[Publié initialement le 8 mai 2019]
Qui parmi vous a déjà entendu ou prononcé ne serait-ce qu’une fois le nom de la fameuse Cléopâtre ? Beaucoup j’imagine ! J’aimerais à présent tenter ma chance avec une femme ayant occupé des fonctions similaires en Egypte, mais semble t-il bien moins connue. Qui parmi vous a déjà entendu ou mentionné le nom de Shajar al Durr ?
Peu, n’est-ce-pas ?
Et pourtant, Shajar al Durr est une femme ayant occupé un rôle et une place tout autant stratégique que celle de la célèbre reine égyptienne. Elle fut notamment la 1ère femme après Cléopâtre à s’être assise sur le trône d’Egypte, jouant ainsi un rôle politique central dans l’histoire de l’Egypte et plus encore dans l’histoire de l’islam.
Esclave dans les 1ers temps de sa vie, elle deviendra par la suite épouse du sultan As-Salih Ayyûb, puis sultane d’Egypte, et enfin, elle fera partie des figures fondatrices de la dynastie des Mamelouks d’Egypte, dynastie qui règnera sur l’État islamique le plus puissant de son temps.
Avant de commencer le projet « Power Our Stories », je m’étais convaincue que les sources au sujet des femmes musulmanes ayant occupé des rôles politiques, militaires et/ou religieux au sein de l’histoire de l’islam étaient très limitées. C’était effectivement une réalité, trouver des sources ou références en français n’était pas chose aisée. Mais cette réalité mériterait mine de rien d’être nuancée, car en cherchant encore et encore on finit toujours par trouver.
En effet, n’en sachant que très peu sur la personne et l’histoire de Shajar al Durr, je me suis lancée un peu aveuglément à la recherche d’informations, en français dans un premier temps. Et à ma grande surprise ce fut le … NÉANT ! J’ai donc tenté ma chance en tapant quelques mots-clés dans le fameux moteur de recherche en anglais et SURPRISE, je suis tombée sur un grand nombre d’articles à son sujet.
Des articles humoristiques, nous expliquant à quel point Shajar al Durr était une femme BADASS, et des articles historiques insistant sur le rôle politique et militaire que cette dernière avait eu a joué. Le site de Muslim Heritage, en plus de me fournir des informations précieuses au sujet de Shajar, me permit de venir ajouter à ma liste un nombre important de figures musulmanes inspirantes et fascinantes. Le livre Sultanes oubliées : Femmes chefs d’État en islam, de la célèbre sociologue marocaine Fatima Mernissi, s’est également avéré contenir une réelle mine d’or !
C’est donc grâce à toutes ces sources que je m’en vais vous faire voyager dans l’Egypte du XIIIème siècle.
De l’enfance et de la jeunesse de Shajar al Durr nous ne savons que très peu de choses. En effet, impossible de dire qui furent ses parents, ni même quel nom ces derniers décidèrent de lui donner. Personne, semblerait-il, n’avait jugé bon d’enregistrer les informations au sujet de cette jeune fille alors esclave. Ce que nous savons d’elle en revanche, c’est qu’elle naquit aux alentours des années 1220 de notre ère et qu’elle était probablement issue d’une ethnie turque, ou peut-être arménienne. Sa venue au haram de Salih Ayyub est en somme le marqueur historique de son arrivée. C’est en tant qu’esclave que Shajar-al-Durr arriva aux alentours de 1235 dans la forteresse de Kaya, où le prince Salih Ayyb était alors exilé.
En 1238, suite au décès du sultan Al Kamil, As Salih Ayuub est appelé à se rendre au Caire afin de succéder sur le trône. Épris par celle qu’il nomme sa favorite, As Salih Ayuub plia bagage et proposa à Shajar-al-Durr de l’y accompagner. C’est alors qu’une réelle histoire d’amour commença entre le sultan et Shajar-al-Durr. De cet amour naîtra leur fils Khalil. Puis, quelque temps, après afin de sceller leur union et de la faire connaître au grand jour, ils se marieront. Après 10 ans de règne et alors que François Louis IX lançait la 7ème croisade, le sultan As-Salih Ayyub tomba gravement malade et mourut la même année.
C’est ainsi que Shajar-al-Durr, consciente du danger auquel le royaume faisait face et consciente de l’importance de cette situation et du rôle qu’elle pouvait avoir à jouer, cacha à l’ensemble des membres de la cour la mort son époux. Elle prit alors les rênes du pays, et, avec l’aide du commandant en chef de son défunt mari, elle se prépara à la guerre en rachetant notamment 1000 jeunes esclaves turcs, qu’elle fit instruire au métier des armes.
Aussi stratège et rusée qu’elle fut, ses premières batailles firent un succès. En effet, à la suite de l’une des batailles, Shajar, grâce à l’aide de son armée, fit de Louis IX son otage. Précieux otage… En effet, elle troquerait la libération du monarque capturé contre la modique somme de … 400 000 livres, somme qui représentait environ 30% des revenus annuels de la France de l’époque.
Les stratégies militaires qu’elle mit en place et ses talents de négociatrice permirent donc en partie de mettre fin à la 7ème croisade.
