En cette période d’élections législatives, avec l’extrême droite aux portes du pouvoir, il est crucial pour Lallab de donner la parole aux femmes musulmanes, principales impactées. La lutte passe par le vote (dimanche 30 juin et dimanche 7 juillet) et l’auto-organisation, et s’auto-organiser commence par le partage de nos récits. Célia, Myriam, Sarah et Chaïma, bénévoles à Lallab, partagent leurs ressentis, leurs craintes et leurs espoirs.
Une islamophobie grandissante
Depuis plusieurs années, la répression est de plus en plus intense envers les musulman-es. L’arrivée d’un parti d’extrême droite au pouvoir amplifierait cette situation de manière exponentielle. Myriam, bénévole chez Lallab, exprime ses craintes face à cette islamophobie grandissante : “Concrètement, je pense qu’il serait très difficile pour nous, musulman-es, de pratiquer notre religion. Les fermetures d’écoles, de mosquées et d’associations seraient de plus en plus fréquentes. En tant que femme portant le foulard, je crains de ne plus pouvoir le porter dans l’espace public. Non seulement parce qu’ils veulent effacer la visibilité de nos croyances, mais aussi parce que ce sera encore plus dangereux. L’arrivée au pouvoir de ce parti décomplexera davantage tous les comportements racistes, islamophobes, antisémites.”
Sarah, qui porte également le voile, ressent une pression constante. “Depuis un certain temps et dans de nombreuses situations, je ne me sens pas à l’aise du fait que je porte le voile”, explique-t-elle. “En recherchant à travailler dans le milieu de la culture, on m’a dit directement que telle entreprise refusait les femmes voilées parce que cette entreprise serait soit-disant ‘féministe’, je n’imagine pas si le RN est au pouvoir, de ne même pas pouvoir porter le voile dans l’espace public. Je ne saurais pas quoi faire, parce que ça fait partie de ma foi, qui fait partie de mon identité. Ça fait partie de ma liberté en tant que personne.”
L’impact sur notre santé mentale
Myriam souligne l’impact de cette atmosphère répressive sur sa santé mentale. “Concrètement, le climat répressif et anxiogène envers les musulman-es a un impact sur ma santé, tant mentale que physique” dit-elle, “Je ne supporte pas les injustices, et savoir que l’extrême droite est aux portes du pouvoir me met en colère et dans un état d’anxiété permanent. Je pense de plus en plus à quitter la France, mon pays, pour retrouver une certaine sérénité, un sentiment de sécurité et de paix.”
La question de quitter la France est au centre de nombreuses discussions. Sarah, de nationalité égyptienne et arrivée en France pour ses études, décrit une situation complexe marquée par l’instabilité politique en Égypte et la montée de l’extrême droite en France : “J’ai grandi en Égypte et je suis arrivée en France il y a plusieurs années, mais, quelques mois après mon arrivée, la situation en Égypte s’est empirée. Il y a une énorme inflation, des coupures d’électricité et un dictateur est au pouvoir en ce moment. Ça se passe très mal, donc, la possibilité d’être obligée de rentrer en Égypte m’inquiète constamment depuis un bon moment. Mais là, avec potentiellement l’extrême droite au pouvoir, c’est pire.”
Célia réfléchit également à la possibilité de quitter la France : “Je voulais partir à l’étranger d’ici quelques années, mais la situation politique rend ce projet plus concret, tout se passe si rapidement, cela me pousse à réfléchir de manière active à ce que je veux faire. Ce n’est pas seulement une fuite : je pars parce que je veux avoir l’opportunité d’être pleinement moi-même sans être remise en question, peu importe où je suis, peu importe comment je me présente, peu importe ce que je porte.”
Sarah exprime un profond dilemme : rester en France où elle a construit sa vie, ou envisager de partir à nouveau. « Je me suis posé la question de savoir si rester en France était la meilleure idée ou pas » confie-t-elle, “D’un côté, j’ai vraiment fait la majorité de ma vie adulte en France. À la sortie du livre “La France, tu l’aimes mais tu la quittes” il y a quelques mois, je me suis dit que si des personnes musulmanes de deuxième et troisième génération d’immigré-es ressentent ce besoin de partir, pourquoi moi je serais à l’aise en France ? On a un proverbe en Égypte qui dit “je suis entre deux feux” : à ma droite rentrer en Égypte où la situation est catastrophique. À ma gauche, rester en France où je n’ai plus envie d’avoir des portes fermées.”
“Les droits des femmes reculent partout où l’extrême droite est au pouvoir”
L’arrivée potentielle de l’extrême droite au pouvoir inquiète également quant aux attaques aux droits des femmes. L’extrême droite a voté contre l’inscription de l’IVG dans la Constitution et s’est abstenue lors du vote pour un plan de lutte contre le harcèlement sexuel, ou l’égalité salariale. Myriam est particulièrement préoccupée par ces répercussions sur les droits fondamentaux. « Ce parti défend des idées misogynes, sexistes et on constate partout où l’extrême droite est au pouvoir un recul des droits des femmes » dit-elle.
