En 2012, l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozie Adichie, auteure de « L’autre moitié du soleil », « Autour de ton cou » ou encore « Americanah », nous livre à TEDxEuston un discours autobiographique, drôle et brillamment éloquent : « We should all be feminists » (traduit « Nous sommes tous des féministes » pour la version française). Ce qu’elle voulait ? Initier le débat et déconstruire fermement les stéréotypes autour d’un sujet qui lui tenait à cœur : le féminisme.
En 2015, le discours voit le jour dans le monde de l’édition. Un petit livre rouge, version légèrement modifiée du talk, où l’auteure s’indigne face à toutes les injustices subies durant son enfance et pendant sa vie de femme.
Ce plaidoyer est un éclairage à toute personne qui se pose toujours des questions sur le féminisme, et un rappel saisissant à ceux et celles qui pensent que le sexisme n’est aujourd’hui plus un problème sérieux.
Extraits.
Féminisme : un mot alourdi de bagages péjoratifs
Le jour où son ami d’enfance Okoloma l’a « traitée » de féministe, Chimamanda sut – et même avant de chercher le mot dans un dictionnaire – que c’était loin d’être un compliment. S’il devait la traiter de terroriste, son ami aurait parfaitement gardé le même ton, se souvient-elle.
Des années plus tard, lors de la promotion de son roman « L’hibiscus pourpre », un journaliste – tout en s’aventurant dans un conseil non sollicité – lui recommande de ne jamais se définir comme étant féministe car, selon lui, une féministe est une femme malheureuse qui n’a pas trouvé de mari.
Un éventail de stéréotypes n’allait pas tarder à suivre et c’est ainsi que Chimamanda en vient à se définir comme « féministe africaine heureuse, qui ne déteste pas les hommes et qui aime bien porter du gloss et des talons pour son plaisir et non pas pour plaire aux hommes ».
Paranoïaques, agressives, n’ayant aucun sens de l’humour.
Je ne pourrais énumérer ici tous les clichés au sujet des féministes et du féminisme tant ils sont nombreux, et le discours précieux de Chimamanda est là pour mettre fin à toute fausse idée, pour effacer toute hésitation qui se cache derrière la fameuse expression : « je ne suis pas féministe, mais ».
Femme : une mémoire peuplée d’humiliations et de préjudices
Chimamanda nous entraîne à nouveau dans les souvenirs de son enfance. Elle avait alors 9 ans et étudiait en classe primaire. Le jour où sa maîtresse leur annonce que quiconque obtiendra la première note à un devoir sera désigné.e chef.fe de classe, elle rêve d’être l’élue. Et à son grand bonheur, elle obtient la première note.
Puis, à sa grande surprise, décrit-elle, la maîtresse a déclaré que le chef de classe devait être un garçon. Persuadée que cela coulait de source, elle avait oublié de le préciser.
Le garçon qui avait eu la deuxième meilleure note est alors désigné chef de classe. Chimamanda a reçu le choc de telle façon à ne jamais oublier cet incident. Une injustice qu’on ne saurait décrire, reflet d’une société qui exclut les femmes du pouvoir. C’est l’occasion de rappeler la nécessité de sensibiliser les enseignant.e.s au sexisme, aux inégalités de sexe ou au genre.
Nous disons aux filles : vous pouvez avoir de l’ambition, mais pas trop d’ambition. Vous devez aspirer à la réussite, mais pas à trop de réussite, sinon vous serez une menace pour l’homme.
Elle nous parle aussi de ces nombreuses fois où il lui était interdit d’accéder à un hôtel, un bar ou un club parce qu’elle devait impérativement être accompagnée par un homme.
Un goût amer d’exclusion qui ne l’a jamais quittée.
Un cri intime de révolte, grandissant à chaque injustice. Une voix qui retentit aujourd’hui, faisant écho à nos vies de femmes et sonnant comme un appel aux hommes…
Féminine : Un choix libre jugé à tort
Je voulais porter mon brillant à lèvres et ma jupe girly, mais j’ai décidé de ne pas le faire. J’ai décidé de porter un costume très sérieux, très viril et très laid.
La première fois où elle devait enseigner un cours d’écriture, Chimamanda était inquiète de ce qu’il « fallait » porter. Elle craignait de paraître trop féminine, et donc de ne pas être prise au sérieux.
Je regrette d’avoir porté ce costume ce jour-là. Si j’avais eu confiance en moi comme aujourd’hui, mes étudiants auraient bénéficié encore plus de mon enseignement. Parce que j’aurais été plus à l’aise en étant pleinement moi-même.
Beaucoup de personnes pensent que moins une femme paraît féminine, plus elle est susceptible d’être prise au sérieux. Se conformer à ce modèle, en tant que femme, n’est autre que se réduire à autre chose qu’à soi-même ; au regard de l’autre et de la société.
Si Chimamanda porte des vêtements que les hommes ne préfèrent pas et ne comprennent pas, c’est parce qu’elle les aime et qu’elle se sent bien en les portant. C’est parce que le « regard masculin » n’est pas une référence dans ses choix de chaque jour et qu’il n’est en grande partie qu’accessoire.
Etre féministe, c’est aussi décider librement de son apparence, quel que soit le mode vestimentaire adopté et respecter celui des autres. Notre nature ne nous impose pas d’être féminine, de l’être un peu moins dans des circonstances particulières ou de ne pas l’être du tout. C’est une question de choix et Chimamanda a choisi. Elle choisit de ne pas s’excuser de sa féminité, d’être fièrement et heureusement féminine.
Le Féminisme et non les droits de l’Homme
Pourquoi se proclamer féministe et non pas humaniste ? Chimamanda répond, à ceux et celles qui se posent la question, que le féminisme fait évidemment partie intégrante des droits humains.
Se limiter à cette vague expression des droits de l’Homme serait nier le problème particulier du genre. Ce serait une manière d’affirmer que ce ne sont pas les femmes qui, pendant des siècles, ont souffert d’exclusion.
La place qu’occupent les femmes dans la société ne les privilégie pas, et se définir comme « humaniste » (seulement) serait nier cette injustice qui est spécifique aux femmes.
Le féminisme est ce champ d’analyse où il est nécessaire de reconnaître les discriminations dont les femmes sont l’objet, de les traiter et de lutter contre elles. Cette lutte se fait à partir de connaissances, d’attitudes et d’outils, et l’essai « Nous sommes tous des féministes » en est un.
« We should all be feminists » inspire le titre “Flawless” de Beyoncé, sorti en 2013. Nous élevons nos filles à être concurrentes l’une de l’autre, non pas au travail ou face à leurs réalisations, mais face à l’attention des hommes.
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