Je suis binationale

par | 25 juin 2024 | Actualités, Nos Voix

[Élections đŸ—łïž]

En cette pĂ©riode d’Ă©lections lĂ©gislatives, avec l’extrĂȘme droite aux portes du pouvoir, il est crucial pour Lallab de donner la parole aux femmes musulmanes, principales impactĂ©es. La lutte passe par le vote (dimanche 30 juin et dimanche 7 juillet) et l’auto-organisation, et s’auto-organiser commence par le partage de nos rĂ©cits. DĂ©couvrez notre sĂ©rie d’articles.

Je suis binationale.

Cette binationalité française & marocaine est le fruit de plusieurs histoires.

Celles de mes parents.
Celles de mes familles.
Celles de mes pays.

La mienne aussi.

Je suis nĂ©e Marocaine Ă  Paris en 1985. 

Je suis devenue française par filiation suite Ă  la naturalisation française en 1988 de mes parents arrivĂ©âˆ™es pendant leurs Ă©tudes dans les annĂ©es 70.

Chacun∙e arrivant d’une rĂ©gion diffĂ©rente de leur Maroc natal. 

Ma mĂšre venait de la capitale politique Rabat, mon pĂšre venait de la capitale Ă©conomique Casablanca.
Et c’est dans la capitale française, aprĂšs avoir quittĂ© le Maroc pour Ă©tudier qu’iels se sont rencontrĂ©âˆ™es.

D’abord camardes de fac, puis ami∙es, puis maintenant famille, depuis prùs de 50 ans iels ont construit chaque facette de leurs vies dans ce pays.

Iels ont travaillé et usé leurs corps, ont élevé trois filles, ont investi toutes leurs économies pour nous offrir un toit, des études et des vacances. Iels passent leur retraite en France malgré les hivers pour assurer les déjeuners dominicaux et rester prÚs de leur petit-fils et de notre famille. Mes parents nous ont transmis que nos voisin.es faisaient partie de nos familles. Nos parents nous ont appris à ne jamais laisser seule une vieille dame chrétienne à Noël. Nos parents nous ont enseigné comment mixer nos cultures et nos mondes. Pour notre premier ramadan, nous avons chacune eu le droit à un Ftour avec nos amies les plus proches pour leur faire découvrir nos traditions et notre nourriture ramadanesque.

Iels ont choisi en 1988, alors que je n’avais que 3 ans, d’entrer dans la nationalitĂ© française pour nous permettre de nous sentir chez nous des deux cĂŽtĂ©s de notre MĂ©diterranĂ©e. Aussi loin que je sache le dire, j’ai toujours eu deux passeports.

En m’offrant la nationalitĂ© française, mes parents faisaient une promesse Ă  mes sƓurs et moi. Celle d’ĂȘtre et de sentir chez nous dans le pays oĂč nous sommes nĂ©es, oĂč nous avons grandi.

Nos parents nous faisaient la promesse d’appartenir au pays oĂč nous avons rencontrĂ© nos premiĂšres histoires d’amitiĂ© et d’amour. Iels ont adoptĂ© la nationalitĂ© française pour nous permettre de grandir dans un pays oĂč les Ă©coles affichent « LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ© Â». 

Ces mots ont toujours raisonnĂ© profondĂ©ment dans notre Ă©ducation ainsi que les notions de justice et de bienveillance. Trois SƓurs. SororitĂ© dĂšs le dĂ©part.

Mes parents nous ont Ă©levĂ©es en prenant soin de nous dire de prendre le meilleur de nos cultures multiples qu’elles soient françaises ou marocaines dans la diversitĂ© de ce qu’elles portent. Mes parents nous ont Ă©galement encouragĂ©es Ă  cultiver l’esprit curieux et aller Ă  la rencontre des autres. Ils nous ont transmis l’hospitalitĂ©, la joie de recevoir et de partager de bons repas.

Mes parents comme leurs parents avant elleux ne venaient pas des mĂȘmes Maroc, pas des mĂȘmes rĂ©gions, pas toujours des mĂȘmes milieux.

Le point commun de mes grands-parents, c’est l’ouverture vers l’étranger. L’étranger∙e qui tape Ă  la porte comme le pays Ă©tranger, la culture diffĂ©rente. 

Un de mes grands-pĂšres sera cuisinier pour l’ambassade du Maroc au Danemark, puis en Angleterre. Il finira sa carriĂšre Ă  Londres oĂč il s’installe avec sa femme et ses plus jeunes enfants pendant plus de 40 ans, adoptant la nationalitĂ© anglaise et la vie british.

Ainsi, dans ma famille se cĂŽtoient les nationalitĂ©s marocaines, françaises, anglaises, danoises, espagnoles, belges, canadiennes et plein d’autres. Je ne ferai pas l’inventaire de nos mĂ©tissages ethniques qui sont Ă  la fois le fruit du hasard et de l’Histoire.

Grandir dans une famille multiculturelle qui jongle avec plusieurs langues et plusieurs pays est une chance et une richesse qui m’a amenĂ© Ă  voyager seule trĂšs jeune pour aller visiter ma famille.

