Comment faire (re)naître la présence des femmes dans le monde du digital en Ile-de-France
J’ai eu l’occasion de connaître Mouna Jabri, jeune femme inspirante de 26 ans, par le biais de mon entourage. Tout, chez elle, m’a intriguée : son parcours, les associations dont elle est à l’initiative, et surtout cette startup qu’elle vient tout récemment de créer et qui met à l’honneur les femmes dans un secteur peu équitable en termes de parité : le numérique. Son parcours m’a intrigué ainsi que les associations dont elle est à l’initiative et surtout la startup qu’elle vient tout récemment de créer, mettant à l’honneur les femmes dans un secteur peu équitable en termes de parité : le numérique. Après réflexion, il paraissait plus que pertinent de mettre en lumière son cheminement afin de signifier que les femmes ont leur place dans des secteurs d’activité assignés, dans l’imaginaire collectif mais aussi dans la réalité, au masculin. Voici donc le portrait de Mouna, pionnière dans l’émancipation des jeunes filles et le numérique en Ile-de-France !
Un cadre familial et un entourage bienveillant à l’encontre des clichés
Mouna habite à Mantes-la-Jolie. Issue d’une famille marocaine, son père, professeur de mathématiques, et sa mère, d’abord mère au foyer puis professeure de langue, sont tous deux très impliqués dans le monde associatif.
Dès le collège, ses appétences pour la science et l’informatique permettent à Mouna de donner un coup de pouce à ses parents dans leur travail administratif, que ce soit dans leur métier ou leur engagement associatif. Mouna contribue à la partie support technique et bureautique et rédige des supports de formation. On peut donc dire qu’elle baigne dès sa plus tendre enfance dans l’engagement associatif. Elle vient d’une famille aimante et équilibrée et me précise que son modèle est « très éloigné du modèle familial stéréotypé qu’on peut accoler aux familles maghrébines françaises. »
Ses parents lui répétaient qu’il était important d’être sérieu-x-se et d’exceller à l’école mais que ce n’était pas l’essentiel : « il faut aussi laisser son empreinte dans la société française, apporter sa pierre à l’édifice et faire attention à ne pas s’enfermer dans un communautarisme ». Ils ont mis un point d’honneur à lui transmettre des valeurs universelles, et l’idée qu’il ne faut pas se perdre dans une vision trop binaire de la France. Mouna garde la conviction qu’il faut avant tout faire, créer et imaginer avec les personnes qui nous entourent. En d’autres termes, avoir conscience du vivre ensemble. C’est une des valeurs principales qui lui ont été inculquées. Elle me dit que son but est de savoir utiliser le système et vivre avec, en vue de servir une noble cause et la communauté globale, tout en étant le frère ou la sœur de quelqu’un.
Après le bac, elle se dirige vers une classe préparatoire en maths-physique, puis, à l’issue d’un concours ardu, intègre les Mines de Nantes, une prestigieuse école d’ingénieur-e-s. Elle y apprend et développe des compétences techniques, des « soft-skills » – c’est-à-dire des compétences humaines – ainsi qu’une importante capacité d’adaptation. Elle n’est pas en reste en ce qui concerne les langues puisqu’elle est inscrite dès l’âge de 2 ans dans une école d’arabe, une double culture qu’elle porte fièrement en elle.
Au sein de l’association Sigma F – dont elle est en partie à l’initiative – elle œuvre en faveur de jeunes lycéens et lycéennes, en les guidant vers la voie du bac. Elle finalise ses études dans son domaine de prédilection en effectuant un stage dans la data science chez Renault. Elle me dit qu’elle se sent reconnaissante car elle admet avoir eu le choix du chemin de l’excellence.
Tout au long de son parcours, un mot l’a guidée : la bienveillance. D’abord grâce à un environnement familial sain et prospère dont un petit réseau qui lui a permis de saisir certaines opportunités, mais également grâce à un environnement professionnel qui lui a été favorable, du moins au début de sa carrière chez Renault. Elle a compris et identifié que ces éléments ont été nécessaires pour son ascension et aujourd’hui, elle veut transmettre à son tour afin de créer un cercle vertueux. Malgré ce constat, Mouna en attend plus en termes d’impact.
Les embûches : « On ne connaît la douleur d’un coup de couteau que lorsque l’on en reçoit un » proverbe arabe
Malgré ce joli parcours qui paraît sans faille, les premières barrières de la discrimination se dressent sur son chemin. Mouna est une femme musulmane qui porte le voile. Et le monde de l’entreprise, notamment le secteur du numérique, laisse bien souvent ses portes fermées aux femmes, notamment aux femmes voilées.
