Nous avons commencé l’année à Lallab par un parcours de formation des bénévoles, qui s’est déroulé durant les mois d’octobre et novembre. L’occasion de connaître les prénoms, les visages, les histoires les unes des autres et de se forger un socle de références communes. Lors de la journée de bilan, l’équipe magazine est allée demander à plusieurs Lallas ce qu’elles avaient appris durant ces deux mois.
« Durant le parcours de formation, je me suis rendue compte que, même si on est réunies pour lutter contre la même chose, c’est ok d’apprendre les choses à son rythme et de donner ce qu’on peut quand on peut », confie Myriam, cinéaste. Bénévole depuis plusieurs années, cette Lalla, déjà passée par les équipes « groupe de parole » et « festival », a intégré le magazine le temps du parcours de formation.
Nouveauté cette année : les équipes ne sont plus permanentes mais provisoires. Elles sont constituées pour répondre à un objectif puis dissoutes lorsqu’il est atteint. Chaque Lalla peut donc en changer plusieurs fois dans l’année. Une organisation appréciable pour certaines, comme Myriam, qui peuvent choisir des équipes plus ou moins demandeuses en investissement en fonction de leurs disponibilités.
« J’ai compris que je n’étais pas seule »
Mouna, étudiante en sciences politiques à Bruxelles, a intégré Lallab cette année. Échanger avec les autres bénévoles, touchées par les mêmes problématiques, notamment dans le milieu du travail, a été source de réconfort. « Ce que j’ai appris, c’est que je ne suis pas seule dans mon combat. Nous sommes plusieurs à vivre les mêmes violences sans pour autant nous connaître ni venir des mêmes milieux », explique-t-elle.
Une prise de conscience qui a pu avoir lieu durant le Lallab Day (le week-end de rencontre et de formation des bénévoles) et surtout au cours des groupes de parole, organisés les 23 octobre et 20 novembre après-midi. « Je me suis rendu compte que je vivais la même chose presque mot pour mot qu’une autre Lalla », s’étonne Mouna.
Le groupe de parole a aussi été une belle découverte pour May, 24 ans, étudiante en sociologie. « Je n’avais jamais participé à ce type d’activité avant et je pensais ne pas aimer ça », raconte-t-elle. « Finalement, j’ai dit des choses dont je n’ai même pas parlé à des gens que je connais. En général, je me dis que les gens ne vont pas comprendre ou me juger et j’ai la flemme de tout expliquer et de me justifier. Mais là, je n’ai pas ressenti ce besoin-là parce qu’on avait toutes les mêmes valeurs et que même si les histoires étaient différentes, elles se rejoignaient. »
La découverte de l’imamat féminin
Quant à Assadiallo, 29 ans, c’est la découverte de la figure d’Oum Waraqa qu’elle retiendra. Les 23 octobre et 20 novembre matin, lors des Lallab Agora, des ateliers de transmission du savoir et de réflexion collective, l’équipe en charge a présenté les fruits de son travail auprès du reste des bénévoles. L’occasion de découvrir trois figures féministes musulmanes invisibilisées : Maboula Soumahoro, Fatima Mernissi et Oum Waraqa.
Pour retracer l’histoire de cette dernière, l’équipe s’est appuyée sur le travail d’Attika Trabelsi, qui a publié l’année dernière le livre À quoi ressemblerait l’Islam si toutes ces femmes musulmanes n’avaient pas été oubliées ?. Oum Waraqa, l’une des 15 figures présentées dans l’ouvrage, est la première femme ayant obtenu le statut d’imam, ce que de nombreux commentateurs contestent (ils s’appuient pour cela sur le fait que le prophète (PSL) l’ait chargée de diriger la prière dans son « dar » au sens de « maison » et non de « quartier », mais cette interprétation paraît peu cohérente avec le fait qu’un muezzin ait été mobilisé à l’époque pour l’appel à la prière).
