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Ali n’arrête pas pour autant son militantisme. Comme en témoigne le soutien qu’il apporta aux civil.es vietnamien.es, Ali percevait son combat pour sa propre liberté comme connecté à la liberté des autres peuples opprimés. Il apporta donc aussi son soutien au peuple Autochtone Américain. En 1978, il participe à The Longest March et marche avec l’AIM (American Indian Movement) de New York jusqu’à Washington D.C. pour protester contre les projets de lois qui menaçaient les terres du peuple Indigènes d’Amérique.
De droite à gauche: Muhammad Ali, Buffy Sainte-Marie, Floyd Red Crow Westerman, Harold Smith, Stevie Wonder, Marlon Brando, Max Gail, Dick Gregory, Richie Havens et David Amram. Crédit : David Amram.
Mais Ali ne cantonna pas sa solidarité à l’Amérique, il l’étendit également au-delà des mers, jusqu’en Palestine. En 1974, il visita un camp de réfugié·e·s palestinien·ne·s au Liban, et déclara « En mon nom et au nom de tous les Musulman.es Américain.es, j’affirme mon soutien à la lutte des Palestinien.es pour libérer leurs terres et expulser les envahisseurs sionistes ». A la suite de son décès, la presse israélienne, dans un article tout à fait scandaleux, nota ce qui pour elle fut un paradoxe : les critiques qu’Ali adressa à Israël d’un côté et son amitié profonde avec les Juifs de son entourage d’un autre. Son attitude devrait pourtant être la norme au sein de notre communauté Musulmane : condamner un état apartheid et faire preuve de solidarité avec un peuple lui aussi opprimé à cause de sa religion.
Il me vient d’ailleurs à l’esprit les relations complices qu’avait Ali avec son cornerman Drew Bundini, qui inventa sa fameuse devise « flotte comme un papillon et pique comme l’abeille » et avec le commentateur sportif et ancien avocat, Howard Cosell, qui fut un des premiers dans le milieu du sport à l’appeler « Muhammad » et défendit son choix de ne pas être recruté dans l’armée. En cette période, où les attaques anti-Palestinien·e·s et antisémites sévissent, il est essentiel d’étendre notre solidarité à ces deux peuples discriminés. La lutte contre l’état d’Israël et contre l’antisémitisme sont toute les deux des luttes contre la suprématie blanche. Lors de l’insurrection du Capitole par les suprémacistes blancs, deux des emblèmes facilement reconnaissables dans la foule furent le drapeau de l’État d’Israël et la croix gammée Nazie.
Muhammad Ali à la mosquée de Dafaalah el Sa’em à Khartoum, au Soudan en 1988. Crédit : inconnue.
L’influence de Muhammad Ali ne peut pas être sous-estimée. Sa seule présence a normalisé l’Islam aux États-Unis et a donné force et courage à d’innombrable personnes. Quand Nelson Mandela fut emprisonné à Robben Island, il affirma que lorsqu’il pensait à Muhammad Ali les murs autour de lui disparaissaient. Ali inspira John Carlos et Tommy Smith à protester publiquement contre la situation des Noir.es Américain.es aux Jeux Olympiques de 1967. Dans son autobiographie, Malcolm X déclare qu’Ali « conquis l’imagination et le soutien de l’entièreté du Tiers Monde ». Le slogan des Black Panthers, « We are the greatest ! » (Nous sommes les meilleures), est une référence à une phrase qu’Ali prononçait souvent « I am the greatest !» (Je suis le meilleur). Il encouragea Billie Jean King dans son combat pour l’égalité des sexes dans le sport.
Encore aujourd’hui, les athlètes qui osent tenir tête au pouvoir en place sont critiqué·e· et encouragé·e·s à « rester en dehors de la politique ». Tout particulièrement les athlètes racisé.es. Iels sont considéré·e·s comme étant simplement destiné·e·s à divertir les spectateurs et spectatrices. Que ce soit Antoine Griezman qui prend position pour les droits des hommes et des femmes Ouighour.es, Colin Kaepernick qui refusa de s’agenouiller pendant l’hymne nationale américaine, ou Maya Moore qui mit fin à sa carrière pour se consacrer à son combat contre le système carcéral, tou·te·s ces athlètes perpétuent une tradition initiée par un Musulman.
Et, pour ma part, c’est bien la croyance de Muhammad Ali qui m’a le plus inspirée pendant mes recherches sur sa vie. L’activiste Musulmane Dalia Mogahed, qui fut parmi les trois personnes choisies par Ali pour parler à sa Janaza (prière que les Musulman.es offrent au défunt), dit au sujet de ce dernier : « Il a choisi la conscience plutôt que le conformisme. Et c’est ainsi qu’il s’est libéré et a agi comme un symbole et un exemple de la façon dont nous pouvons tous nous libérer par la spiritualité. À l’époque [quand Ali a refusé de s’engager dans l’armée], l’Islam avait été blâmé car responsable de sa position si impopulaire, aujourd’hui nous louons Ali mais nous ne donnons aucun crédit à l’Islam et à sa spiritualité. »
En cette époque difficile, où les Musulman.es sont attaqué·e·s et discriminé·e·s partout dans le monde, il convient de rappeler que notre religion nous ordonne de nous battre contre les injustices, qu’elles soient en France ou ailleurs. Le verset 135 de Sourate An-Nisa’ dit : « Ô vous qui avez cru, tenez bon dans la justice, soyez des témoins d’Allah, même si c’est contre vous ou contre vos parents et vos proches. » Cela demande beaucoup de force, de devoir sans cesse exprimer notre droit d’exister tel que l’on est et, comme Ali, j’essaie de puiser cette force dans ma spiritualité.
Muhammad Ali était fier d’être Musulman et au moment où il fut rejeté et condamné à cause sa foi, il fit preuve de fermeté et plaça sa confiance en Allah. Lorsque les journalistes lui demandèrent, à sa sortie du tribunal, ce qu’il comptait faire maintenant, sa réponse fut concise et limpide : « Tout est entre les mains d’Allah. »
Crédit image à la Une : The Gordon Parks Foundation.
Références:
Mike Marqusee (Auteur). (2017). Redemption Song: Muhammad Ali and the spirit of the sixties. Verso.
Randy Roberts et Johnny Smith. (2016). Blood Brothers: the fatal friendship between Muhammad Ali and Malcolm X. Basic books.
Malcolm X et Alex Haley (Auteurs). (1965) The autobiography of Malcolm X. Grove Press.
Antoine Fuqua (Réalisateur). (2019). What’s my name: Muhammad Ali [documentaire]. HBO.
Sheila Curran Bernard & Samuel D. Pollard (Réalisateur.rices). (1990). Ain’t Gonna Shuffle No More (1964–72) [Saison 1, episode 11]. Disponible à : https://www.youtube.com/watch?v=1WmVeDSZ8T8&t=1271s&ab_channel=INDIVIDUALTHOUGHT
Dave Zirin (Auteur). (2016). “I just wanted to be free”, the radical reverberations of Muhammad Ali. Independent. Disponible à : https://independentaustralia.net/life/life-display/i-just-wanted-to-be-free-the-radical-reverberations-of-muhammad-ali,9073
Democracy Now! (2016). Don’t De-Islamize Muhammad Ali: Scholar Says Muslim Faith was Central to His Views on Racism & War. Disponible à : https://www.youtube.com/watch?v=PSVuUYfXGtw&ab_channel=DemocracyNow%21
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