Shehnaz Haqqani est professeure à l’université mais aussi blogueuse et youtubeuse. Passionnée par le féminisme islamique, elle partage ses réflexions tout en démocratisant celles de grands noms de ce mouvement, à l’instar de la marocaine Fatima Mernissi, de l’américano-égyptienne Leila Ahmed ou encore de l’afro-américaine Amina Wadud.
Du Pakistan à l’enseignement d’études de genre en lien avec l’Islam aux Etats-Unis
Shehnaz est née dans le district de Swat, au Pakistan, tout comme Malala Yousafzai. Elle y a grandi jusqu’à ses 12 ans, avant de rejoindre les Etats-Unis, aux côtés de ses parent·e·s. Durant la fin de son adolescence, Shehnaz assistait à des cours islamiques à la mosquée chaque dimanche. « Ce jour était réservé aux femmes mais notre professeure était tellement merveilleuse et encourageante que lorsqu’elle nous a informé qu’elle enseignait le samedi dans une autre mosquée, nous avons commencé à y aller aussi ! ». Shehnaz et sa soeur étaient émues aux larmes lorsque cette enseignante leur affirmait : « mes soeurs, vous n’avez pas à cuisiner, faire le ménage, etc. Cela ne fait aucunement partie de vos obligations en tant que femmes musulmanes ». Cela a constitué un déclic pour Shehnaz, découvrant la possibilité d’un féminisme basé sur les écrits religieux.
Shehnaz Haqqani, durant une conférence. Crédits : Fernando Ferraz, The Ithacan
Durant ses premières années d’université, la jeune femme lit les travaux d’Amina Wadud, de Fatima Mernissi et de Kecia Ali. Il s’agit d’un véritable bouleversement. « Je me suis rendue compte qu’à la mosquée, ma prof enseignait une sorte de “patriarcat bienveillant”, même si je lui suis éternellement reconnaissante de m’avoir permis de découvrir les droits des femmes en islam ». Destinée à des études de médecine, comme le souhaitaient ses parent·e·s, Shehnaz tombe par hasard sur un cours concernant le genre, l’islam, les musulman·e·s ainsi que les lois islamiques à l’université. « C’était tellement fascinant et cela suscitait tellement de réflexion que je me suis réorientée ». Elle détient ainsi une licence en Etudes du Moyen-Orient et d’Asie du Sud, un master en Cultures et langues du Moyen-Orient ainsi qu’un doctorat en Etudes Islamiques. Cette décision n’a pas plu à ses parent·e·s, bien qu’iels aient fini par accepter. « Je suis si heureuse d’avoir choisi ce chemin ! ».
Du blog Freedom from the Forbidden au vlog What the Patriarchy?!
Shehnaz profite de ses études afin de partager ses réflexions sur un blog, Freedom from the Forbidden, « La liberté de l’interdit », dans lequel elle évoque de nombreux péchés communément admis en islam, afin de les questionner à partir d’écrits islamiques, tels que le Coran ou les hadiths, l’ensemble des traditions concernant les actes ainsi que les paroles du Prophète Muhammad, que la paix et le Salut d’Allah soient sur lui. Nous y trouvons également plusieurs fiches de lectures, concernant les femmes et l’islam, à l’instar de celle sur l’ouvrage Le Coran et les femmes, une lecture de libération d’Asma Lamrabet. Elle écrit également sur des travaux à propos des femmes originaires d’Asie du Sud, tels que Forger la fille éduquée idéale : la production de sujets désirables en Asie du Sud musulmane de Shenila Khoja-Moolji, connue pour ses études concernant les femmes chiites. Ainsi Shehnaz rappelle ses origines pachtounes, un groupe culturel présent en Afghanistan mais aussi au Pakistan. « Le peuple de ma région natale, Swat, est pachtoun. Notre langue est le pashto ». Elle insiste sur le fait de n’accepter aucune forme de patriarcat, y compris dans certaines interprétations religieuses ou encore dans les traditions pachtounes. « Je combats cela autant que possible, où que je sois et dans toutes les langues que je maîtrise. Je crois en la dignité et aux droits de tous les êtres humains et cela inclut les femmes musulmanes et/ou pachtounes ».
Le blog Freedom from the Forbidden. Crédits : Freedom from the Forbidden
Ainsi, Shehnaz n’hésite absolument pas à tout remettre en question, y compris certains sujets tabous, tels que l’impact des règles sur la pratique religieuse des musulmanes. Elle y a d’ailleurs consacré un article sur son blog, mais également une vidéo sur son vlog, What the Patriarchy?!, Qu’est-ce que le patriarcat ?!, entièrement dédié au sexisme dans certaines interprétations religieuses islamiques. Pour résumer, elle y explique que les personnes ayant leurs règles sont avant tout dispensées de pratiquer certains rituels, durant cette période pouvant être douloureuse, et que rien ne justifie le fait qu’on les considère comme « inférieures en religion » en raison de leur supposée impureté. De plus, la professeure insiste sur l’aspect radicalement pro-féministe de l’islam, en rappelant que cette religion a accordé de nombreux droits aux femmes, dès son apparition durant le VIIème siècle, à l’instar du droit au divorce, du droit de choisir son partenaire, du droit à l’éducation ainsi que du droit à l’indépendance financière. « Malgré cela, on refuse concrètement ces droits à de nombreuses femmes musulmanes encore aujourd’hui dans le monde entier ». Elle estime que nous ne devons jamais oublier que ces droits, qui semblaient radicaux au VIIème siècle, sont un rappel nous incitant à toujours lutter, quelle que soit notre époque, pour une avancée encore plus poussée vers la justice et l’égalité.
Désormais professeure à l’Université de Mercer, la plus ancienne de Géorgie aux Etats-Unis, elle enseigne les études religieuses, en étant surtout spécialisée sur l’islam et le genre. Nous pouvons suivre ses activités sur les réseaux sociaux et il est également possible de s’abonner à sa nouvelle chaîne Youtube mais également à son blog. En attendant ses futures réflexions et publications, nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.
Crédit photo image à la une : Elias Olsen, The Ithacan
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