Bien que s’étant donné pour mission de faire entendre les voix plurielles des femmes musulmanes, Lallab est une association areligieuse et ouverte à tou·te·s. Addéli et Marine sont des « alliées » : elles ne sont pas musulmanes et nous livrent aujourd’hui leur expérience chez Lallab, jalonnée de remises en question et de découvertes.
Addéli : « Depuis, j’ai repris espoir. »
C’est un clic hasardeux sur une collecte de dons pour le Women SenseTour in Muslim countries qui m’a fait croiser pour la première fois le sourire de Sarah Zouak. Son projet m’est immédiatement apparu comme une réponse aux nombreuses confrontations, avec mon entourage ou avec des inconnu·e·s, au sujet du voile et de celles qui le portent. En effet, je clôturais de plus en plus rapidement ces discussions par un constat sans appel : nous étions des Blanc·he·s qui débattions entre Blanc·he·s, et les opinions assommantes que nous portions sur des individus majoritairement racisés jamais rencontrés par « amour du débat » devaient peser bien lourd sur la réalité des personnes concernées. Avec les témoignages que Sarah allait ramener, j’allais pouvoir apporter un support de récits de vies réelles contre ces insupportables ramassis d’avis intellectuels.
J’avais commencé de mon côté un projet visant à démanteler les stéréotypes sur les travailleur·se·s du sexe par eux·elles-mêmes, et constatais à quel point un témoignage peut détruire en moins de deux toute une architecture de pensée de fin de soirée. C’était il y a un peu plus de 3 ans, et je peinais tant à trouver un collectif qui ne soit pas plus putophobe qu’islamophobe que j’avais pris la décision de m’installer au Canada. Et puis le Women SenseTour est passé dans ma ville un vendredi soir… et j’ai rencontré Lallab. J’avais face à moi un militantisme ferme aux initiatives bienveillantes. Et pompon du pompon, il était mené par d’adorables personnes, profondes et accessibles. Je me suis dit : « Donc, c’est possible ». Et j’ai décidé de rester en France.
Depuis, pas un jour ne se passe sans que Lallab n’y laisse une trace.
Depuis, quand je me retrouve face à un « débat d’opinion », je peux piocher dans le magazine pour diffuser une parole de personne concernée.
Depuis, je communique régulièrement avec des Lallas dont j’ignore si elles portent un foulard, un col Claudine ou les cheveux bleus, mais que je pourrais reconnaître à la manière dont elles placent une virgule.
Depuis, j’ai découvert Asma Lamrabet, Nadia El Bouga, Amandine Gay, Angela Davis, Edward Saïd, Robin Diangelo… et tant d’autres auteur·e·s dont l’école ne m’a rien transmis.
Depuis, j’ai découvert une religion magnifique, robuste et délicate.
Depuis, je ne suis pas plus monothéiste, mais j’ai pris foi en la foi.
Depuis, j’ai compris que l’interprétation par l’Église catholique en France de la pudeur comme honte amputait la digne connotation que lui offre l’Islam, et combien taire ce genre de nuances peut détourner tout un beau concept de son sens premier.
Depuis, j’ai constaté qu’une laïcité, quand elle est galvaudée, détourne par contamination de nombreux principes fondamentaux comme la reconnaissance de la racialisation, du racisme d’Etat, la communauté, le féminisme anti-colonial, la liberté de culte, …
Depuis, j’ai vécu non pas le besoin personnel, mais la nécessité collective de ne pas participer à certaines réunions.
Depuis, j’ai le bonheur de célébrer à travers mes objectifs de caméra, d’appareil photo, de vie, une multitude de visages superbes.
Depuis, je bave sur le programme culturel et culinaire interne de l’association, que mon éloignement géographique ne me permet pas de suivre.
Depuis, j’ai envisagé avec plus de justesse les impacts qu’a sur le quotidien de tant de gen·te·s une loi française ou européenne qui passe entre deux vidéos de chatons sur mon fil d’actualité.
Depuis, je discerne bien mieux les clichés des médias dominants qui ressortent par la bouche de mes proches ou d’inconnu·e·s.
Depuis, je discerne bien mieux les clichés des médias dominants qui ont échappé au filtre de ma raison et qui tentent d’influencer mes repères.
Depuis, j’ai appris à demander dans des situations d’oppressions de quoi les personnes concernées ont besoin, y répondre et m’en tenir à ça.
Depuis, mes faiblesses y ont été dédramatisées, mes forces honorées… mes singularités accueillies, en somme.
Depuis, j’ai appris que la sororité est à l’image de ce qu’était pour moi, enfant, le prisme lunaire de Sailor Moon : une arme lumineuse contre les attaques monstrueuses – qu’elles viennent de cyber-amphibiens de tout bord sur la toile ou des chimères qui nous gouvernent.
Crédit : Naoko Takeuchi/PNP, Toei Animation
Depuis, j’ai repris espoir.
