[Ălections đłïž]
En cette pĂ©riode d’Ă©lections lĂ©gislatives, avec l’extrĂȘme droite aux portes du pouvoir, il est crucial pour Lallab de donner la parole aux femmes musulmanes, principales impactĂ©es. La lutte passe par le vote (dimanche 30 juin et dimanche 7 juillet) et lâauto-organisation, et sâauto-organiser commence par le partage de nos rĂ©cits. DĂ©couvrez notre sĂ©rie d’articles.
Je suis binationale.
Cette binationalité française & marocaine est le fruit de plusieurs histoires.
Celles de mes parents.
Celles de mes familles.
Celles de mes pays.
La mienne aussi.
Je suis née Marocaine à Paris en 1985.
Je suis devenue française par filiation suite Ă la naturalisation française en 1988 de mes parents arrivĂ©âes pendant leurs Ă©tudes dans les annĂ©es 70.
Chacunâe arrivant dâune rĂ©gion diffĂ©rente de leur Maroc natal.
Ma mĂšre venait de la capitale politique Rabat, mon pĂšre venait de la capitale Ă©conomique Casablanca.
Et câest dans la capitale française, aprĂšs avoir quittĂ© le Maroc pour Ă©tudier quâiels se sont rencontrĂ©âes.
Dâabord camardes de fac, puis amiâes, puis maintenant famille, depuis prĂšs de 50 ans iels ont construit chaque facette de leurs vies dans ce pays.
Iels ont travaillé et usé leurs corps, ont élevé trois filles, ont investi toutes leurs économies pour nous offrir un toit, des études et des vacances. Iels passent leur retraite en France malgré les hivers pour assurer les déjeuners dominicaux et rester prÚs de leur petit-fils et de notre famille. Mes parents nous ont transmis que nos voisin.es faisaient partie de nos familles. Nos parents nous ont appris à ne jamais laisser seule une vieille dame chrétienne à Noël. Nos parents nous ont enseigné comment mixer nos cultures et nos mondes. Pour notre premier ramadan, nous avons chacune eu le droit à un Ftour avec nos amies les plus proches pour leur faire découvrir nos traditions et notre nourriture ramadanesque.
Iels ont choisi en 1988, alors que je nâavais que 3 ans, dâentrer dans la nationalitĂ© française pour nous permettre de nous sentir chez nous des deux cĂŽtĂ©s de notre MĂ©diterranĂ©e. Aussi loin que je sache le dire, jâai toujours eu deux passeports.
En mâoffrant la nationalitĂ© française, mes parents faisaient une promesse Ă mes sĆurs et moi. Celle dâĂȘtre et de sentir chez nous dans le pays oĂč nous sommes nĂ©es, oĂč nous avons grandi.
Nos parents nous faisaient la promesse dâappartenir au pays oĂč nous avons rencontrĂ© nos premiĂšres histoires dâamitiĂ© et dâamour. Iels ont adoptĂ© la nationalitĂ© française pour nous permettre de grandir dans un pays oĂč les Ă©coles affichent « LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ© ».
Ces mots ont toujours raisonnĂ© profondĂ©ment dans notre Ă©ducation ainsi que les notions de justice et de bienveillance. Trois SĆurs. SororitĂ© dĂšs le dĂ©part.
Mes parents nous ont Ă©levĂ©es en prenant soin de nous dire de prendre le meilleur de nos cultures multiples quâelles soient françaises ou marocaines dans la diversitĂ© de ce quâelles portent. Mes parents nous ont Ă©galement encouragĂ©es Ă cultiver lâesprit curieux et aller Ă la rencontre des autres. Ils nous ont transmis lâhospitalitĂ©, la joie de recevoir et de partager de bons repas.
Mes parents comme leurs parents avant elleux ne venaient pas des mĂȘmes Maroc, pas des mĂȘmes rĂ©gions, pas toujours des mĂȘmes milieux.
Le point commun de mes grands-parents, câest lâouverture vers lâĂ©tranger. LâĂ©trangerâe qui tape Ă la porte comme le pays Ă©tranger, la culture diffĂ©rente.
Un de mes grands-pĂšres sera cuisinier pour lâambassade du Maroc au Danemark, puis en Angleterre. Il finira sa carriĂšre Ă Londres oĂč il sâinstalle avec sa femme et ses plus jeunes enfants pendant plus de 40 ans, adoptant la nationalitĂ© anglaise et la vie british.
Ainsi, dans ma famille se cĂŽtoient les nationalitĂ©s marocaines, françaises, anglaises, danoises, espagnoles, belges, canadiennes et plein dâautres. Je ne ferai pas lâinventaire de nos mĂ©tissages ethniques qui sont Ă la fois le fruit du hasard et de lâHistoire.
Grandir dans une famille multiculturelle qui jongle avec plusieurs langues et plusieurs pays est une chance et une richesse qui mâa amenĂ© Ă voyager seule trĂšs jeune pour aller visiter ma famille.
Mes parents ont choisi la France pour leurs Ă©tudes et iels finiront par y construire leur nid. Iels ont choisi la France comme une suite logique de leur instruction « Ă la française ». NĂ©âes dans le Maroc du dĂ©but des annĂ©es 1950â, dans un Maroc sous protectorat français. DĂšs le dĂ©but de leur scolaritĂ©, iels ont Ă©tĂ© nourriâes de culture française. Leurs premiers souvenirs dâĂ©cole, dâinstits, sont avec des françaisâes « pur souche ».
