Pourquoi j’ai décidé d’ôter mon voile

par | 22 décembre 2017 | Nos Voix

 

« Les mots sont importants pour combattre le silence, l’aliénation et la violence. Les mots sont des drapeaux plantés sur la planète de nos êtres ; disant: « c’est à moi, j’ai combattu pour ça et malgré vos tentatives pour me faire taire, je suis toujours là ». Tout aussi important, les mots nous aident à nous retrouver et vaincre l’isolement qui menace de nous envahir et de nous briser. Les mots indiquent que nous sommes là. » Mona Eltahawy, Foulards et Hymens : pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle

 

C’est sur ces mots revitalisants et pleins d’espoir que je souhaite entreprendre mon premier article chez Lallab. Il ne s’agit pas ici seulement d’une « belle citation » ou d’une puérile phrase d’ouverture choisie dans le seul but de vous saupoudrer la lecture de sucre. En réalité, cet extrait est la raison pour laquelle j’ai décidé aujourd’hui de vous faire part d’un événement très récent qui a légèrement métamorphosé mon quotidien. Mona Eltahawy, féministe et journaliste égyptienne musulmane et kickass woman, est un être humain dont notre planète a tant de chance d’être honorée par son exaltante existence (bien que je ne partage pas toutes ses pensées). Outre mon obsession pour cette femme incroyable qui ne cesse de m’inspirer, Mona Eltahawy m’a aidée à prendre une décision très importante : ôter mon voile.

Tout d’abord, je souhaite arrêter d’emblée celles et ceux qui pensent déjà qu’il s’agit d’un article d’une fillette perdue et « enfin libérée », ayant eu besoin d’une féministe pour l’éclairer et faire face à notre si belle société patriarcale. Que ce soit clair : ce n’est pas le cas. Bien qu’ayant décidé de l’ôter pour des raisons qui me sont personnelles, je reste une fervente pro-choix en matière de port du voile. Toutefois, cet article est dédié à celles qui font face à quelque chose de beaucoup plus tabou au sein de nos communautés : ôter son voile. Comme le souligne très bien notre kickass woman, pour certaines femmes, comme cela a été le cas pour moi : « (…) choisir de porter le hijab est bien plus facile que de choisir de l’ôter. Et cette leçon était un rappel important quant à la réalité du « libre arbitre » » (p. 55).

J’ai porté le hijab pendant 9 ans. Les raisons pour lesquelles j’ai décidé de le porter ne sont pas importantes. Je sens tout de même qu’il est nécessaire pour moi de me justifier. Il était question d’un choix libre, et ni mes parents, ni le mari que je n’ai pas et que l’on aime m’accorder, m’ont forcée à le porter. Bah oui, voyez-vous, en tant que Franco-algérienne de confession musulmane, et voilée il y a encore trois mois, il est difficile pour beaucoup d’imaginer que l’on puisse prendre une décision pareille de son plein gré. J’avais donc pris l’agréable habitude de me justifier maintes et maintes fois auprès des gens, tout en réalisant qu’ils·elles étaient presque déçu·e·s du manque de drame quant à cette décision personnelle. Ma réponse ne semblait pas les réjouir. J’ai donc décidé il y a quelques mois, dû à une accumulation d’interactions houleuses, de faire plaisir à mes chèr·e·s interlocuteur·trice·s et de leur donner la réponse qu’ils·elles désiraient tant entendre : « Mes parents m’ont forcée à le porter ». Je provoquais des moments gênants suivis d’un blanc. En les voyant bouche bée, avec de gros yeux ne sachant plus où poser le regard, je ne réussissais jamais à contenir mon fou rire plus de trente secondes. Je finissais par rétablir la vérité, qui semblait d’autant plus surprenante. Et oui, lorsque l’on porte le voile, voici à quoi se résume notre existence : se justifier.

 

 

Le voile est tellement politisé qu’il influait sur toutes les interactions de ma journée. Ce simple vêtement déterminait donc la façon dont j’interagissais avec mes professeur·e·s, mes camarades de classes, les personnes que je rencontrais ainsi que les simples passant·e·s dans la rue. Il n’y a pas que le voile, me direz-vous, qui engendre ce genre de phénomène. Effectivement, la façon dont nous percevons les autres et les préjugés qui en ressortent font partie de la vie courante et affectent souvent notre rapport aux autres. Pas besoin d’être musulmane pour se faire juger. En revanche, il semble falloir être voilée pour que certaines personnes se sentent libre de vous questionner quant à votre foi, comme si ce que vous portiez sur la tête était une invitation au questionnement de votre vie privée.

