Emission « Renaissance » sur M6 : ne perpétuons plus la grossophobie

par , , , | 2 mai 2018 | (Dé)construction

Récemment, plusieurs collectifs luttant contre la grossophobie comme Gras Politique se sont mobilisés face à la future émission de M6, “Renaissance”. Les premières informations relayées sur ce projet sont particulièrement inquiétantes au sujet du traitement réservé aux candidates de cette émission. Pourtant, le silence des associations et des militantes féministes est presque total face à ce scandale. Il est temps que les féministes prennent réellement en compte le vécu de toutes les femmes, notamment celui des femmes grosses et les discriminations qu’elles subissent au quotidien.

 

 

Grossophobie, déshumanisation et infantilisation

 

La grossophobie renvoie à des préjugés et une hostilité de la société envers les personnes grosses. Elle constitue une oppression systémique puisqu’elle a des conséquences au quotidien sur le vécu des personnes grosses, notamment dans leur accès à leurs droits, à l’emploi, aux soins, etc.

Cela se traduit très souvent par des violences ordinaires, des gens qui s’étonnent de voir une personne grosse heureuse, avoir une vie amoureuse ou encore qui opposent sans cesse beauté et poids avec la fameuse phrase « Oh mais non t’es pas grosse, t’es belle ». A cela s’ajoutent les « blagues » incessantes visant les personnes grosses et les dépeignant de manière humiliante : si l’on se permet de réagir, on est alors confronté·e à des réactions minimisant totalement cette violence à base de “Oh, ce n’est que de l’humour” ou “Tu es trop sensible, c’est pour ton bien”.

Ces préjugés sont relayés par les médias, où les représentations des personnes grosses sont extrêmement stéréotypées, que ce soit dans les émissions, les séries, les films ou même les dessins animés. Elles sont toujours dépeintes comme des “bêtes curieuses” et uniquement à travers le prisme de leur poids. Combien d’exemples de films ou de séries dans lesquelles les blagues sont récurrentes sur l’obésité passée ou actuelle de certains personnages – Friends, pour ne pas citer d’exemple – ? Combien de films ou de séries où les personnes obèses sont dépeintes comme peu attirantes et fainéantes ? Combien de films ou de séries où les personnes grosses jouent le rôle de faire-valoir ou de comiques de service, leur caractère et leur vie ne valant visiblement pas la peine d’être approfondis ? Combien de films et de séries où une femme grosse ne peut devenir attirante qu’après avoir perdu son “poids en trop” ?

 

Crédit : Rachele Cateyes

 

La grossophobie présente en plus la particularité d’être souvent perçue dans la société comme “bienveillante” : selon cette croyance, une prétendue préoccupation pour la santé des personnes grosses justifierait de la part de leur entourage ou de parfait·es inconnu·es de les renvoyer sans cesse à leur poids, de leur rappeler qu’elles ne doivent surtout pas s’habiller de telle ou telle manière, de les reprendre sur leur manière de manger à la moindre bouchée. Rappelons également que très souvent, sur les réseaux sociaux, dès que des internautes veulent attaquer une personne grosse pour ses idées, ils l’attaquent en réalité en premier lieu et avant tout sur son physique et son poids.

 

Toutes ces violences contribuent à la déshumanisation des personnes grosses dans notre société. Elles s’attaquent à leur dignité, à leur confiance en elles et à leur estime personnelle. La grossophobie omniprésente est souvent intériorisée et conduit à se haïr soi-même, à chercher à répondre aux injonctions sociales qui voudraient que l’on soit discrèt·e, que l’on ne prenne pas plus de place, etc. La grossophobie détruit et tue.

 

 

La grossophobie, une lutte indispensable des féminismes intersectionnels

 

C’est peut-être la première fois que vous entendez parler de ce projet d’émission, alors que l’article est sorti depuis des semaines et que des personnes concerné·es protestent depuis des mois. Celles et ceux qui se présentent comme féministes universalistes nous prouvent une fois de plus que se battre contre des oppressions autres que celle subies par les femmes blanches minces hétérosexuelles cisgenres et valides ne les intéresse pas. Par son silence, le féminisme universaliste ne lutte pas pour les droits de toutes les femmes. Au-delà de ne pas écouter les femmes grosses, il les exclut. Pire, il les réduit au silence et les isole. En effet, par son expression symbolique hyper-réductrice de “la Femme”, il gomme de son combat toutes les autres femmes. La société décide d’attribuer ou non le statut de “Femme” à quelqu’un. Le féminisme universaliste, supposément opposé à ce système découlant du patriarcat, reprend ce mécanisme. Car comme le patriarcat, il façonne une vision de la “Femme” et exclut toutes celles qui n’entrent pas dans ce moule idéalisé, laissant sur le côté d’autres femmes, nos sœurs. “La Femme” et le féminisme universaliste se sont toujours construits au détriment d’autres femmes, les femmes racisées, grosses, LGBTQ+, non-valides, etc…

 

Crédit : Janna Yaschuk

 

Les féminismes intersectionnels entendent prendre en compte les vécus de toutes les femmes et les oppressions découlant de l’articulation de différents systèmes de pouvoir. Ces mouvements donnent la parole aux personnes concernées, notamment les personnes les plus marginalisées. Pourtant, on s’aperçoit que très souvent, les discours qui se veulent intersectionnels et les plus représentatifs possibles vont eux aussi tendre à ignorer les femmes dont les corps ne correspondent pas aux normes sociales, telles que les femmes non valides et les femmes grosses, et ignorent les discriminations qu’elles subissent, et ce encore plus lorsqu’elles sont racisées.

