Sun
(Je suis végétarienne, comment pourrais-je être raciste !?)
La maltraitance animale serait donc une spécificité islamique, comme si la domination des êtres humains sur les animaux n’avaient lieu qu’en Musulmanie ?! Le spécisme – qui est une forme de discrimination à l’encontre des animaux – est davantage un problème lié à l’espèce humaine, qu’à la religion. La consommation de chair animale est malheureusement un habitus qui va au-delà des frontières, des cultures ainsi que des religions. Si ça continue comme ça, on va bientôt nous accuser d’être la cause principale du réchauffement climatique … Ah, ces musulman.es !
2) “C’est haram de te priver de ce que Dieu nous a accordé”
Et lorsque l’on met les non musulman.es de côté, il y a toujours nos imams adoré.es qui trouvent quelque chose à dire sur le végétarisme/véganisme de leurs consoeurs et confrères musulman.es, comme s’il s’agissait d’une contradiction évidente avec nos croyances et pratiques. Devenir végétarien.ne ou végan.e semble vouloir dire pour certain.es, qu’on souhaiterait se “blanchir”, se “boboïser”, et qu’on s’amuserait à défier ce qui nous a été prescrit pour faire chier le monde, au lieu de voir notre alimentation comme une suite logique liée à notre spiritualité religieuse. Il n’y a aucun passage dans le Coran qui interdit un.e fidèle d’être végétarien.ne ou végan.e. En revanche, plusieurs passages soulignent les bienfaits d’une alimentation saine et encourage chacun.e d’entre nous à être des agents actifs quant à la préservation de l’environnement. Il n’est pas ici question de nier les passages du Coran, “nous permettant de jouir de ce qu’Allah nous a accordé”, mais de rappeler que la jouissance à excès n’est pas acceptable; et qu’on peut utiliser ces préceptes coraniques en tant que base de réflexion sur laquelle chacun.e d’entre nous peut choisir sa propre façon de jouir éthiquement de ces bienfaits, tout en prenant en compte notre contexte environnemental actuel.
Pour moi, le véganisme est lié à la spiritualité, dans le sens où l’Islam représente une voie d’émancipation et de justice. Sans aller jusqu’à considérer que l’Islam est fondamentalement antispéciste, je pense qu’il y a énormément de hadiths qui vont dans le sens d’une protection des animaux : celui sur la femme dont Dieu a absous les péchés et offert le paradis parce qu’elle a abreuvé un chien assoiffé et la femme pieuse méritant l’enfer pour avoir séquestré un chat jusqu’à sa mort. Il existe aussi une véritable diabolisation du gaspillage et une culture de la simplicité, concernant l’alimentation. Ne pas trop se nourrir, éviter les excès, laisser suffisamment de place dans son estomac pour respirer convenablement. Aujourd’hui, j’assimile le gaspillage à l’élevage, la protection des animaux à une condamnation de leurs conditions de vie, de plus en plus atroces, notamment pour la consommation d’êtres humains. Le véganisme est souvent perçu comme un truc de bourgeois, mais des pois chiches à 60 centimes, ça représente mon repas préféré, celui d’une végane dans la hess.
– Shehrazad
Qu’on le veuille ou non, respecter les animaux et faire attention à l’environnement est une façon parmi tant d’autres d’affirmer sa foi, et ne pas manger de mouton lors de l’Aïd ne fait pas de nous des moins bon.nes musulman.e.s, puisque cette célébration va au- delà de la consommation animale. Rappelons quand même que le sacrifice du mouton est une tradition et non une obligation, et que l’Aïd Al-Adha est davantage une célébration de l’amour et de la confiance inébranlable d’Abraham et de Hajar pour Allah, qu’une fête gustative. Ce qui nous paraît injuste de notre côté, c’est plutôt le sexisme dans la répartition alimentaire, par exemple. En effet, on a tendance à penser qu’un homme/garçon aurait besoin d’une plus grosse portion de nourriture que les femmes/filles, et contrairement à l’alimentation végétarienne ou végane, c’est ce genre d’habitude qui va à l’encontre de nos principes religieux.