Il nây a pas de hasard, juste une suite de rencontres qui imposent le choix de la France comme destination quelques annĂ©es plus tard pour se lancer dans lâaventure universitaire.
Je crois que quand iels sont arrivĂ©âes en France mes parents nâavaient mĂȘme pas prĂ©vu de se rencontrer. Alors « grand remplacer » la France, ce nâĂ©tait pas vraiment le projet.
Ce que je sais, câest quâiels sont arrivĂ©âes avec une soif immense de connaissances, de libertĂ©, et avec un idĂ©al dâĂ©galitĂ© et de solidaritĂ©. Cet idĂ©al je les ai vus se lâappliquer en couple, en famille, en citoyennetĂ©.
Ce que je sais, câest que mes parents nâavaient pas prĂ©vu de rester en France et quâiels se destinaient Ă rentrer aprĂšs leurs Ă©tudes. Mais iels nâavaient pas prĂ©vu de se rencontrer Ă Paris. Iels nâavaient pas prĂ©vu de devenir amiâes, nâavaient pas prĂ©vu de devenir une famille.
Dans la vingtaine, rien nâest impossible.
Surtout si lâamour est lĂ .
Je suis nĂ©e en 1985, 6 ans aprĂšs le mariage de mes parents Ă Paris dans le 14e. Ma naissance a semble-t-il un peu ancrĂ© mes parents dans la ville oĂč iels ont dĂ©butĂ© leur vie de famille. Le choix de la naturalisation sâest naturellement imposĂ© Ă ma famille.
Par ce choix, mes parents mâont offert la possibilitĂ© de me sentir lĂ©gitime Ă me sentir chez moi dans le pays oĂč jâai grandi, oĂč jâai choisis de revenir vivre aprĂšs lâĂ©tranger, oĂč jâai Ă©tudiĂ©, oĂč jâai travaillĂ©, oĂč jâai aimĂ© amoureusement et amicalement, oĂč je paye des impĂŽts, oĂč jâai fĂȘtĂ©, oĂč jâai traversĂ© la maladie, oĂč jâai connu mes plus grandes joies.
GrĂące aux choix de mes parents, grĂące Ă ce choix de me donner le choix dâĂȘtre française et marocaine, jâai pu partir en Ă©change au Canada et y travailler sans besoin de visa ou difficultĂ© administrative. Jâai mĂȘme eu le luxe de perdre mon passeport aux US alors que je vivais au canada sans que ce soit un drama en 2009. ProblĂšme rĂ©glĂ© en moins de 3 jours, weekend compris.
GrĂące aux choix de mes parents, grĂące Ă ce choix de me donner le choix dâĂȘtre française et marocaine, je me suis sentie lĂ©gitime Ă ĂȘtre une citoyenne engagĂ©e et investie dans la vie de la citĂ©. Car le public et lâintime sont politiques.
GrĂące Ă leur amour des gens, des histoires, de lâHistoire, et leur souci de la transmission de lâensemble de nos cultures : marocaine, arabes, françaises, africaines, europĂ©ennes, parisiennes, citadines, musulmanes, maures, judeo-chrĂ©tiennes, etc. Dans tous les ordres et les dĂ©sordres.
GrĂące Ă mes parents et leur amour, je me tiens devant vous Ă lâintersectionnalitĂ© de toutes ces identitĂ©s auxquelles sâen ajoutent tant dâautres.
Je suis chanceuse que mes parents se soient rencontrĂ©s dans une France des annĂ©es 1970 sĂ»rement imparfaite mais qui me semble parfois plus ouverte que la France que je vois ces derniers jours dans lâĂ©cran cathodique.
Est-ce que deux jeunes venant du Maroc, viendraient Ă Paris pour faire leurs Ă©tudes et pourquoi pas se rencontrer et se marier ? Est- ce quâiels auraient la possibilitĂ© de rĂȘver Ă cette possibilitĂ© de crĂ©er une famille dans un pays Ă©tranger ?
Est-ce quâiels auraient lâespace mentale et administratif pour laisser leur histoire Ă©clore ?
Je suis nĂ©e en 1985, Ă bientĂŽt 40 ans, je crois quâon peut sâaimer fĂ©rocement, radicalement des gens trĂšs diffĂ©rents de nous sans rien y perdre bien au contraire. Je suis une profonde optimiste ascendant utopie rĂ©aliste.
Jâai eu la chance de grandir auprĂšs de gens, de mes gens, qui mâont offert lâamour parfois maladroit mais toujours sincĂšre en hĂ©ritage. GrĂące Ă ma mĂšre et Ă mon pĂšre, jâai compris que lorsque je faisais pour la communautĂ©, je faisais aussi pour moi et que lorsque je faisais pour moi, je faisais aussi pour la communautĂ©. Mes parents mâont appris que je nâĂ©tais pas le fruit dâune communautĂ© mais lâintersection de plusieurs communautĂ©s.
Ma France à moi, elle ressemble en partie à ça.
Choukran Mama ou Baba
crédit image : @itineraire_z