C’est sans tenir compte de la résilience de la jeune ingénieure mantaise. Ses moments difficiles lui ont permis de gagner en humilité et d’anticiper les difficultés qu’elle pourrait potentiellement rencontrer dans le futur. Pour me faire comprendre la manière dont elle a subi des discriminations à l’embauche, Mouna me raconte quelques anecdotes à faire grincer des dents. Après des entretiens téléphoniques, qui s’avéraient des succès, on lui demandait de venir physiquement dans les locaux de l’entreprise comme une simple modalité puis, Mouna constatait une gêne palpable à son arrivée… Les recruteurs n’explicitaient pas la plupart du temps la raison pour laquelle finalement, elle ne pourra pas être prise sur le poste. Ou l’éludaient. Un simple « mais vous savez pourquoi hein ? » la ramenait à la réalité. Ils trouvaient parfois des subterfuges dans le but de se dédouaner : « Ce n’est pas de ma faute, je suis désolée, de notre côté cela ne pose pas de problème mais le client refuse le port du voile… »
L’éducation de Mouna lui a permis d’avoir confiance en son intégrité. Sans sa famille, elle m’affirme tout de même qu’elle aurait sans doute baissé les bras tant la pression sociale est forte.
Elle se questionne et se demande pourquoi dans les parcours scolaires de manière générale, on ne nous apprend pas à développer cette force d’affirmation et cette fierté liée à nos identités culturelles et nos métissages. Mais Mouna n’a pas laissé tomber et a continué à chercher un emploi dans le secteur de l’éducation et de la santé.
Une semaine avant de souffler les bougies de sa 23ème année, elle postule à une offre dans le secteur de l’environnement en tant qu’ingénieure data analyst. En guise de cadeau d’anniversaire, elle est embauchée et vivra dans cette entreprise une expérience très enrichissante. Basée en France, Pur Projet lui a offert un accueil plus que chaleureux, lui a permis d’endosser de grandes responsabilités et d’acquérir un volet de formation sur les aspects numériques du métier.
Entre-temps, elle poursuit son bénévolat au sein de son association Sigma F, comme évoqué précédemment. C’est aussi un moyen de comprendre les aspirations de jeunes qui ont pu avoir moins de chance. Chez Sigma F, des bénévoles préparent les lycéens à l’épreuve bac durant 3 mois avant leur passage, et leur proposent un programme intensif de révisions et de développement personnel orienté scolaire, programme “sur mesure” qui tente avant tout de bien comprendre les besoins de la population. Sigma F comptait 10 bénévoles et 20 bénéficiaires lors de sa création, aujourd’hui il en compte 300 (bénévoles) et près de 600 bénéficiaires. Cette association connaît donc un fort engouement en plus de créer un réseau de solidarité exemplaire.
Au sein de Sigma F Mouna suit un groupe de jeunes femmes en filière scientifique. Elle se rend compte que le fait d’être seulement entre femmes leur donne plus de confiance, que la parole est plus libérée, un peu comme dans une petite bulle. Mouna souhaite conserver cette ambiance de sororité à l’avenir. Il est temps pour elle de déconstruire les clichés et fondements bancals sexistes que l’on attache à ces domaines. Notons qu’elle a également expérimenté des groupes de paroles et de travail mixtes évoquant des thématiques diverses dans des secteurs autres que les nouvelles technologies.
Une passion pour la transmission : naissance de Witech
Toutes ses expériences et les personnes rencontrées sur son chemin ont nourri son désir d’impacter positivement la société française.
C’est en juillet 2019 que les premières pierres se posent. Elle prend du recul pour établir un plan d’action, et se dit qu’elle a résolument envie de voler de ses propres ailes, de se fixer ses propres horaires, que l’équilibre entre le travail et la vie associative n’est pas chose aisée, qu’elle a besoin de sortir de sa zone de confort, de rompre avec le conventionnel, mais aussi de créer sa propre identité.
En parallèle de cette réflexion, elle suit des formations dans la data science, ce qui l’amène à travailler en tant que freelance, c’est-à-dire en indépendante. Elle peut désormais se dédier à son association à plein temps. Le territoire est également une de ses préoccupations premières, plus particulièrement celui où elle a grandi. Le manque de formation technologique y est criant. La population de Mantes-la-Jolie est comme sa famille, les jeunes qu’elle suit et qu’elle motive ne sont pas des bénéficiaires lambda et elle veut se donner à 100% pour eux.
A l’été 2020, les choses s’accélèrent. Elle forme des élèves de master en langage de Programmation et se lance dans des recherches, fait des ponts avec son parcours, et son plan d’action prend forme. L’idée de créer son propre cadre émerge dans son esprit. Le temps est venu de fonder son association. Ça y est, son projet d’initiation à la programmation informatique pour les femmes et jeunes filles est formalisé : voici Witech.
Elle veut aujourd’hui offrir aux jeunes gens, aux jeunes filles surtout, la capacité à s’auto-former de la même manière qu’elle a pu le faire, chose possible via les outils informatiques et internet, terreau fertile inépuisable quand il est manié avec précaution et habilité.
Son but principal ? Transmettre. Pas seulement pour capitaliser de la connaissance mais avant tout pour transmettre à l’Autre. La transmission du savoir, me rappelle-t-elle au téléphone, est aussi un levier d’action sociétal puissant qui agit à la racine des problèmes. L’esprit d’inclusion dans sa start up sociale demeure l’une de ses priorités. Il faudrait, idéalement, se débarrasser des parasites du monde de l’entre-soi ! Mouna me rappelle gaiement qu’“aujourd’hui il y a de la place pour tout le monde ! » L’idée est aussi d’être dans une démarche de réception et non uniquement dans un rapport unilatéral vis-à-vis des apprenants.
