Des histoires de piraterie, on en a tou.te.s entendues étant enfants. Des histoires que l’on trouvait souvent fascinantes, parfois intrigantes, mais toujours prenantes. L’histoire que je m’apprête à vous raconter aujourd’hui sera tout cela à la fois. Cependant, elle changera des histoires de piraterie que vous aviez l’habitude d’entendre dans votre enfance.
Notre pirate à nous ne s’appellera ni Jack Sparrow, ni Bigorneau, elle se prénommera Sayyida. Elle sera une femme et qui plus est musulmane.
Notre pirate à nous ne volera pas par plaisir, elle menacera et négociera rançons et butins afin de lutter contre la colonisation. Notre pirate à nous a été oubliée, mais elle mériterait bien une certaine renommée dans nos dessins animés !
Aujourd’hui nous parlerons de Sayyida al Hurra, qui fut pirate et gouverneure de la ville de Tétouan durant 30 années.
C’est vers 1485 que naquit Sayyida al Hurra au sein du Royaume de Grenade dans le Sud de l’Espagne actuelle. Issue de la famille musulmane des Banu Rashid, elle avait des origines maroco-andalouses.
Son père fut le célèbre chef idrisside Ali Ibn Rashid, fondateur en 1471 de la ville de Chefchaouen. Sa mère, Zahra Fernandez, était une femme espagnole convertie à l’islam .
De l’enfance de Sayyida, nous ne savons que très peu de choses, son nom nous est d’ailleurs à ce jour inconnu. Aucune certitude à ce sujet, certaines chroniques prétendent qu’elle se serait appeler Aïcha, d’autres Fatima. Quoiqu’il en soit, c’est sous le nom de Sayyida al Hurra qu’elle est aujourd’hui présentée. Ce titre honorifique, lui fut donné à la suite de sa nomination en tant que gouverneur de la ville de Tétouan faisant d’elle « La Dame Libre ».
L’enfance de Sayyida s’inscrivit dans un contexte marqué par un nombre croissant de tensions. Elle et ses proches durent faire face à la violente Reconquista en Andalousie où de nombreux.ses musulman.e.s perdirent la vie mais également à l’occupation des Ibères près de plusieurs villes côtières.
En l’an 1492, les souverains d’Espagne Ferdinand le Catholique et Isabelle la Catholique finirent par conquérir le Royaume de Grenade, obligeant un grand nombre de musulman.e.s à s’enfuir ou à se convertir. C’est ainsi que Sayyida et sa famille firent le choix de s’en aller et de s’installer au Maroc. Son père fonda alors la ville de Chefchaouen et en devient le gouverneur. Il fit de Chefchaouen, une ville-Etat qui s’imposa comme une forteresse pour les tribus avoisinantes et comme un centre de résistance contre les Portugais qui occupaient les villes voisines de Sebta, Tanger, Asilah et Larache.
Après le tumulte de la Reconquista, c’est à Chefchaouen que l’enfance de Sayyida se déroula paisiblement. Attachée à la terre d’Espagne qu’elle avait tant aimée, Sayyida resta longtemps marquée par l’exil forcé.
Durant l’année de son seizième anniversaire, Sayyida épousa le prince de Tétouan, Ali Al-Mandri de trente ans son aîné. Leur union fut le fruit d’une consolidation de relations politiques et diplomatiques entre deux familles d’influence, faisant front commun contre l’occupation chrétienne. Son époux, n’était autre que le neveu et successeur du grand chef militaire grenadin Abou-l-Hassan Ali Mandari.
A ses côtés, et puisque fréquemment il lui demandait de l’assister, elle découvrit l’art de gouverner et y fut formée.
C’est donc à Tétouan qu’elle était à présent établie, retrouvant dans cette ville, à l’instar du Chefchaouen de son enfance, un raffinement urbain propice à son épanouissement. Ce fut également pour elle les premiers pas déterminants de son engagement politique.
A la mort de son époux en 1515, elle lui succéda comme gouverneure de la ville de Tétouan et y gagna à ce titre le surnom d’al-Hurra, signifiant « la libre ».
