À l’occasion de la 6e édition française du Muslim Women’s Day, la journée internationale des femmes musulmanes, Lallab lance une campagne de mobilisation digitale et médiatique autour des violences que subissent les femmes musulmanes en intracommunautaire et de l’impact de l’islamophobie sur ces vécus. Dans cet article, nous vous expliquons de quoi il s’agit et pourquoi nous avons décidé de nous attaquer à ce sujet.
« Violences intracommunautaires », de quoi parle-t-on ?
Les violences intracommunautaires, ce sont toutes les violences commises au sein de nos propres communautés, notamment nos cercles familiaux, religieux et militants. C’est cet homme qui utilise des arguments religieux pour exercer une emprise sur sa conjointe, cette femme qui tient des propos racistes sur les fidèles noir.e.s à la mosquée, ce responsable d’une association religieuse qui profite de la précarité de ses employées qui portent le foulard pour les sous-payer.
C’est un sujet important car ces violences ont un grand impact sur nos vies et notre santé mentale. Nous subissons déjà beaucoup d’oppressions dans les médias, au travail et dans les institutions. Nous aimerions donc que nos familles, nos mosquées, nos espaces militants, soient des lieux bienveillants dans lesquels nous pouvons nous ressourcer et recevoir du soutien. Et malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Certain.e.s musulman.e.s profitent même que nous soyons isolées ou précaires pour exercer des violences.
En plus de cela, les femmes musulmanes font également face à une violence institutionnelle dans la prise en charge de ces violences. Elles sont soit récupérées pour asseoir un discours raciste et islamophobe, soit discréditées en raison de leur culture et de leur religion considérées comme des sources d’oppressions.
De part et d’autre, cela nous indigne et nous souhaitons apporter tout notre soutien si vous êtes touchée par cela.
Pourquoi les violences intracommunautaires sont taboues ?
Pour les femmes musulmanes, dénoncer les violences intracommunautaires est une lutte sans fin ! Les musulman.e.s font l’objet de violences racistes et islamophobes : dans l’imaginaire collectif, ils sont considérés comme moins civilisés que les autres, plus violents, plus sexistes, leur culture et leur religion sont des sources d’oppressions. Ils sont également la cible de violences policières et subissent des discriminations dans les institutions et les entreprises. Face à cela, surgit la crainte, pour les femmes musulmanes, de renforcer ces discriminations en dénonçant des violences commises par des musulman.e.s. Au sein de nos communautés, cet argument est également utilisé pour nous inviter à nous taire.
Nous nous retrouvons ainsi dans un conflit de loyauté : faut-il taire ces violences qui ont un impact important sur nos vies ou bien les dénoncer, au risque qu’elles fassent l’objet d’une récupération islamophobe ? Rester silencieuses ou être accusées de trahison ?
Dans un précédent communiqué, nous avions dénoncé le labyrinthe émotionnel et psychologique dans lequel beaucoup de femmes, victimes de ces violences, se retrouvent, complètement démunies, délaissées par leurs semblables, leurs compagnon.ne.s de lutte, se retrouvant entre l’enclume et le marteau, entre d’un côté les violences institutionnelles et de l’autre les violences communautaires.
En quoi le fait que l’oppresseur soit musulman a une importance ?
Comme dans tous les milieux que nous fréquentons et qui sont traversés par le patriarcat, il existe également dans la communauté musulmane des mécanismes de violences systémiques. En politique, par exemple, on s’est rendu compte que l’une des techniques qui permet de faire taire les femmes était la loyauté au parti (« si tu parles, tu risques de nuire à l’image du parti »). Dans le monde du travail, il y a le rapport hiérarchique (« si tu dis non, je vais ruiner ta carrière »).