Étant des féministes intersectionnelles, nous nous devons donc de ne plus garder le silence sur l’oppression qu’est la grossophobie, de prendre en compte son articulation avec tous les autres systèmes de domination et d’écouter les personnes concernées.

 

Crédit : Rebecca Hendin/Buzzfeed

 

« Renaissance », une émission humiliante et dangereuse

 

Dans l’article de Buzzfeed qui a révélé les coulisses de cette émission, il est clair que celle-ci va utiliser la souffrance des personnes grosses qu’elle va suivre pendant 2 ans, à partir de la pose d’un anneau gastrique jusqu’au moment final où elles seront opérées pour enlever leur peau en trop – ce qui n’est pas systématique habituellement, mais qui le devient pour cette émission en quête de sensationnalisme. L’émission conduit ainsi à la banalisation de l’opération bariatrique qui est de plus en plus montrée comme la solution miracle. Cela laisse à penser que l’on est gros·se nécessairement par manque de motivation ou d’appétit trop gros, et que des raisons psychologiques ou physiologiques n’ont rien à voir là-dedans, bien entendu.

Plusieurs actes déshumanisants ont été écrits et prévus dans le scénario, avant même que les personnes ne soient choisies, comme montrer la graisse ou la peau perdue devant des millions de téléspectateur·trices. Le dégoût des corps des personnes grosses est l’un des vecteurs les plus importants de la grossophobie ambiante. On ne veut pas voir de gros·ses à part dans un processus d’amaigrissement. Et si on peut mettre en valeur Ô combien c’est horrible et dégoûtant de l’être et à quel point c’est une renaissance – même le nom de cette émission est à vomir – de devenir mince, c’est encore mieux. Toute la grossophobie du quotidien se retrouve dans cette émission, mais de manière encore plus exacerbée. C’est une insulte à notre humanité, que l’on soit gros·se ou non.

 

Ce que la société nous dit en normalisant ce genre d’émissions, c’est que ces corps, jugés différents, n’appartiennent plus à leur propriétaire. Ils sont donnés en pâture à des spectateur·trices qui se donnent le droit de les juger en les objectifiant, et qui se feront un plaisir de culpabiliser les personnes grosses en leur disant qu’elles n’ont qu’à faire deux choses : faire du sport et manger moins. Merci d’avoir inventé l’eau chaude, mais au risque d’en décevoir beaucoup, il ne s’agit absolument pas de la solution miracle.

 

Ce genre de raccourci est dangereux pour les personnes concernées, qui, poussées par les diktats sociétaux et familiaux, perdent leur légitimité quant aux décisions à prendre sur leur corps. Cela normalise de l’autre côté les critiques des non-concerné·es qui ne comprennent pas qu’un corps appartient avant tout à une personne et que cela ne regarde personne d’autre.

Rappelons que les personnes obèses ou en surpoids ont souvent plus de risques d’être moins bien traitées par le corps médical qui reste, par tradition, bien trop souvent distrait par leur poids et passe à côté de certains diagnostics, avec des conséquences parfois graves pour les patient·es.

 

“- Docteur ! J’ai été empalée !
– Hum, peut-être que vous sentiriez mieux si vous perdiez du poids.

 

Luttons contre la diffusion des stéréotypes grossophobes et signons la pétition lancée par Gras Politique pour l’interdiction de cette émission scandaleuse !

 

Que cette émission voie le jour ou non, la grossophobie est une oppression qui existe et contre laquelle nous nous devons de lutter. Cela passe par le fait d’arrêter d’avoir une attitude paternaliste envers les personnes grosses. Et d’accepter qu’elles existent et qu’elles n’ont pas à maigrir parce que vous ne supportez pas de les voir ainsi.

Et enfin, si vous vous dites allié·e de cette cause, luttez au quotidien contre les micro-agressions, qu’elles sortent de votre bouche ou de celles de votre entourage, et partagez autour de vous des contenus de fat activistes ou tout simplement de personnes grosses et inspirantes, car il en existe des tas.

 

Car être féministe, c’est partager les voix de celles qui doivent être entendues. Les femmes doivent s’accepter et être indulgentes entre elles. Elles doivent s’écouter les unes les autres.

Elles sont tout ça.


 
Article co-écrit par Fella, Sinshine et Thafath’n’idh
 

Crédit image à la une : Ella Byworth for Metro.co.uk

 

Diffuse la bonne parole