Marine : « J’ai révolutionné ma vision des femmes musulmanes et j’ai appris à lutter avec elles. »
« Se définir par soi-même, pour soi-même » : je pense que cette citation résume très bien les raisons de mon engagement chez Lallab. Être chez Lallab, c’est lutter pour que chaque femme puisse vivre dans une société dans laquelle tous ses choix seront respectés. Être chez Lallab, c’est ne plus craindre d’être soi-même. C’est apprendre à s’exprimer pour soi-même, par soi-même, sans redouter d’être violentée, discriminée ou encore jugée.
Je suis devenue bénévole chez Lallab après avoir rencontré Sarah Zouak lors d’une conférence. Cette femme m’a tout simplement inspirée, du haut de mes seize ans. Il y avait une telle force et un tel courage dans sa voix, que c’était une évidence pour moi de la rejoindre dans son combat, de lui apporter mon soutien en tant qu’alliée. Je me suis engagée dans son association par curiosité, mais aussi et surtout pour déconstruire cette vision incohérente des femmes musulmanes que j’avais en moi. Je suis née dans une famille blanche et de confession catholique, et dans mon entourage, aucun·e de mes ami·e·s n’était de confession musulmane. C’est avec ce manque de rencontres que j’ai grandi – la tête remplie de préjugés et de méfiance, je ne vais pas vous le cacher. Toutefois, lors des débats – sur le voile, par exemple – au sein de ma famille, beaucoup de propos me choquaient. Je les trouvais injustes, mauvais, pleins de généralités, et cela m’a motivée à vouloir rencontrer ces femmes pour connaitre leurs vérités, leurs points de vue.
L’association Lallab, qui a pour but de faire entendre les voix des femmes musulmanes dans notre société, répondait à mes attentes. Elle m’a permis d’entendre ces femmes que je n’avais jamais réellement rencontrées auparavant. Dans cette association, nous partons tou·te·s du même constat : on parle toujours des femmes musulmanes sans jamais leur donner la parole. Ma place, en tant qu’alliée, est donc avant tout de laisser les femmes musulmanes s’exprimer, et de les écouter. C’est la première chose que nous faisons en tant qu’allié·e·s chez Lallab. Nous dénonçons cette confiscation de la parole au sein de la société, et il est donc très important de ne pas reproduire ces mêmes schémas au sein de l’association, afin de mettre en lumière la pluralité des femmes musulmanes et de leurs discours. J’ai donc appris à écouter les autres, car lorsque nous menons une lutte et que nous ne sommes pas directement concerné·e·s par celle-ci, il est important de ne pas prendre toute la place. Lutter contre les discriminations, c’est aussi savoir laisser un espace d’expression et d’action aux personnes à qui la société n’en donne pas, c’est savoir rester en retrait, et travailler à ce que ces personnes puissent s’exprimer et agir directement, sans intermédiaire. Mais ce n’est pas pour autant que les allié·e·s n’ont aucun rôle à jouer. On peut tout faire chez Lallab en tant qu’allié·e, en accompagnant les concernées.
Illustration du 1er Lallab Birthday, sur le thème de la sororité / Crédit : Samah fait rire pour Lallab
Je suis arrivée chez Lallab sans savoir où je mettais les pieds, mais la chaleur, la bienveillance, l’amour qu’il y avait autour de moi m’ont fait me sentir pour la première fois comme si j’étais au bon endroit. Oui, pour la première fois, j’étais entièrement moi-même, sans avoir différents discours à adapter pour me justifier auprès des un·e·s et des autres. En tant que femmes, peu importent nos convictions ou nos cultures, nous désirons toutes être créatrices de notre propre histoire. Pour moi, il est temps de vivre sans avoir à nous justifier de qui l’on est, et de faire taire les préjugés et les discriminations envers des femmes simplement parce qu’elles sont musulmanes. En tant qu’alliée, je suis honorée de faire partie de celles et ceux qui relèvent ces défis pour changer la société et renforcer la cohésion et le lien social pour unir nos forces, plutôt que de les gaspiller dans des débats dépourvus de contenu. Chaque femme mérite de porter haut et fort sa parole et d’être fière de qui elle est.
A chaque activité à laquelle je participe, je découvre des personnes débordant d’amour, construisant des projets magnifiques pour la société, et unies par la force et la bienveillance. En rejoignant Lallab, j’ai arrêté de juger, et je me laisse inspirer. Je suis inspirée par la richesse et l’amour qu’il y a en chacune de ces femmes. Les accompagner pour qu’elles fassent entendre leurs voix, laisser la parole aux concernées est ce qui m’inspire le plus. Être leur alliée, c’est apprendre le respect envers chacun·e, c’est écouter et comprendre ; c’est aussi défendre les concernées quand elles ne sont pas présentes, et porter leurs voix auprès de ma famille ou de mes ami·e·s pour les amener à remettre en question leurs préjugés.
Je ne suis pas musulmane et je suis honorée de faire partie de l’aventure Lallab. Ici, j’ai révolutionné ma vision des femmes musulmanes, et j’ai appris à lutter avec elles.
Crédit image à la une : Elodie Sempere pour Lallab
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