Pour moi, le mois de Ramadan est l’occasion de revenir à l’essentiel, de nous détacher de nos désirs matériels et de réfléchir au sens que nous donnons à notre vie et à nos actes quotidiens. Et dans une société où nous sommes avant tout défini·e·s comme des consommateurs·trices, cela concerne aussi notre manière de consommer et l’impact que celle-ci a sur le reste de la Création – humains, animaux, végétaux, etc. Aujourd’hui, c’est ma foi qui m’aide à revoir mes pratiques et à tenter de les orienter vers plus de sobriété, de respect de notre environnement et de justice sociale.
Lorsque je relis nos sources scripturaires, le Coran et la Sunna (les actes et les propos de Muhammad, que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui), je me demande comment on fait pour passer à côté d’enseignements si importants. Pourquoi la surconsommation et le gaspillage sont-ils si répandus parmi nous, en particulier pendant Ramadan, alors que notre Prophète vivait de manière si sobre ? Pourquoi ne sommes-nous pas les pionnier·e·s en termes de protection des humains et de la nature, alors que l’éthique islamique est si claire à ce sujet ?
Le rôle essentiel de la nature dans notre rapport à Dieu
En effet, nombreux sont les versets coraniques qui nous incitent à admirer la nature qui nous entoure, à prendre conscience des bienfaits qu’elle représente, et à méditer sur ce que les musulman·e·s considèrent comme des signes de l’existence de Dieu.
« N’avons-Nous pas disposé la Terre comme un berceau et les montagnes comme des rivets de fixation ? Ne vous avons-Nous pas créés par couples, institué le sommeil pour votre repos, étendu la nuit sur vous comme un manteau et réservé le jour à la recherche de votre subsistance ? N’avons-Nous pas élevé au-dessus de vous sept Cieux inébranlables, dans lesquels Nous avons placé un flambeau éblouissant ? Et des nuages accumulés ne faisons-Nous pas descendre une pluie abondante, par laquelle Nous faisons pousser des grains, des plantes et des jardins luxuriants ? »
(Sourate 78 – An-Naba (la Grande nouvelle), versets 6 à 16)
Il existe même une adoration particulière qui consiste à méditer sur la Création divine. Elle se nomme en arabe tafakkur, ce qui pourrait se traduire par « contemplation méditative ». C’est une pratique recommandée pour revivifier notre cœur et nous rapprocher de Dieu. Malheureusement, enfermé·e·s comme nous sommes dans nos grandes villes, entouré·e·s par le béton, nous avons perdu cette connexion à la nature qui nous mène vers Dieu. Tout nous paraît banal, et nous ne nous émerveillons plus de l’eau qui fait pousser notre nourriture, de l’immensité de l’univers, ou de l’incroyable diversité des plantes et des animaux.
Crédit : Nujabes
Pour les arabophones et/ou les anglophones parmi vous, je recommande l’excellente mini-série Faseero du cheikh Fahad Alkandari, qui fait joliment le lien entre nature, foi et science (en arabe sous-titré anglais).
Le khilafat, une responsabilité qui incombe aux humains
Cette prise de conscience que tout ce qui nous entoure appartient à la Création divine est une première étape : l’islam est ensuite clair sur la responsabilité qui incombe aux êtres humains pour la préserver.
Le Prophète (que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui) a ainsi dit :
« Le monde est beau et verdoyant et en vérité, Dieu, soit-Il glorifié, a fait de vous Ses intendants, dans ce monde, et Il voit de quelle façon vous vous acquittez de cette tâche. »
(rapporté par Mouslim)
Selon la notion de khilafat, nous sommes, en tant qu’êtres humains, des vicaires, des intendants sur Terre. Au même titre que notre corps, les éléments de la nature sont un dépôt, une amâna : ils ne nous appartiennent pas, mais nous avons la responsabilité de leur gestion. En tant que musulman·e·s, nous avons la conviction que nous devrons donc rendre des comptes, au Jugement dernier, sur la manière dont nous aurons pris soin de cette amâna. C’est pourquoi nous devons agir au quotidien pour être à la hauteur de cette responsabilité.