3) “On a trop longtemps été privé.es de viande par les Blanc.hes”
L’accès à la chair animale a aussi été vue, dans les milieux militants antiracistes, comme un privilège. En effet, il est vrai que dans le contexte esclavagiste puis colonial où les personnes racisées étaient exploitées au profit des blanc.hes, manger de la “viande” était réservé à ceux qui détenaient le pouvoir. Maintenant que la donne a (quelque peu) changé, pouvoir manger des animaux est perçu comme un retournement de pouvoir… alors qu’il n’en est rien. Certes, nous ne sommes plus interdit.e.s d’accès à ce qui nous a été présenté comme étant un privilège. Mais si l’on prend en compte la qualité de cette chair, produite en masse et traitée chimiquement pour répondre à la demande standardisée par le mode de vie occidental et capitaliste : est ce toujours un privilège de mal s’alimenter sous prétexte qu’on nous en a privé.e.s pendant des décennies? Si l’on inverse la réflexion et les rapports de force, juste le temps d’envisager un autre point de vue sur ces relations de pouvoir : il semble que ce sont encore nos anciens bourreaux qui détiennent le pouvoir, en contrôlant encore et toujours ce qu’il y a dans nos assiettes.
Pour moi, le véganisme est une prise de position qui va à l’encontre d’une société hédoniste qui valorise le plaisir individuel au-delà de tout. La notion du goût, du plaisir gustatif subjectif et par ailleurs apte à être reconditionné par nos choix alimentaires, prévaut — tout comme la liberté des femmes persiste à être dévalorisée au profit du plaisir et du pouvoir masculin. (…)
Pour moi le véganisme n’est pas un « devoir » ni quelque chose auquel je dois penser pour y adhérer. C’est une suite naturelle de mes choix de vie. Mon féminisme intellectuel s’est approfondi et il a débouché en un féminisme militant, intersectionnel et végane, ce qui m’a permis de me rapprocher de la lumière, de connaître mes énergies, de confronter mes angoisses et de pratiquer l’art de la compassion et du pardon.”– Zsofia
4) “Le végétarisme/véganisme, c’est un truc de Blanc.hes/bobo/hipsters”
Dans la continuité de la critique plus ou moins légitime du végétarisme et du véganisme
par les populations racisées et/ou musulman.es, revient très souvent cette idée que ces
pratiques seraient des “trucs de Blanc.hes”. S’il est vrai que, dans la relation des
diasporas aux européens, la chair animale a été un enjeu de pouvoir des seconds sur les
premiers, il est également important de souligner que le fait de ne pas manger
d’animaux a aussi longtemps été le privilège réservé à ces mêmes Blanc.hes. En effet, contrairement aux populations opprimées qui n’avaient pas vraiment le choix de consommer de la chair ou pas, les Blanc.hes pouvaient opter pour une alimentation carnée ou végétarienne, du fait de leur position dominante. Et on retrouve encore des traces de cette hiérarchie dans le rapport de certain.es français.es blanc.hes au bio par exemple : une alimentation bio coûte cher, et n’est donc pas accessible aux familles les plus précarisées, dont font partie les diasporas.
Néanmoins, cela fait-il du végétarisme/véganisme seulement un “truc de Blanc.hes”?
Affirmer cela revient à totalement invisibiliser/ignorer les pratiques végétariennes ancestrales de populations racisées telles que celle des Hindou.es par exemple qui, déjà au VIIIème siècle avant notre ère (puisqu’ils croient en la réincarnation des Hommes en animaux) s’abstenaient d’en manger par conviction religieuse. De plus, les travaux d’afro-féministes engagées à la fois dans l’antiracisme et les droits des animaux, telles que les soeurs Aph et Syl Ko, dans Aphro-ism : Essays on Pop Culture, Feminism and Black Veganisme from Two Sisters, nous permettent de repenser le végétarisme/véganisme comme une nécessité dans les luttes des personnes racisées. Selon elles, les ancien.ne.s esclaves ont été traité.e.s comme on a traité et traite encore les animaux : enchaîné.e.s, assigné.e.s aux travaux de la terre, souvent dénué.e.s de noms et prénoms (et donc, de subjectivité), violé.e.s dans le but de produire de la main d’oeuvre supplémentaire… Les humain.e.s non-blanc.hes ne valaient pas plus que les animaux que ces mêmes esclavagistes mangeaient après avoir traités sans aucune considération (ndlr. exceptés les animaux considérés comme dignes, tels que lesdits “animaux de compagnie” ou les chevaux, qui sont tout de même utilisés à des fins abusives). De fait, manger des animaux à notre tour, en considérant notre passé d’esclaves et de colonisés, c’est-à-dire d’humain.e.s traité.e.s comme on traite les animaux, revient à perpétuer la violence que nous ont fait subir les Blanc.hes. Ainsi, selon les soeurs Ko, être végan.e est la suite logique du combat anti-raciste et anti-impérialiste des personnes militantes racisées.
5) “Mais quel rapport entre féminisme et végétarisme???”