Sarah partage cette inquiétude, surtout en ce qui concerne le droit à l’avortement, “Indispensable. Cela fait partie de mes droits humains, ça fait partie de mes droits tout court”, affirme-t-elle. “J’en ai marre que l’on me dise de faire telle chose ou non parce que je suis une femme, et une femme musulmane. On est vraiment à une intersection de misogynie, islamophobie et racisme.”
Une question de survie
Pour de nombreuses personnes minorisées, cette situation représente plus qu’un simple dilemme politique ; c’est une question de survie. Sarah parle d’un collègue qui minimise les enjeux, un privilège dont elle ne peut se prévaloir. “Un collègue de travail m’a dit que ce serait fun de voir le RN au pouvoir pour voir ce qu’ils vont faire. Lui, en tant qu’homme blanc cis hétéro il n’est pas du tout touché, pour lui ce serait une simple expérience, mais pour nous, c’est toute notre vie.”
Célia, quant à elle, ressent une fatigue immense face à la remise en question constante de sa place en France. “Pour moi, il n’est pas question de résistance, mais de survie. Tous les jours, on crache sur toutes les personnes qui me ressemblent, on dit qu’on exploite le système, qu’on exploite les aides sociales, que l’on ne fait rien ». Un préjugé très ancré qui ne correspond pas à la réalité, les prestations sociales sont des droits, que de nombreuses personnes ne font pas valoir. « Mon grand-père a travaillé dans les usines Renault. Mes parents ont cumulé à eux deux 5 emplois pour que l’on ne manque de rien. Ils ont occupé des emplois précaires, des emplois mal payés. Mon père était livreur de journaux, il se levait en en plein milieu de la nuit pour qu’on puisse faire des activités, qu’on puisse aller en colonie de vacances, qu’on puisse avoir des cours de soutien si on en a besoin, pour qu’on puisse avoir tout ce qu’il nous faut. Nous n’avons jamais touché d’aide sociale. Je suis fatiguée que le fait que je sois Française soit toujours remis en question, même s’ils disent toujours que les enfants d’immigré-es ne sont pas concerné-es, pour moi si on ne respecte pas mes parents, on ne me respecte pas par extension.”
S’informer, voter et continuer à s’organiser
Pour faire face à cette situation, Myriam adopte plusieurs stratégies basées sur l’engagement. « Mon engagement au sein de l’association Lallab, qui défend les droits des femmes, en fait partie. C’est également mon engagement à aller voter aux élections législatives, » explique-t-elle. Elle met également l’accent sur l’importance de sensibiliser son entourage, “non informé de ces questions, car non concernés directement”.
Chaïma note que le contexte politique actuel a permis “la formation d’un bloc de gauche pour défendre des idées sociales, écologiques et anti-racistes”. Comme, elle, Myriam garde une lueur d’espoir dans le Front Populaire, malgré ses imperfections. « Je suis rassurée qu’ils aient réussi à s’organiser pour nous proposer une alternative » dit-elle, “même si, soyons honnêtes, c’est imparfait et la réponse n’est pas à la hauteur. Je suis également consciente des procédés des médias et du gouvernement en place, qui ont décidé de diaboliser ce parti tout en dédiabolisant l’extrême droite.”
Myriam insiste sur l’importance de soutenir les médias indépendants. « Il est important de leur donner de la force, car nous faisons face à une guerre de l’information » dit-elle. Pour elle, des médias comme Blast, StreetPress, Le Média, le Bondy Blog, jouent un rôle crucial en offrant un véritable travail journalistique en contraste avec le militantisme pro-RN et pro-Macron des grands médias.
Chaïma salue certaines des nouvelles lignes directrices des partis de gauche, et les investitures de militant-es de terrain comme Amal Bentounsi, Aly Diouara, et Sabrina Ali Benali. Ces personnes, qui pourraient potentiellement accéder à l’Assemblée, sont porteuses de combats politiques essentiels pour les personnes racisées, minorisées, issues des quartiers populaires. « Amal Bentounsi est une femme incroyable, qui s’engage depuis plusieurs années contre les violences policières, et la perspective qu’elle puisse devenir députée suscite beaucoup d’espoir en moi, » souligne-t-elle, “Le parti qui l’a investi, il y a 10-15 ans, était loin d’avoir une position anti-raciste et anti-islamophobe claire. Cependant, le travail persistant des militant-es antiracistes a permis de changer cela. Aujourd’hui, il y a un engagement réel sur la Palestine, avec des voix légitimes et antiracistes qui émergent dans ce contexte chaotique.”
Alors à Lallab, on continuera à créer nos propre narrations, à co-construire une réponse solidaire et commune face à l’avancée de l’extrême-doite, alignée sur nos valeurs, ainsi qu’une synergie féministe et antiraciste afin de pouvoir nous organiser.