Les doutes l’assaillent tout de même et elle m’avoue que le sentiment d’imposture est parfois présent chez elle. C’est pour moi un grand signe d’humilité ! Car Mouna a fait des rencontres avec des acteurs associatifs clefs qui l’ont conseillée et soutenue, mais elle a surtout saisi les opportunités qui s’offraient à elle.
Witech et le futur
Mouna a également imaginé cette startup d’après un constat national : la tendance est à la hausse quant à l’embauche des postes dans le numérique – 200 000 emplois en France*mais il réside des inégalités quant à sa présence féminine, tout simplement car, en plus de la barrière psychologique, elles ne tendent pas à s’orienter vers les domaines du numérique. Parmi celles qui font des études supérieures dans le domaine numérique, 25% d’entre elles sont diplômées mais seulement 13% parmi elles travailleront plus tard dans l’emploi numérique**. Seulement 33% des salariés de tous les métiers du numérique sont des femmes*** Le point de vue « androcentrique » dans la sphère numérique est à changer, car n’y intègre pas ou peu l’apport féminin pourtant nécessaire. Le numérique prend pourtant une place centrale dans nos sociétés, notamment depuis la crise sanitaire qui nous oblige à repenser nos modes de communication et de transmission via le digital, presque unique canal de communication viable en ces temps. Un autre aspect à soulever, celui de la présence de « role models » féminin, qui varient en fonction des territoires. Leur besoin est encore plus important dans les quartiers populaires. La fracture numérique dans les banlieues françaises creuse de façon démesurée ces inégalités, ce qui engendre un non-accès à l’information, et de ce fait un non-accès aux opportunités.
Plus concrètement, Witech ce sont des actions pour adresser les problématiques sociales dans la bienveillance mais avec une valeur ajoutée : faire en sorte que les femmes se sentent légitimes pour relever le défi du numérique en plus d’apporter de la fraîcheur et de l’innovation. Witech c’est aussi accueillir toutes les femmes. « Chacune de nous à un potentiel inné et des compétences transposables » explicite Mouna, qui veut construire un monde où prévaut l’équité. Le besoin ne peut être compris s’il n’est pensé que par les hommes, rappelle-t-elle.
Trois volets organisent cette start up sociale. Le volet « INITIER » qui initie à la programmation informatique dès la 3ème pour démystifier l’environnement informatique pour tous et ne pas se créer des barrières; le volet « FORMER » qui propose une formation pour acquérir des compétences numériques et bureautiques; et enfin le volet « VALORISER » qui, par l’événementiel, peut répondre aux problématiques sociales afin de créer une dynamique pour que les jeunes filles et même les jeunes garçons sentent qu’ils peuvent être act-eur-rice-s des changements.
D’ici cinq ans, Mouna souhaiterait fonder une école de formation dans la tech pour les filles avec la possibilité d’accueillir des garçons dans un second temps. Dans un futur plutôt éloigné, elle aimerait aller encore plus loin en outillant les populations en Afrique pour pallier la fracture du numérique, notamment au Maroc où le besoin d’informatique est criant.
Cette start up sociale et le parcours de Mouna, sa créatrice, procurent un sentiment d’espoir et de sororité. Oui, les femmes, de toutes confessions confondues qui plus est, ont en elles toutes les capacités pour travailler dans les secteurs du numérique, de l’informatique et des nouvelles technologies. Prenant à contrepied l’attitude de certains requins de l’entrepreneuriat technologique, Mouna nous démontre que l’éthique et l’empathie ne sont pas des instruments à cantonner uniquement à la sphère caritative, mais qu’il s’agit bien de véritables outils pour orienter notre innovation.
Mouna n’a pas qu’une corde à son arc. Le 1er mars 2020, son premier livre, La Source est publié, ouvrage qui est né à la suite à toutes ses réflexions et inspirations, pour inciter à être à même de pouvoir assumer ses valeurs et montrer un message positif de l’héritage culturel et spirituel qu’il existe en chacun de nous, sans craindre de l’assumer. Son livre insiste sur la bienveillance, notion qui est très ancrée dans l’Islam, me dit-elle. Ce livre émane d’une volonté de partager les aspects universels de son héritage spirituel.
Merci et bravo à toi Mouna pour ces initiatives !
*(source : chiffre conclu selon les données de France Stratégie / la Dares, confirmée par Pole emploi > https://www.pole-emploi.org/accueil/actualites/2021/metiers-du-numerique–developper-aujourdhui-les-competences-de-demain.html?type=article)
**(source : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/84bd6dea-2351-11e8-ac73-01aa75ed71a1/language-fr)
***(source : https://syntec-numerique.fr/sites/default/files/Documents/cp_attractivite_des_femmes_-_opiiec_pour_diffusion.pdf)
Crédit photo image à la une: Mouna Jabri
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