Que ce soit clair : nous ne nous positionnons évidemment pas en tant que modèles ici, ce n’est pas notre but de faire la leçon, seulement d’informer et de renseigner des pratiques considérées comme invalides afin de les visibiliser et a fortiori, de les légitimer. Nous aussi, nous avons mangé des animaux. Nous aussi, nous avons pu trouver cela incohérent et incompatible d’être à la fois féministe, végétarien.ne/végan.e et musulmane/racisée. Nous sommes d’ailleurs toutes deux sur le chemin du véganisme : car oui *surprise!* être végan.e n’est pas “seulement” une mode, c’est aussi un combat. Contre les habitudes alimentaires ancrées, contre les remarques vaseuses des bien- pensants qui savent mieux que nous (cf point 1), mais aussi et surtout, contre le patriarcat.
Dans la même idée que la théorie afro-féministe des soeurs Ko, Carol J. Adams proposait dans les années 80 dans La politique sexuelle de la viande, d’analyser les liens entre la façon dont sont traitées les femmes et les animaux dans la société américaine. Elle relève, dans son étude, que pour vendre de la chair animale à manger, les publicitaires passent par une féminisation du corps des animaux (cf image au-dessus à gauche). Parallèlement à cela, la culture visuelle occidentale animalise sans arrêt de façon réciproque le corps des femmes et/ou utilise le corps des femmes par le biais de mise en scène hypersexualisante pour vendre de la chair animale (cf image au-dessus à droite; et comme si ce n’était pas assez explicite, on a droit au petit jeu de mot bien subtil en prime – blow job/blow your mind)
Ce que Carol J. Adams souhaite visibiliser en mettant ce parallèle en évidence, c’est que la construction des images de femmes est révélatrice de la valeur qui est donnée à leur corps, à nos corps : nous ne sommes que de la chair sexualisée. En traitant les femmes et les animaux de la même façon, le patriarcat renforce son hégémonie. De fait, arrêter de manger de la viande lorsqu’on est féministe est, en réalité, une suite logique à notre combat contre le patriarcat. En refusant de traiter les animaux comme nous sommes nous-même traitées, nous ne faisons pas le jeu du système capitaliste et patriarcal qui nous oppriment.
6) “On a besoin de manger de la viande, parce qu’on a besoin de protéines animales pour vivre”
Last but not least : l’idée selon laquelle les végétarien.e.s/végan.es manqueraient de protéines est tout simplement fausse, les protéines végétales sont tout aussi suffisantes. Nous sommes conscientes qu’il peut être très difficile de changer ses habitudes alimentaires et de renoncer aux protéines animales, surtout lorsque cela fait partie de nos habitudes quotidiennes et que nos médecins nous font croire que l’on a besoin de consommer de la chaire animale. Toutefois, devenir végétarien.ne ou végan.ne n‘avantagerait pas seulement les animaux, les océans, les forêts et l’environnement de façon plus générale, mais également (et conséquemment) VOTRE santé. En effet, consommer des protéines animales peut augmenter les risques de maladie affectant le foie et les reins. Même si les données sont encore limitées – principalement à cause des lobbies alimentaires, qui financent les recherches “contre” le diabète, le cancer et d’autres maladies … #CestPasUneBlague ; Diabète Québec, par exemple, “une association qui se donne pour mission d’améliorer les conditions de vie des personnes atteintes de diabète de type 1 et 2”, est financée par … *RoulementDeTambour*: Coca Cola ! – certaines études américaines, indiquent que la consommation de produit laitier augmente le risque de plus de 50% d’avoir un cancer du sein (vive le véganisme ?!). Etre végan.e ou végétarien.ne est intrinsèquement lié aux questions environnementales, pourquoi cela semble donc contradictoire avec l’Islam ou les droits des femmes ? N’est-ce pas à travers les versets coraniques et les hadiths du Prophète (pbsl) qu’on nous inspire à respecter la terre dans laquelle nous vivons ?
De fait, ce que nous permet de constater ce rapide top 6 des perles entendues par des féministes racisées et/ou musulmanes végétariennes/véganes, c’est que les idées reçues sur le végétarisme, et a fortiori sur le véganisme émanent de partout. Des gauchos sympas aux militants eux-même, le végétarisme et le véganisme restent des pratiques critiquées/méprisées, alors que, tout comme le féminisme, ils n’ont jamais tué personne (eux !).
Bon, nous ne sommes pas non plus idéalistes : il existe aussi des pratiques très critiquables chez certain.es végan.es. D’où la nécessité d’aborder le végétarisme/véganisme avec des prismes comme le féminisme, la spiritualité/religion et la lecture décoloniale et antiraciste, ou encore l’écologie car… pourquoi choisir lorsque toutes ces pratiques nous amènent à un meilleur traitement de nos corps/esprits et de la planète dans le même élan?
To be continued !
Selma Bouledjouidja et Tarani Taye
Crédit photo à la une : @jeeitd
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