Vêtue d’un foulard turc et de boucles d’oreilles portugaises, Ndeye semble ouverte à toutes les cultures. Son parcours le confirme, ce qui ne fait que consolider l’inspiration de cette écrivaine, pour notre plus grand plaisir.
Un parcours atypique
Née à Aubervilliers, dans le 93, Ndeye a “migré dans une petite ville du 95, plus proche de la nature, moins du bitume”. Mariée, cette femme de 31 ans vient d’une famille nombreuse. Infirmière depuis 8 ans, elle exerce désormais dans un lycée professionnel, où se trouvent plusieurs élèves racisé·es, faisant face à de nombreux problèmes, certain·es étant des mineur·es isolé·es. “C’est important qu’iels soient entouré·es de personnes qui leur ressemblent et qui parlent leur langage” affirme Ndeye. Enrichie par cette expérience, elle est cependant moins payée qu’à l’hôpital. Son altruisme vient sûrement de son engagement dans le service jeunesse d’Aubervilliers. Baignant dans le monde associatif, avec une mère militante pour les droits des femmes africaines, Ndeye a coordonné plusieurs projets humanitaires. Ses nombreux voyages l’ont ainsi rendue de plus en plus “consciente de la pauvreté dans le monde”. Pourtant, elle semble l’être depuis son plus jeune âge, inspirée par son père.
Mais la militante en conclut qu’il vaut mieux “d’abord travailler chez soi”. Estimant que tout dépend des politiques menées par le gouvernement, “distribuer du riz et du pain” ne lui semble pas constituer de véritable solution sur le long-terme. “C’est dur de prendre cette claque, mais c’est important de faire preuve d’humilité et de s’interroger sur son pouvoir d’action”, explique cette ancienne militante qui a partiellement arrêté l’associatif. Elle considère que les personnes sans domicile fixe ont surtout besoin qu’on leur trouve des logements, pour une réinsertion sociale. “C’est pas ta petite chorba ou ton sandwich qui suffit à régler le problème”, affirme-t-elle. Ndeye regrette également la concurrence entre les différentes associations humanitaires, mais aussi le fait de culpabiliser les potentiels donateurs et donatrices. “En attendant, des gens vont mourir et notre devoir en tant que musulman·e·s, c’est de ne pas agir sans réfléchir”, rappelle-t-elle. Elle conseille notamment de construire des projets grâce à des formations gratuites. “Allah t’a donné une intelligence, mais lorsqu’Allah te demandera ce que tu en as fait, que répondras-tu ?” s’interroge-t-elle, déplorant le “manque cruel de solidarité et de conscience de l’autre”, alors qu’il est possible d’aider “en bas de chez soi, même un voisin ou la famille au bled”.
Ndeye. Crédit : Ndeye
Les relations humaines correspondent sûrement à l’une de ses plus grandes épreuves dans le milieu militant. “C’est compliqué d’interagir avec les gens, les intérêts et les ambitions ne sont pas forcément les mêmes, mais il faut quand même faire avec l’humain”, estime Ndeye, ayant été très engagée à Aubervilliers, ce qui l’a menée à la politique : “la plus grosse erreur de ma vie”, rit-elle. La jeune femme s’était lancée avec le Front de Gauche parce qu’elle considérait que “tout le monde était animé par le don de soi. Je croyais au côté communiste”, confie-t-elle, avant de dévoiler sa déception. Elle avait notamment organisé un concert rassemblant les groupes de rap de chaque quartier d’Aubervilliers, afin d’atténuer les tensions et de récolter des dons, grâce aux grands frères des quartiers. Au même moment, tous les responsables de l’animation ont été convoqués pour une réunion d’urgence. “Je tombe de super haut mais certains ne s’y rendent pas, je les remercierai toute ma vie” admet-elle. Elle ne regrette cependant pas cette expérience qui l’a forgée. Elle était perçue comme trop “grande gueule”, ce qui ne plaisait pas, surtout pour une femme musulmane et noire. Elle rit aussi de la fétichisation du voile, de la volonté de voir ce qui s’y cache. “Pourtant, parfois, on est juste cheum en-dessous [moche en verlan, ndlr]”, rit-elle.
