Comme de nombreux lycéen·ne·s de première, Baraa a passé son bac de français le 15 juin dernier. Au centre d’examen, la jeune femme et ses camarades ont été sommées de retirer leurs voiles, pour ensuite être soumises à une fouille très minutieuse sans raison apparente. Une expérience déstabilisante pour Baraa, qui se confie ici.
« Le jeudi 15 juin, des camarades et moi nous sommes rendu·e·s au lycée Victor Hugo, notre centre d’examen, afin de passer notre épreuve écrite du bac de français. Il s’agit d’un lycée public du troisième arrondissement de Paris. Nous étions élèves dans un lycée privé universaliste, dans lequel nous pouvions porter un foulard. Selon la loi du 15 mars 2004, nous avons le droit de porter un signe religieux, puisqu’elle s’applique uniquement aux élèves d’établissements publics. Nous ne l’avons donc pas retiré dans ce lycée. Une fois installé·e·s dans notre salle d’examen, au moment où nous allions recevoir les consignes, la principale nous a interpellées : « Les filles voilées, on va procéder aux fouilles ! »
Ce que j’ai d’abord ressenti, c’est de l’incompréhension. Je ne savais pas si cette injonction était légale. Mes camarades et moi l’avons donc suivie jusqu’aux vestiaires. Pour le brevet, ce n’était pas le même établissement, mais on m’avait seulement demandé de montrer mes oreilles. Nous avons traversé notre salle, puis une autre. Ces deux dernières étaient pleines de candidat·e·s, ce qui était particulièrement désagréable, puisque nous nous faisions remarquer et qu’il s’agissait une énième fois d’un « problème » dû à un foulard… Elle nous a demandé d’enlever nos voiles, puis de passer nos mains dans nos cheveux, de soulever nos hauts, nos jupes et nos gilets. La cheffe d’établissement était également présente, nous observant de façon silencieuse. Ces femmes ne nous ont apporté aucune explication. Nous étions sept filles ne connaissant pas suffisamment nos droits, et qui, en tant que musulmanes portant le foulard, subissons constamment un traitement différent et humiliant. Nous avons donc accepté. Pourtant, c’était profondément dégradant.
Nous sommes retournées dans notre salle, profondément choquées par ce qui venait de se passer. L’épreuve était sur le point de commencer. Nous étions déstabilisées et nous n’avions pas pu assister aux consignes. Bien qu’un surveillant soit très rapidement revenu dessus, avec quelques notes au tableau, nous n’avons clairement pas bénéficié de bonnes conditions d’examen.
Cela s’est reproduit le lundi 19 juin, dans ce même lycée, pour l’épreuve de sciences de la vie et de la terre (SVT). Nos camarades nous ont expliqué qu’on leur a cette fois-ci demandé de lever leur jupe, d’écarter leurs jambes… L’une de nos amies était tellement indignée qu’elle a expliqué son expérience dans un tweet et c’est à ce moment-là que j’ai véritablement pris conscience du fait que ce qui nous était arrivé n’était absolument pas juste. Malheureusement, certain·e·s l’ont accusée de mentir juste pour le buzz. Si seulement ces dernier·e·s savaient à quel point porter un foulard, en France et en 2017, est difficile… Bien entendu, la principale a nié ce qui s’était passé. Elle a affirmé que nous avions fait tout cela sans qu’aucun adulte de l’établissement ne nous le demande et qu’il s’agissait de notre initiative personnelle. Mais c’est complètement stupide.
Au quotidien, notre choix vestimentaire est compliqué à assumer.
Crédit : Huda Fahmy / Yes I’m hot in this
« Hey, musulmane !
– Oh mon Dieu, c’est reparti… Oui ?
– Je voulais vous faire savoir que vos vêtements ne sont pas appropriés aux Etats-Unis.
– Oh, ce vieux truc ! Pas de panique, j’en ai un de rechange.
– Que Dieu soit avec vous. »
Je prends souvent le métro et j’ai quelques anecdotes. Par exemple, une femme âgée m’avait poussée exprès, en me donnant des coups de coude, l’air agacée par ma présence. Elle a finalement affirmé que je n’avais « rien à faire ici ». Mais si elle n’est pas contente, elle n’a qu’à se déplacer autrement qu’en transports en commun… Je me souviens également de cet homme qui bloquait les tourniquets, puis qui m’empêchait d‘entrer dans le métro en me poussant. En rentrant des cours, accompagnée de camarades du lycée, une femme qui promenait son chien m’a insultée de terroriste. Les gens peuvent être vraiment violents, parfois. La simple vue d’une femme ayant un foulard sur sa tête déclenche en eux une haine considérable. Nous ne leur avons pourtant rien fait. On vit juste selon nos principes, sans juger les autres.
Si nous dénonçons cela aujourd’hui, ce n’est pas pour nous. Nous n’avons personnellement rien à y gagner. Nous voulons simplement que ce genre de discriminations ne soit plus autant banalisé et nous devons faire en sorte d’aller jusqu’au bout pour défendre nos droits et notre dignité, en tant qu’êtres humains. »
Balsam, la grande sœur de Baraa, nous fait part de son ressenti, portant elle aussi le foulard.
« Les femmes voilées subissent la haine tous les jours. Dans tout ce qu’elles veulent entreprendre, il y aura toujours un obstacle. Nous ne sommes pas traitées comme les autres femmes. Déjà qu’à la base, les femmes doivent lutter contre le patriarcat les rendant inférieures aux hommes, en portant le foulard, nous valons encore moins que l’écrasante majorité des femmes, dans la société. Cette haine est banalisée. Lorsque ma sœur m’a fait part de son histoire, je savais que ce n’était pas normal. Elle a le droit d’être voilée. Nous avons donc lancé une procédure et saisi le Défenseur des droits, qui est chargé de défendre les droits des citoyen·ne·s face aux administrations. Nous sommes soutenues par plusieurs associations, notamment le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), qui ne souhaite pas que nous laissions passer une énième humiliation de ce type. Ce sont toutes ces petites discriminations qui finissent, une fois accumulées, par aggraver notre situation avec le temps. Il est nécessaire de remettre en cause la cheffe d’établissement, de faire valoir nos droits, parce qu’il s’agit purement d’une atteinte à la dignité. Pour quelle raison n’a-t-elle pas demandé aux autres filles de passer leurs mains dans leurs cheveux, de soulever leur jupe ou leur gilet ? Ma sœur et ses camarades ont tout de suite été soupçonnées de fraude. Tout cela pour un foulard.
Crédit photo : The news tribe
Auparavant, cette haine envers nous existait. Désormais, on ne s’en cache vraiment plus, c’est même revendiqué. On ne cesse de nous mettre des bâtons dans les roues. Avant, c’était de façon subtile ; aujourd’hui, on explique clairement que c’est en raison du voile. Nous subissons cela au quotidien, mais nous sommes des femmes comme les autres. Nous avons un corps, un cœur, un cerveau. Nous sommes des êtres humains à part entière.
Tout cela est contradictoire. Lorsque les musulmanes restent à la maison, on leur reproche de ne pas suffisamment s’intégrer. Mais si on ose respecter nos principes religieux, tout en étudiant ou travaillant, nous sommes profondément humiliées. On ne veut surtout pas d’une femme émancipée, qui passe des examens ou qui va à la plage, tout en portant un foulard. Partout, nous sommes mal regardées, alors que nous aspirons juste à vivre comme tout le monde ».
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