A l’occasion du Muslim Women’s Day, la journée internationale des femmes musulmanes de 27 mars, Lallab a lancé un appel à témoignages afin de récolter vos histoires de femmes musulmanes sur vos expériences, sur les discriminations et les violences vécues en relation avec le système éducatif en France.
Fatima : « Malgré d’excellents résultats et un master obtenu avec une mention très bien, j’ai lutté pour pouvoir faire un doctorat »
Durant mes études supérieures, j’ai été discriminée à de nombreuses occasions à cause de mon foulard notamment durant mes recherches de stages en laboratoire de recherche – souvent les laboratoires étaient localisés en milieu hospitalier. Malgré d’excellents résultats et un master obtenu avec une mention très bien, j’ai lutté pour pouvoir faire un doctorat. J’ai eu la chance de rencontrer un chef de labo qui m’a acceptée telle que je suis – ce chef de labo était anglais d’où peut-être sa plus grande ouverture d’esprit. Mon chef de labo a été à différentes reprises questionné sur le fait d’accepter une voilée dans une institution publique. J’ai réalisé mon doctorat sans bourse de thèse malgré ma mention. Au concours pour la bourse de thèse, j’ai ressenti l’hostilité du jury et mes professeur.e.s d’université m’ont dit qu’il aurait fallu que j’y aille sans mon voile. Mes camarades de promo ont tous obtenu une bourse pour poursuivre en doctorat même ceux ayant eu une mention assez bien et bien.
Malgré le fait que ce n’était pas dans les conditions idéales, j’ai persévéré et continué en doctorat après une longue bataille avec l’université. Tout au long du parcours, j’ai subi des remarques ou des rumeurs de couloir qu’avec l’habitude j’ai appris à ignorer. J’ai montré et fait reconnaître mes compétences à ceux qui voulaient prendre la peine de m’entendre.
A la fin de mon parcours, et après une longue réflexion face à la difficulté évidente d’obtenir un poste à l’université ou dans un centre de recherche CNRS ou INSERM en raison de la partie présentation orale du concours où je devrais faire face à un jury, j’ai décidé de ne plus me présenter à aucun concours et de m’expatrier – depuis 4 ans j’ai quitté la France – pour vivre de façon plus épanouie malgré la distance et l’éloignement des proches et ami.e.s.
Oskar : « En tant que musulmane, tu n’as rien à dire ? »
Les micro violences et les réflexions sont quotidiennes.
Ce qui m’a le plus blessée, c’était lors de la semaine après les attentats de Charlie Hebdo. J’étais en Master en communication graphique, les professeur.e.s voulaient discuter avec nous de l’impact que les événements avaient sur nous.
Je ne disais rien, je m’étais assise au fond de la pièce, car je ne voulais pas entrer dans une polémique, je ne soutiens pas les publications de Charlie Hebdo, qui m’ont souvent heurtée.
Et soudainement, le professeur demande si personne ne veut encore rajouter quelque chose. Tout le monde se retourne sur moi. Tou.te.s attendaient que je prenne la parole. J’étais crispée et je ne savais pas quoi dire.
Le professeur me regarde et me dit : « En tant que musulmane tu n’as rien à dire ? »
Je lui ai dit que non et il a continué à insister. Devant plus de 50 personnes, il voulait me forcer à dire que je soutenais Charlie Hebdo et ses publications.
Personne ne m’a aidé, tou.te.s le soutenaient, se disant que j’avais « l’obligation morale » de les soutenir.
Je mordais l’intérieure de ma joue pour ne pas craquer. J’étais au bord des larmes.
Quand finalement, une de mes professeur.e.s est rentrée et a demandé ce qu’il se passait. Elle avait observé la scène par les portes vitrées (elle me l’a dit après). Elle a fait alors comprendre au professeur que je n’avais pas à prendre position publiquement et qu’il ferait mieux d’arrêter.
Si elle n’était pas intervenue, je ne sais pas ce qu’il se serait passé, car les étudiant.e.s entrainé.e.s par le professeur se mettaient à dire la même chose.
Et moi je répétais sans cesse que je ne voulais pas entrer dans le débat.
Je n’ai pas réussi à aller en cours pendant deux semaines, j’étais terrorisée.
J’ai failli rater ma dernière année de Master à cause de ça. Tellement cela m’avait traumatisée. Je pense que si ça n’avait pas été ma dernière année, je n’aurais pas réussi à recommencer une année scolaire.
Soolef : « J’ai 21 ans mais je ne veux pas passer ma vie dans un contexte comme celui-ci »
Bonjour, hello, Buenos dias, السلام عليكم جميعا
Je n’écris que ces quatre langues.
Je suis actuellement étudiante en Master didactique des langues et cultures, dans le domaine de l’enseignement du Français langue étrangère et de l’arabe langue étrangère.
Je témoigne aujourd’hui pour dénoncer les stéréotypes et les représentations idéologiques faites sur nous, comme sur d’autres personnes discriminées. J’ai dû postuler pour de nombreux stages cette année dans le cadre de mes études. Les réponses que j’ai essuyées étaient des refus, si vraiment les organismes faisaient le « geste » de me répondre. Ces réponses étaient un méli-mélo de manque de respect, d’orgueil et de haine. On me le faisait clairement sentir pour : mes origines, mes croyances, mon voile. En effet, je vais du plus général au plus spécifique. Je ne manque pas de bonne volonté, ni d’ambition, ni d’enthousiasme. C’est ce qu’on me disait. Pourtant les réponses en disaient autrement. Et ceci ne concerne que mon stage.
Quand à mes demandes d’emploi ou au moins job étudiant, les réponses et retours étaient d’autant plus négatifs. Oui, nous femmes musulmanes nous étudions, travaillons, faisons du sport, chantons, et bien d’autres choses. Il en est de même pour ma scolarité et mes études mais j’ai persévéré. Demandez-moi où j’ai postulé pour mes stages. J’ai certes postulé dans des organismes institutionnels et non-institutionnels. Un peu partout en effet. Il est temps de rendre à la laïcité son véritable sens. Son sens premier. Son essence.
La laïcité n’est pas de supprimer toutes les religions et d’imposer l’athéisme. Mais plutôt que toutes les religions, et tous les cultes coexistent, cohabitent, vivent ensemble. Merci de m’avoir lue. Il est vrai que cela fait énormément de bien de parler de ce que j’accumule maintenant depuis le début de ma scolarité. J’ai 21 ans mais je ne veux pas passer ma vie dans un contexte comme celui-ci. C’est bien trop usant, bien trop éreintant, bien trop hostile. Je m’inquiète aussi pour les générations futures.
Je témoigne aussi au nom de nombreuses femmes de mon entourage : mères de familles mises à l’écart de la scolarité de leurs enfants, ou étudiantes comme moi, ainsi que les travailleuses obligées de retirer leur voile inutilement. Alors que le voile ne les prive pas de leur compétences professionnelles, intellectuelles, etc.
Diffuse la bonne parole