En l’espace de quelques mois de règne et dans le plus grand des secrets, Shajar-al-Durr avait donc secrètement pris la tête du royaume et avait en partie renversé le cours de l’histoire.
Cet épisode permit à Shajarr-al-Durr de se faire pour alliés les membres de l’armée. Ainsi, suite à l’annonce officielle du décès de son époux, Turanshah, successeur légitime, se présenta au Caire dans l’optique de reprendre le trône d’Egypte. C’était sans compter sur le soutien de certains chefs de l’armée qui décidèrent de la soutenir dans son accession au trône, mettant ainsi différents stratagèmes en place pour éliminer Turanshah.
Après la mort de ce dernier, Shajar devint donc officiellement Sultane d’Egypte, possédant ainsi les pleins pouvoirs politiques et militaires.
L’ensemble du royaume la reconnaissait à présent comme Sultane d’Egypte. Des pièces de monnaie étaient frappées en son honneur et son nom figurait dans l’ensemble des mosquées lors des prières du vendredi. De quoi rendre à Shajar-al-Durr la légitimité qu’auparavant elle n’avait jamais pu espérer.
Cependant, dans le contexte patriarcal et misogyne de l’époque, certaines factions égyptiennes, ne supportant pas de se savoir dirigées par une femme, commencèrent à se rebeller. Afin d’apaiser les tensions, Shajar-Al-Durr fit donc le choix d’épouser un mamelouke, ancien comptable d’As Salih Ayyub, Aybek, qui devint ainsi officiellement sultan. Dans les faits, cependant, Shajar-al-Darr continua à diriger, bien épaulée par sa garde renforcée, qu’elle avait elle-même pris le soin de composer. Quelques années plus tard, Aybek, frustré par les pouvoirs que son épouse possédait, et dans l’optique d’atténuer ses responsabilités, décida de contracter un nouveau mariage.
Furieuse et se sentant trahie par celui qu’elle avait fait sultan, Shajarr organisa le meurtre de son mari à l’aide de quelques membres de sa garde. N’ayant eu le temps de dissimuler le corps avant qu’il ne soit découvert, le meurtre d’Aybek devint public, ouvrant ainsi des débats sur le sort qui lui devrait lui être réservé. Elle fut emprisonnée et décéda peu de temps après, suite à une émeute d’esclaves du harem qui la battront à mort.
Mais l’influence qu’elle aura sur son temps ne s’arrêtera pas là. En effet, avant leur mort, Shajar-al-Durr et Aybak avaient fermement établi la dynastie mamelouke, dynastie qui finira par repousser les Mongols, expulser les croisés européens de la Terre Sainte et demeurer la force politique la plus puissante au Moyen-Orient jusqu’à la venue des Ottomans.
Du statut d’esclave au statut de femme de sultan, Shajar devint sultane d’Egypte. Voici l’ascension fulgurante que connut cette souveraine musulmane en quelques années, et ce dans une acceptation plus ou moins totale.
Face à cette histoire et au rôle majeur qu’occupa Shajar-al-Durr, je ne peux m’empêcher de me questionner sur le comment. Comment se faisait-il que jamais auparavant je n’avais rencontré la fabuleuse et stratège Shajar-al-Durr? J’aurais pourtant pu la rencontrer à tant de reprises. Moi qui avais suivi un cursus universitaire d’historienne, moi qui écoutais pourtant assidûment mes cours sur l’histoire de l’Orient musulman, moi qui assistait hebdomadairement à des cours d’éducation islamique, je n’avais jamais entendu ce nom être mentionné ?
À mon sens, il est aujourd’hui évident que l’invisibilisation de cette femme et de bien d’autres encore est la résultante d’une vision profondément masculiniste de l’histoire.
Qu’il s’agisse de savoir religieux ou de savoir historique, l’oubli des figures féminines semble être la norme, nous rappelant ainsi avec force que les lectures patriarcales de l’histoire sont l’œuvre des hommes dans leur ensemble et non l’œuvre d’une religion en particulier.
Voilà 3 jours maintenant qu’ensemble nous avons embarqué à la rencontre de ces femmes musulmanes ayant tant contribué au développement et à l’essor de l’islam.
Je me suis engagée durant le mois sacré de ramadan à vous présenter 30 femmes musulmanes inspirantes, mais ces femmes importantes sont en réalité bien plus nombreuses que 30.
Ainsi, aujourd’hui, j’aimerais vous soumettre un défi.
C’est donc à votre tour de jouer ! Et si, ensemble, nous rendions gloire à toutes ces femmes musulmanes invisibilisées? Pour participer, présentez en quelques lignes grâce au hasthag #PowerOurStories l’une des femmes musulmanes d’antan que vous connaissez et qui à sa manière a grandement contribué à l’Histoire.
Ensemble, apprenons, créerons, diffusons.
Crédit image à la une : Imène. Imène est graphiste, illustratrice et rédactrice. Pour découvrir ses projets et travaux, je vous invite à visiter ses différentes pages :
➡️ benhimene.wixsite.com/nomfeminin
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➡️ Et sa page Instagram @raconte_editions
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