[Publié initialement le 16 mai 2019]
Lorsque j’ai pensé et imaginé ce projet, une chose me semblait évidente : je voulais vous présenter des femmes musulmanes puissantes, inspirantes, fascinantes ayant contribué au développement de l’islam à travers les années. Mais pour que ce projet soit pleinement complet, il me semblait essentiel de vous présenter des femmes aussi plurielles et diverses que possible.
L’amalgame femme musulmane = femme arabe étant trop souvent fait, je souhaitais m’en extirper en choisissant des profils de femmes musulmanes arabes, noires ou encore asiatiques se réclamant tant de l’islam sunnite que de l’islam chiite.
Si ce projet a vu le jour, c’est parce que j’ai ce profond sentiment que nous, femmes musulmanes, quelle que soit notre communauté, voyons les droits qui nous sont accordés quelque peu limités. Ainsi, inscrire ce projet dans une démarche d’inclusion était une nécessité. Une nécessité afin que l’ensemble des femmes musulmanes se sentant concernées puissent se projeter, argumenter et se retrouver à travers ce projet.
Ainsi, j’ai longuement cherché mais comme une évidence, j’ai fini par trouver.
La femme dont je vous parlerai aujourd’hui nous vient d’Asie et plus précisément de Delhi. Elle fut la seule femme à régner sur Delhi et releva, vous le verrez, un sacré lot de défis, et ce avec succès.
Quant aux sources à son sujet, elles sont nombreuses en anglais mais une fois de plus presque inexistantes en français.
Cher.e.s ami.e.s anglophones, je vous recommande, la web série traitant de sa vie que vous pourrez trouver sur la chaine Youtube de Feminism in India, ou encore la série portant son nom « Razia Sultan » accessible sur Netflix. Enfin, pour ceux et celles adeptes du papier, je vous conseille les fabuleux écrits de l’historienne indienne Rana Safvi.
Jalâlat ud-Dîn Raziyâ, connue également sous le nom de Razia Sultan, naquit en 1205. Elle était la fille du célèbre sultan de Delhi, Shams ud Din Iltutmish.
D’ascendance turque, Razia fut très tôt sensibilisée et entraînée à régner. En effet, l’ensemble des enfants du sultan, filles comme garçons, se devaient de recevoir une éducation les préparant au pouvoir au cas où le besoin se ferait sentir.
Ainsi, dès son plus jeune âge, Razia apprit à manier les armes, à monter à cheval et à négocier avec une grande diplomatie.
Avant de décéder, son père le sultan, jugeant que parmi ses enfants Razia serait la plus à même de régner, décida de la nommer publiquement comme héritière au trône. Il fit donc ce choix aux dépens de ses fils.
En l’an 1236, son père mourrut, mais Razia ne devint pas comme demandé la souveraine officielle du sultanat. En effet, c’était sans compter sur la volonté de gloire et de pouvoir de son frère Ruhnu ud Din Firuz Shah qui s’empressa d’occuper le trône pendant presque 7 mois.
Mais le peuple, n’ayant pas oublié la nomination faite précédemment par le défunt sultan, fit front pour stopper les prétentions de Ruhnu. C’est ainsi que la même année Ruhnu fut tué par des turcs de l’armée et que Razia récupéra son trône. Sa mission pouvait alors commencer.
Lorsqu’elle monta sur le trône, son premier projet fut de (re)nouer de bonnes relations avec le califat abbasside, califat qui régnait alors sur les plus importantes terres musulmanes. Pour elle, il s’agissait d’une étape politique cruciale. En effet, ce premier choix venait légitimer les terres du sultanat de Delhi comme étant intégrante des terres d’islam et par extension des terres de la communauté musulmane qu’il fallait soigneusement protéger.
Pour assurer une certaine paix, elle s’efforça de créer un cadre juridique qui lui servirait à veiller à ce que les habitant.e.s non musulman.e.s soient traité.e.s avec dignité et respect.
Pour diriger son pays, elle fit également le choix d’abandonner son voile et d’adopter en contrepartie un costume masculin. Elle se coiffait dorénavant d’un turban et portait toujours avec elle son épée sur le côté.
Elle fut également la protectrice des arts et de l’éducation, créant un nombre important de bibliothèques, d’écoles, d’universités. Elle souhaitait s’assurer que l’ensemble des habitant.e.s peuplant le royaume ait la capacité de s’instruire. Ainsi, les moyens avaient été mis en œuvre afin que la littérature et le savoir quels qu’ils soient puissent être partie intégrante de la société.
Au-delà de cela, elle était profondément préoccupée par la mise en place de moyens qui permettraient de servir plus aisément l’ensemble de la population. C’est ainsi qu’elle construisit des routes, des ponts et des jardins, qu’elle fit creuser des puits, qu’elle soutint les poètes, les peintres, les musiciens et qu’elle multiplia les écoles et bibliothèques.
Grâce à l’ensemble de ses décisions, elle parvint à rétablir l’ordre dans l’ensemble du pays et encouragea par la même le développement du commerce et ainsi la richesse du royaume.
Malgré l’ensemble des défis qu’elle parvint à relever avec brio, Razia dut faire face en 1240 à un certain nombre d’opposants. Leurs protestations s’appuyaient sur le fait que Razia était une femme, qui de surcroît elle était issue d’une famille anciennement esclave. Lorsque les rebellions commencèrent à devenir plus conséquentes, Razia, en tant que cavalière talentueuse, fit le choix d’aller en personne les affronter. Finalement, elle tomba dans une embuscade et fut tuée cette même année.
A la suite de son décès, son frère reprit le pouvoir, mais n’étant pas capable de jouer ce rôle avec compétence, il fut démis très tôt de ses fonctions.
Leur père avait donc vu juste, Razia était la seule, l’unique parmi sa fratrie en capacité de régner.
En lisant l’histoire de Razia, je ne pus m’empêcher de m’imaginer expliquer à mes futurs enfants que la notion de légitimité devait nécessairement être accolée à la notion de capacité. Que dès lors que ceci n’était pas respecté, alors la notion d’égalité pouvait très facilement être questionnée.
Ainsi, l’histoire de Razia en est à ce titre un brillant exemple. Elle nous rappelle indirectement que tant de femmes à travers l’histoire auraient certainement dû ou devraient gouverner, que tant de femmes auraient dû ou devraient diriger, que tant de femmes auraient dû ou devraient enseigner. Elle nous rappelle que tant de femmes sont tout bonnement passées à côté pour la simple raison que les notions de légitimité et capacité ne furent que trop peu liées.
Alors, grâce à Razia, rappelons-nous que notre légitimité n’est plus à démontrer, que si des fonctions nous sont refusées alors il faudra aller les chercher.
Femmes musulmanes, que ce soit une histoire de foi ou de société, nous avons notre rôle à jouer et pour sûr nos capacités sont parfois bien plus importantes que celles qui possèdent aujourd’hui cette fameuse légitimité. Ensemble, allons leur rappeler.
Crédit image à la une : Sist’art. Ce n’est pas une mais 3 illustratrices que nous avons le plaisir de mettre à l’honneur aujourd’hui. Sist’art c’est l’histoire de 3 soeurs passionnées d’art et de dessins.
Pour découvrir leur univers, rendez vous sur instagram : @taekanddoart et @sistart.comics
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