« Va de l’avant, à condition que ce soit à titre de bienfaiteur et non de voleur, de cultivateur et non de destructeur. »
(Ali ibn Abi Talib, un des plus proches compagnons du Prophète et le dernier des « 4 califes bien guidés »)
Préserver les ressources naturelles et faire preuve de bienveillance envers tous les êtres vivants
Comment cette « bonne gestion » doit-elle se manifester ? Les enseignements islamiques soulignent notamment l’importance de faire preuve de miséricorde envers tous les êtres vivants sans distinction. Il est par exemple question d’une personne ayant vu ses péchés pardonnés pour avoir abreuvé un chien qui mourait de soif. A ses compagnons qui s’en étonnaient, le Prophète avait répondu : « Il y a une récompense pour tout bien fait à tout être vivant. » A l’inverse, il est relaté qu’une femme est entrée en Enfer pour avoir séquestré et affamé une chatte jusqu’à ce qu’elle meure (hadiths tous deux rapportés par Boukhari et Mouslim).
L’islam nous enjoint également à préserver les ressources naturelles. Alors que le compagnon Sa’d ibn Abî Waqas faisait ses ablutions, le Prophète lui demanda : « Qu’est-ce que ce gaspillage, ô Sa’d ! ». Sa’d répondit : « Y a-t-il un gaspillage dans l’ablution ? » Le Prophète dit alors : « Oui ! Quand bien même tu serais au bord d’une rivière ! » (rapporté par Ibn Majah).
Ceci fait écho à l’éthique islamique de la modération, qui nous incite à vivre de manière sobre et à nous contenter de peu :
« Celui d’entre vous qui se réveille le matin en sécurité parmi les siens ne souffrant d’aucun mal dans son corps et possédant la nourriture de sa journée, c’est comme si l’on avait amassé pour lui tous les biens de ce monde. »
(rapporté par at-Tirmidhi)
Crédit : Muslim travelers
Comment remédier au décalage avec nos modes de vie et de consommation actuels ?
On ne peut que constater le gouffre qui sépare ces paroles de notre mode de vie actuel. Bien souvent, nous n’apportons pas l’attention qu’il faudrait à ce que nous consommons : dans quelle quantité, de quelle manière, et surtout avec quel impact sur nos frères et sœurs en humanité et sur notre environnement.
Pouvons-nous ainsi nous contenter d’un sticker « halal » sur la viande que nous achetons, sans nous soucier des devoirs que nous avons envers les animaux et des conditions affreuses de la production industrielle ? Ou sans nous inquiéter du rôle de la surconsommation de viande sur la persistance de la faim dans le monde, du fait de la monopolisation de terres agricoles pour nourrir le bétail ?
Pouvons-nous ingurgiter tout et n’importe quoi, en oubliant que notre corps est un dépôt, une amâna, et que nous l’empoisonnons à coups de produits chimiques et d’excès en tout genre ?
Pouvons-nous acheter et jeter sans réfléchir, sans penser au fait que « Dieu n’aime pas ceux qui gaspillent » (sourate 6 Al-An’âm (les Bestiaux), verset 41) ?
Pouvons-nous remplir notre armoire d’habits ou d’objets aux prix dérisoires, en fermant les yeux sur le fait qu’ils ont été fabriqués par des esclaves modernes ?
Pouvons-nous nous soucier seulement d’acheter les produits les moins chers, en omettant qu’ils maintiennent d’autres humains dans des conditions de vie indignes, et alors que nous avons des alternatives avec les producteurs locaux et le commerce équitable ?
Pourrons-nous plaider l’ignorance alors que nous disposons de tant de moyens de nous informer ?
Je suis la première concernée par ces questions, et bien que mes habitudes évoluent petit à petit, j’ai encore énormément de chemin à parcourir pour que mon mode de vie soit en adéquation avec mes aspirations éthiques. Fort heureusement, des initiatives existent pour nous accompagner dans cette transition, comme le blog d’Oum Naturel, celui de Consomouslim, ou encore la page des Permaculteurs musulmans.
Il y a une autre bonne nouvelle – c’est qu’il n’est jamais trop tard :
« Si la fin du monde venait à survenir alors que l’un d’entre vous tenait dans sa main une plante, alors s’il peut la planter avant la fin du monde, qu’il le fasse ! »
(rapporté par Ahmad)
Crédit image à la une : Iris / Scanpix
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