 

 

Inutile de mentionner les regards tendus, les soupirs ou même les micro-agressions verbales du quotidien qui finissent par se banaliser. Voilà à quoi se réduit le quotidien d’une femme voilée. Les humiliations constantes de tous les jours, comme l’employé de la sécurité qui vous suit dans le magasin ou qui fouille votre sac beaucoup plus minutieusement que celui de votre ami·e non-musulman·e à l’entrée d’un cinéma ou d’une bibliothèque universitaire. Ces humiliations peuvent d’ailleurs créer chez certaines femmes voilées un mécanisme de défense : elles finissent plutôt par rire de ces situations. Il est préférable de rire de quelque chose qui vous arrive systématiquement que de s’en outrer ou même d’en pleurer. C’était le cas pour moi en tout cas. Parce que bon, la flemme de se voir régulièrement assigner le rôle de la victime. Autant en rire !

Je riais donc aux personnes âgées dans le tram en allant à la fac le matin lorsqu’elles soupiraient. Je riais aussi à ce barman qui me pensait femme de ménage lorsque j’entrais dans son bar. Je riais également lors d’entretien où l’on a exigé que j’ôte mon voile, même si personnellement ça ne les « dérangeait » pas. Mais je riais aussi à ces musulman·e·s qui pensaient que je portais « mal » mon voile et qui se pensaient en position de me juger quant à mes vêtements ou à mon mode de vie. Je riais aux personnes qui se permettaient de toucher mon hijab en trouvant opportun de me donner leurs avis sur la question. Je pensais aussi pouvoir rire, la fois où l’on a exigé que j’ôte mon voile lors d’une sensibilisation sur la question de la prostitution dans un lycée privé, en tant que bénévole. J’ai souri, refusant leur demande et susurrant un petit « Ce n’est pas grave ». J’ai ensuite quitté l’établissement en gardant mon sang-froid et fini en sanglots sur le trottoir. Il y a des choses qui font rire. D’autres moins.

Étant pourtant de nature sociable, j’ai eu soudainement le besoin intense d’être invisible, de limiter mes interactions le plus possible, sachant qu’on allait systématiquement revenir sur ma foi. Je ne pouvais plus regarder les infos ou aller sur les réseaux sociaux, redoutant les sujets qui traitaient de « la » femme voilée. J’ai toujours été très fière de mes identités religieuses et culturelles, et ça ne m’a jamais empêché de faire ce que je voulais et encore moins d’être qui je voulais être. Toutefois, le climat politique de ces dernières années et le milieu académique dans lequel je baignais m’ont transformée en une sorte de perroquet qui souriait en permanence en répétant les réponses aux questions auxquelles je m’étais habituée à répondre. J’étais devenue une personne que je ne supportais plus. Je n’étais plus moi-même.

Me sentir obligée de sourire constamment seulement pour réfuter l’image que l’on s’est faite des femmes musulmanes qui sembleraient « acariâtres » et « malheureuses » m’insupportait. Je ne pouvais plus supporter le mécanisme dans lequel je m’étais inscrite sans même m’en apercevoir et qui me faisait perpétuer des numéros que je ne voulais même pas reproduire. Je ne supportais plus de devoir expliquer les raisons pour lesquelles être féministe et musulmane sont tout-à-fait compatibles. Je ne supportais tout simplement plus de devoir parler de religion à tout bout de champ et de me voir offrir le rôle de porte-parole de tou·te·s les musulman·e·s de la planète. Ma foi est effectivement proéminente dans ma vie, mais elle est à moi et à moi seule. J’ai décidé qu’il était à moi de décider lorsqu’il était opportun de parler délibérément de mon rapport à la religion. Avec qui. Où. Quand. Comment. Tout ça dépendrait de moi à présent. Et c’est en partie la raison pour laquelle j’ai décidé de l’ôter. J’arrivais à un point où j’avais vraiment besoin d’être invisible et de profiter de cette invisibilité pour me reconstruire et surtout, me réapproprier ma spiritualité dans ma sphère personnelle.