Au sein de la communauté musulmane, ces mêmes mécanismes de silenciation et d’intimidation opèrent, par exemple lorsqu’un homme utilise son savoir religieux pour instaurer un rapport de domination. Ou lorsqu’il s’appuie sur l’appartenance à la même communauté religieuse pour inciter la victime à se taire et à ne pas dénoncer les faits. Ou encore lorsqu’il profite du fait qu’une musulmane soit isolée socialement, professionnellement, à cause des oppressions qu’elle subit, pour exercer des violences.
Et l’instrumentalisation médiatique et politique dans tout ça ?
Le problème c’est que très souvent, les personnes qui abordent le sujet des violences sexistes et sexuelles au sein de la communauté musulmane ne sont pas concernées par ces questions. Elles confisquent la parole aux femmes musulmanes et traitent le problème uniquement sous le prisme du voile ou pour tenir un discours raciste dans les médias.
À présent, comment éviter que l’extrême droite (ou la droite tout court (ou la gauche universaliste (bref, des politiciens))) saute sur l’occasion pour dire que, « vous avez vu, on le dit depuis le début, les hommes musulmans oppressent leurs femmes, et puis de toute façon [insérer propos orientaliste, raciste ou islamophobe] ».
Rappelons d’abord que nous avons plusieurs remparts contre l’instrumentalisation. L’un des objectifs de Lallab est de construire une communauté de femmes musulmanes qui s’apportent du soin, qui créent et se mettent au centre de leurs propres narrations et qui prennent le pouvoir pour s’organiser collectivement et trouver des solutions. Une partie de nos réflexions se fait dans des groupes de parole, des réunions de travail. Nous organisons nous-mêmes nos ressources, de la page Instagram à la prise de parole médiatique en passant par le choix des intervenantes lors du festival, du Lallab Day… nous créons et gérons notre propre agenda féministe et antiraciste.
Ceci étant dit, il est important de le dire : nous ne pouvons pas contrôler ce que les islamophobes vont dire, on n’en est pas responsables et c’est injuste de nous faire porter cette responsabilité. Nous n’avons qu’une priorité : défendre les droits des femmes musulmanes qui se reconnaissent dans notre combat et faire entendre leurs voix.
Donc reformulons la question : est-ce que le risque de l’instrumentalisation est une raison suffisante pour invisibiliser le vécu des victimes et nous priver de réflexions intéressantes pour changer les choses ? Non ! Est-ce que si nous nous taisons l’islamophobie va miraculeusement disparaître ? Non ! Est-ce que notre priorité est de protéger les auteurs de violence, quand bien même ils sont musulmans ? Non !
Par contre, est-ce que nous avons envie de créer nos propres narrations, parler nous-mêmes de ces sujets que nous connaissons en profondeur, trouver nos propres solutions, plutôt que d’autres le fassent à notre place et très mal ? Oui ! Est-ce que nous pensons que ce sont des sujets importants, qui affectent nos vies et qui ont toute leur place dans le débat ? Oui ! Est-ce que nous préférons être à l’initiative de ces débats plutôt que ce soit l’extrême-droite ou les féministes universalistes qui s’en chargent ? Carrément !
Pour cette raison et depuis 6 ans chez Lallab, nous nous organisons pour dénoncer les violences intracommunautaires que subissent les femmes musulmanes dans nos mosquées, nos milieux militants, nos familles. Nous pensons qu’il est important et hautement politique de les écouter attentivement et d’être intransigeantes sur les violences qu’elles subissent, d’où qu’elles viennent. Avec cette nouvelle édition du Muslim Women’s Day, nous souhaitons dénoncer ces violences intracommunautaires et l’impact de l’islamophobie sur nos vies. Nous souhaitons mettre en lumière les récits des femmes musulmanes, co-construire une réponse solidaire et commune, alignée sur nos valeurs, ainsi qu’une synergie féministe et antiraciste afin de pouvoir nous organiser, proposer des solutions, briser ces cycles de violences et créer nos propres voies d’émancipation.
Retrouvez nos précédents communiqués sur les violences intracommunautaires (affaire Ramadan, imam de Montpellier, VSS dans les milieux militants).