Des missions humanitaires aux quatre coins du monde
Ndeye se souvient de sa toute première mission humanitaire, au Burkina Faso, durant son stage d’étudiante infirmière. “Tous les jours, au moins deux enfants mouraient, on se retrouvait paradoxalement dans le premier pays producteur de coton mais sans coton à notre disposition”, dévoile-t-elle. La chirurgie s’effectuait sans anesthésie, certaines personnes mouraient dans la cour de l’hôpital, ressemblant à une maison, dans laquelle les patients attendaient, sous un soleil de plomb. “Je me demandais ce que je faisais là, c’était beaucoup trop de violence”. “Vous les Français, vous nous prenez pour une poubelle !” s’énervait l’un des infirmiers burkinabés auprès de Ndeye. Elle explique que les centres hospitaliers français envoient du matériel, mais périmé depuis plusieurs années. En l’espace de cinq jours, tout ce qui avait était envoyé dans huit valises était utilisé. “On a un réel problème dans notre façon de considérer les Africain.e.s” déplore-t-elle. Six mois après, Ndeye a connu une dépression (un syndrome post traumatique) Sa formatrice lui a demandé si ça allait, remarquant la chute de ses notes, mais l’étudiante s’effondre, ayant assisté au décès d’un enfant burkinabé, après trois semaines de lutte acharnée pour le maintenir en vie. “Son père était hyper touchant, il avait tout vendu pour se procurer des antibiotiques”. Juste avant de mourir, cette fille semblait guérir. “Lorsqu’elle est morte, je suis sortie dans la cour, à deux doigts de crier, je marchais vers le palais présidentiel, je voulais les tuer”, confie-t-elle, avant d’être raisonnée par ses camarades.
Quelques années plus tard, Ndeye se rend dans une réserve indienne au Québec, suite à une marche organisée en 2012 par la communauté algonquine (anishnabé étant le dialecte indien) Il s’agissait d’un projet de reconstruction de cabanes dans les bois, difficile puisque cette communauté est délaissée par l’Etat. “Ces personnes sont confrontées à un dilemme : rester rouge ou devenir blanc·he”, puisque dans la loi, la citoyenneté canadienne semble incompatible avec le statut “d’indien·ne”. “T’es pas immigré·e, t’es dans ton pays mais tu ne peux pas voter”, regrette Ndeye. Au Québec, il faut attendre 1969 pour que les Autochtones bénéficient du droit de vote, ce qui ne gomme pas pour autant les nombreuses discriminations auxquelles iels font face. Ndeye s’est donc retrouvée dans une réserve durant un mois, sans eau courante et sans électricité. “Je me lavais dans un lac, mais j’allais très loin pour ne pas être vue sans mon voile”, rit-elle. La jeune femme s’est aussi rendue deux fois en Palestine, à Madagascar, en Tunisie et au Maroc, pour du bénévolat dans un orphelinat de Taroudent. Il s’agissait de s’occuper des enfants de rue dépendants de la colle et des jeunes filles prostituées. “La présidente de l’association AHLI m’a confié qu’elle refusait de se marier pour s’occuper de ces enfants, c’est mon héroïne”. Ce médecin offrait gratuitement des consultations à ces enfants.
L’écriture en guise de thérapie
Texte de Ndeye sur le Ramadan. Crédit : Page Facebook de Ndeye Papillon
L’artiste commence à écrire au lycée. “J’ai honte de l’avouer, mais c’était du rap, des textes animés par la colère, que mon frère trouvait nuls”, rit-elle. J’ai l’impression de mieux écrire quand je me sens mal, c’est comme une thérapie”. Elle est encore très touchée par l’émotion que ses textes peuvent susciter chez des inconnu·es. “Une femme m’a dernièrement contactée pour me rencontrer, lisant mes textes depuis deux ans, en me disant que ça l’avait beaucoup aidée à sortir d’une épreuve”, dévoile l’écrivaine, encore plus touchée par le fait que cette femme soit athée, puisque les textes de Ndeye parlent souvent de Dieu. “Les mots ont énormément de pouvoir, aussi bien positif que négatif, c’est mon oxygène”. Ses écrits sont très liés à sa foi, qu’elle considère complète lorsqu’elle est présente dans chaque fait et geste. “C’est pas juste les cinq prières”, mais aussi ce qui ne semble pas avoir de caractère religieux, ce qui se ressent dans le for intérieur. “On a tous des moments où on se sent hyper proche de Dieu, en plénitude, tellement rempli·e par la foi qu’on ne ressent aucune gêne”, évoque-t-elle, très émue.
Texte de Ndeye sur le racisme. Crédit : Page Facebook de Ndeye Papillon
Dans certains textes, elle mentionne aussi le racisme. “Même si l’intention n’est pas là, plein de comportements l’entretiennent et ça n’est plus acceptable”, considère Ndeye, qui en parle pour alerter, ce qui dérange parfois ses proches, blanc·hes ou arabes. La Franco-Sénégalaise a grandi dans une cité où l’écrasante majorité des habitant·es étaient nord-africain·es, “du pharmacien à l’épicier, en passant par le marchand de glaces, je comprenais même le dialecte algérien !” rit-elle. Mais Ndeye était perçue comme la “petite kahloucha [terme péjoratif pour parler des noires, ndlr]” par certains parents de ses amies. Cela la touche profondément. Cette femme continue cependant de répandre sa sagesse sur son profil Facebook, Ndeye Papillon, en attendant d’autres projets, inshAllah.
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