Et ne vous méprenez pas, je ne dis pas qu’il faille absolument que toutes les femmes musulmanes l’ôtent aussi et qu’il serait nécessaire de ne pas parler de religion en public. Il s’agit seulement de mon expérience personnelle. Je dois tout de même avouer que j’aurais adoré continuer le combat aux côtés de mes sœurs voilées et continuer à détruire les stéréotypes. C’était, à vrai dire, un de mes hobbies favoris. Détruire les clichés. J’adorais scruter les regards perturbés par la pluralité de mes diverses identités. J’aurais apprécié entamer mon master en études du genre en étant voilée. J’aurais aimé faire partie de milieux associatifs, académiques et bien d’autres domaines en étant voilée PARCE QUE LA VISIBILITÉ EST IMPORTANTE. Nous sommes toutes différentes et nous sommes capables de faire de grandes choses because we’re just freaking AMAZING.

 

Crédit photo : @tylerfeder

 

 

Ce n’est pas le voile qui nous empêche de faire ou d’être ce que l’on veut mais le reste du monde qui lui confère ce pouvoir-là, que ce soit du coté extrémiste religieux ou islamophobe, c’est le même mécanisme qui se met en place.

L’idée même de l’ôter me rebutait, cela faisait beaucoup trop longtemps que je le portais. J’avais tellement accompli avec. Avant ces derniers mois qui ont été décisifs, j’ai toujours été pleinement épanouie avec mon hijab. Ce simple vêtement faisait partie de mon identité. Qui deviendrais-je sans ? Que diraient mes proches musulman·e·s ? Je ne voulais pas non plus donner raison aux opposant·e·s du voile et leur donner satisfaction en leur permettant de penser que j’avais « enfin trouvé la raison ». Tout ce flux de pensées qui brouillait mon esprit ces derniers mois cessa lorsque je lus Headscarves and Hymens. Mona Eltahawy a également lutté pour la visibilité des femmes musulmanes dans la sphère publique et je me suis identifiée à un passage en particulier qui disait : « J’allais au métro et me disais à moi-même : je ne peux pas abandonner l’équipe. Que pensera-t-on des musulman·e·s si j’ôte mon voile après tout ce que j’ai dit et fait pour prouver qu’on pouvait le porter et tout de même être extravertie et féministe ? » (p. 56). Ce passage m’a littéralement fait pleurer, je ressentais exactement la même chose et j’ai réalisé à cet instant que je n’étais pas la seule à lutter intérieurement.

J’ai décidé de partager mon expérience avec vous parce qu’il est aujourd’hui urgent d’aborder ce genre de problématique au sein de nos communautés, et plus particulièrement pour faire passer le message qu’il est autant acceptable d’ôter que de porter son voile. Il y a des femmes qui luttent pour le porter, d’autres pour l’ôter. Le résultat est le même : nous nous faisons constamment dicter ce que nous devrions faire et cette habitude affligeante entrave notre cheminement identitaire et notre bien-être personnel. Ayant été totalement perdue, je me suis mise à pratiquer ce qu’on appelle le selfcare. Il était clair que je n’étais plus à l’aise avec mon hijab. Il m’étouffait. Et ce n’est pas du tout ce simple voile que je portais ni ma si chère religion qui me causaient ces maux-là, mais tout ce qu’on aime leur associer. C’en était trop pour moi. J’ai donc décidé de laisser mon militantisme physique de côté, mon appartenance religieuse restant toujours intacte. Je reste d’ailleurs une fervente alliée de mes sœurs voilées qui ont une force remarquable. Ensemble, nous ferons en sorte que les futures générations n’aient pas à faire de choix entre avoir la paix et afficher son appartenance religieuse. J’ai certes choisi un chemin plus facile, mais avant même de prendre soin de l’image de sa communauté, on se doit d’abord de prendre soin de soi-même. À toutes mes sœurs qui luttent, pensez à vous. Écoutez-vous. Comprenez-vous. Vivez pour vous.

 

 

Citations originales de Mona Eltahawy dans Headscarves & Hymens: Why the Middle East needs a sexual revolution (les citations en français sont une traduction personnelle) :

 

« Words are important- to fight silence, alienation, and violence. Words are flags planted on the planets of our beings; they say this is mine, I have fought for it and despite your attempts to silence me, I am still here. Just as important, words help us find each other and overcome the isolation that threatens to overwhelm and to break us. Words say we are here »  (p. 231).

« choosing to wear the hijab is much easier than choosing to take it off. And that lesson was an important reminder of how truly ‘’free’’ choice is » (p.55)

« I’d ride the metro and think to myself, I can’t let the team down. What will people think about Muslims if I take my headscarf off after all I’ve said and done to prove you can wear one and still be an extrovert and a feminist? » (p. 56)

 

Crédit image à la une : @jeeitd

 

 

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