A présent au pouvoir, la seule pensée qui l’animait était de se venger de la perte du Royaume infligé par les chrétiens. C’est donc comme un rempart aux invasions portugaises et espagnoles qu’elle souhaitait se dresser.
Pour solidifier sa stratégie et avoir un impact plus conséquent, elle se rapprocha du redoutable corsaire turc Arudj Reïs Bab Oruc, connu également sous le nom de Barberousse, avec qui elle souhaitait s’allier. Ensemble, leur mission était de mener des expéditions punitives contre les Espagnols et les Portugais. Il était donc décidé que Barberousse parcourrait l’est de la Méditerranée, et que la flotte de Sayyida al-Hurra contrôlerait l’ouest. Comme mode d’action, tous deux choisirent la piraterie.
Sayyida, accompagnée d’une flotte formée et qualifiée, parvint très vite à mettre en difficulté les camps espagnols et portugais. Ses expéditions devinrent rapidement d’une grande utilité. Elles lui permettaient d’une part de porter des coups durs à ses ennemis portugais et espagnols mais aussi de profiter d’une source de revenus appréciable qui permit d’entretenir et d’améliorer les infrastructures de sa cité. Pour chaque prisonnier.e qu’elle capturait, elle imposait aux dépens de leur vie rançons et butins.
C’était au nom de la liberté que Sayyida gouvernait et naviguait. Convaincue par sa mission, elle désirait effrayer les armées opposées et montrer que nulle conquête ne pouvait être envisagée ou espérée. Lorsqu’on lit aujourd’hui les chroniques chrétiennes du XVème siècle, on se rend compte à quel point ces expéditions furent dissuasives. En effet, son nom devint très vite craint, et quiconque savait que Sayyida pouvait se trouver sur ces eaux ne souhaitait prendre le risque de s’y aventurer.
Grâce à la réussite de ses opérations qui résonna dans l’ensemble du royaume marocain, Sayyida al-Hurra obtint une grande renommée. Si bien qu’en 1541, le roi du Maroc Ahmed al-Wattassi demanda sa main. Fidèle à elle-même, Sayyida refusa de se déplacer et demanda à ce que le roi s’il souhaitait réellement l’épouser vienne la rencontrer dans sa célèbre cité de Tétouan. Lorsqu’il vint à elle, elle lui expliqua et lui rappela, que si ce mariage se faisait alors, elle n’aurait nullement l’intention d’arrêter de régner.
L’année suivante, le mariage fut contracté, Ahmed al-Wattassi, fit le voyage jusqu’à Tétouan pour l’épouser. Comme promis, Sayyida al-Hurra continua à diriger la cité et resta gouverneure pendant plus de trente années.
En 1542, alors qu’elle ne s’y attendait pas, son beau-fils la destitua. Dépouillée de ses biens, de son pouvoir et de sa gloire, elle s’en alla et fit le choix de finir ses jours dans son berceau natal de Chefchaouen.
L’histoire de Sayyida al Hurra est intéressante à bien des égards. Elle est intéressante car elle vient une fois de plus nous rappeler que le modèle de pensées et d’actions que certain.e.s tenteraient de nous imposer à travers des arguments d’autorité est très facilement questionnable.
En effet, l’histoire de cette femme, gouverneure et pirate, nous rappelle une fois de plus qu’en tant que femme et notamment qu’en tant que femme musulmane, les notions d’équité, d’égalité et de justice devraient occuper une place bien plus importante dans les discours que celles de « pudeur » et de « décence » constamment rappelées et mentionnées au sein de nos mosquées.
Sayyida à travers son histoire et ses actions nous permet également une fois de plus de nous extirper de cette vision genrée à laquelle il n’est pas toujours évident d’échapper.
Dans le Maroc du XVème siècle, être femme, musulmane, gouverneure et pirate pouvait être un choix publiquement assumé qui conférait par la même un certain respect.
Crédit image à la une : Charlotte. Charlotte est une illustratrice passionnée de dessin et notamment par l’univers de la mode. Je vous laisse découvrir son univers :
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