Mes parents ont choisi la France pour leurs Ă©tudes et iels finiront par y construire leur nid. Iels ont choisi la France comme une suite logique de leur instruction « Ă  la française Â». NĂ©âˆ™es dans le Maroc du dĂ©but des annĂ©es 1950’, dans un Maroc sous protectorat français. DĂšs le dĂ©but de leur scolaritĂ©, iels ont Ă©tĂ© nourri∙es de culture française. Leurs premiers souvenirs d’école, d’instits, sont avec des français∙es « pur souche Â». 

Il n’y a pas de hasard, juste une suite de rencontres qui imposent le choix de la France comme destination quelques annĂ©es plus tard pour se lancer dans l’aventure universitaire.

Je crois que quand iels sont arrivĂ©âˆ™es en France mes parents n’avaient mĂȘme pas prĂ©vu de se rencontrer. Alors « grand remplacer Â» la France, ce n’était pas vraiment le projet.

Ce que je sais, c’est qu’iels sont arrivĂ©âˆ™es avec une soif immense de connaissances, de libertĂ©, et avec un idĂ©al d’égalitĂ© et de solidaritĂ©. Cet idĂ©al je les ai vus se l’appliquer en couple, en famille, en citoyennetĂ©.

Ce que je sais, c’est que mes parents n’avaient pas prĂ©vu de rester en France et qu’iels se destinaient Ă  rentrer aprĂšs leurs Ă©tudes. Mais iels n’avaient pas prĂ©vu de se rencontrer Ă  Paris. Iels n’avaient pas prĂ©vu de devenir ami∙es, n’avaient pas prĂ©vu de devenir une famille.

Dans la vingtaine, rien n’est impossible.
Surtout si l’amour est là.

Je suis nĂ©e en 1985, 6 ans aprĂšs le mariage de mes parents Ă  Paris dans le 14e. Ma naissance a semble-t-il un peu ancrĂ© mes parents dans la ville oĂč iels ont dĂ©butĂ© leur vie de famille. Le choix de la naturalisation s’est naturellement imposĂ© Ă  ma famille. 

Par ce choix, mes parents m’ont offert la possibilitĂ© de me sentir lĂ©gitime Ă  me sentir chez moi dans le pays oĂč j’ai grandi, oĂč j’ai choisis de revenir vivre aprĂšs l’étranger, oĂč j’ai Ă©tudiĂ©, oĂč j’ai travaillĂ©, oĂč j’ai aimĂ© amoureusement et amicalement, oĂč je paye des impĂŽts, oĂč j’ai fĂȘtĂ©, oĂč j’ai traversĂ© la maladie, oĂč j’ai connu mes plus grandes joies.

GrĂące aux choix de mes parents, grĂące Ă  ce choix de me donner le choix d’ĂȘtre française et marocaine, j’ai pu partir en Ă©change au Canada et y travailler sans besoin de visa ou difficultĂ© administrative. J’ai mĂȘme eu le luxe de perdre mon passeport aux US alors que je vivais au canada sans que ce soit un drama en 2009. ProblĂšme rĂ©glĂ© en moins de 3 jours, weekend compris.

GrĂące aux choix de mes parents, grĂące Ă  ce choix de me donner le choix d’ĂȘtre française et marocaine, je me suis sentie lĂ©gitime Ă  ĂȘtre une citoyenne engagĂ©e et investie dans la vie de la citĂ©. Car le public et l’intime sont politiques.

GrĂące Ă  leur amour des gens, des histoires, de l’Histoire, et leur souci de la transmission de l’ensemble de nos cultures : marocaine, arabes, françaises, africaines, europĂ©ennes, parisiennes, citadines, musulmanes, maures, judeo-chrĂ©tiennes, etc. Dans tous les ordres et les dĂ©sordres.

GrĂące Ă  mes parents et leur amour, je me tiens devant vous Ă  l’intersectionnalitĂ© de toutes ces identitĂ©s auxquelles s’en ajoutent tant d’autres.

Je suis chanceuse que mes parents se soient rencontrĂ©s dans une France des annĂ©es 1970 sĂ»rement imparfaite mais qui me semble parfois plus ouverte que la France que je vois ces derniers jours dans l’écran cathodique.

Est-ce que deux jeunes venant du Maroc, viendraient Ă  Paris pour faire leurs Ă©tudes et pourquoi pas se rencontrer et se marier ? Est- ce qu’iels auraient la possibilitĂ© de rĂȘver Ă  cette possibilitĂ© de crĂ©er une famille dans un pays Ă©tranger ? 

Est-ce qu’iels auraient l’espace mentale et administratif pour laisser leur histoire Ă©clore ?

Je suis nĂ©e en 1985, Ă  bientĂŽt 40 ans, je crois qu’on peut s’aimer fĂ©rocement, radicalement des gens trĂšs diffĂ©rents de nous sans rien y perdre bien au contraire. Je suis une profonde optimiste ascendant utopie rĂ©aliste. 

J’ai eu la chance de grandir auprĂšs de gens, de mes gens, qui m’ont offert l’amour parfois maladroit mais toujours sincĂšre en hĂ©ritage. GrĂące Ă  ma mĂšre et Ă  mon pĂšre, j’ai compris que lorsque je faisais pour la communautĂ©, je faisais aussi pour moi et que lorsque je faisais pour moi, je faisais aussi pour la communautĂ©. Mes parents m’ont appris que je n’étais pas le fruit d’une communautĂ© mais l’intersection de plusieurs communautĂ©s.

Ma France à moi, elle ressemble en partie à ça.

Choukran Mama ou Baba

crédit image : @itineraire_z