Une révélation pour Assadiallo : « Dans mon entourage, j’entends tellement d’arguments contre l’imamat féminin, que pouvoir puiser dans des sources religieuses pour affirmer que c’est possible, que ça a déjà été fait, non pas sous les ordres d’un calife, mais du prophète (PSL) lui-même, c’est incroyable », raconte-t-elle, enthousiaste.
Orientalisme et lien entre racisme et capitalisme : les déclics des Lallas
Le Lallab Agora n’était pas la seule étape du parcours de formation où ont pu être échangés des savoirs. Le 11 octobre avait lieu à distance la formation « Discriminations systémiques : comprendre pour agir », lors de laquelle des outils ont été donnés pour identifier les discriminations systémiques.
À cette occasion, Nawal, 39 ans, a fait le lien entre deux concepts : « J’ai eu un déclic sur le lien entre le capitalisme et le racisme. Lors de l’arrivée des Espagnols et des Portugais en Amérique latine, les populations autochtones ont été décimées par les colons, qui ont pris soin qu’ils ne soient plus considérés comme de vrais hommes. » C’est à la suite de cet épisode que l’esclavage se développe, pour exploiter les terres nouvellement colonisées par les Européens. Le racisme vient en appui de la colonisation et de l’esclavage pour justifier le traitement fait à ces populations par le fait qu’elle soient inférieures.
Cette formation a été dispensée par Justine Devillaine, co-fondatrice et directrice, et Paya Ndiaye, responsable de la mobilisation collective et de la formation, à qui nous avons aussi tendu le micro. « Après ce parcours de formation, je repars avec une manière beaucoup plus concise, ludique et complète d’expliquer l’islamophobie, ses sources et la manière dont elle est utilisée politiquement à des fins bien spécifiques. J’avais tous les éléments en tête mais la manière dont Assadiallo les a présentés après la projection-débat était hyper enrichissante », déclare-t-elle.
Lors de cette présentation qui a suivi la projection du premier épisode du Women Sense Tour, le 20 octobre, Assadiallo (la même qui nous confiait avoir découvert avec émerveillement Oum Waraqa), a notamment évoqué le concept d’orientalisme. « Je voyais très bien ce que c’était comme courant littéraire, politique et idéologique, mais je n’avais pas réalisé à quel point il avait alimenté le racisme envers les Arabes et plus généralement l’islamophobie », détaille Paya.
Mieux se connaître
Lors de la dernière journée du parcours bénévole, dimanche 27 novembre, toutes les équipes ont fait le bilan sur les actions menées. Durant cette journée des temps de réflexion sur les compétences et les potentiels de chacune ont été aussi organisés, notamment un exercice pour identifier son style de leadership (à chaque style était associée une couleur).
Béatrix y a découvert une nouvelle facette de sa personnalité : « Si en surface je suis ce qu’on appelle une personne verte, c’est-à-dire qu’en termes de leadership j’aime discuter avec les gens, m’assurer que tout le monde a pu donner son opinion et qu’il y a un consensus, c’est le style rouge qui ressort dès qu’il y a une situation stressante ou qu’il y a besoin d’action. Je vais être alors beaucoup plus directive et autoritaire. »
Pour conclure ce tour d’horizon du parcours de formation, voici le joli témoignage de Maryème, 21 ans, qui participé à organiser la marche féministe et antiraciste du 15 octobre et nous décrit son atmosphère magique : « C’était dans le 93, ce qui nous a permis de montrer que nos quartiers ne sont pas des déserts féministes. Ce que j’ai trouvé incroyable, c’est la communauté de femmes racisées présentes et le fait que les femmes musulmanes soient mises à l’honneur en étant placées en tête de cortège. C’est incroyable l’effet que ça a eu de marcher dans les rues de Saint-Denis. Des hommes venaient nous voir, nous soutenir, nous demander ce qu’on faisait. Des personnes ont même reconnu les panneaux de Lallab et sont venues nous parler en nous disant que ce que faisions était incroyable. Les gens voient les efforts que nous faisons, ça donne du pouvoir, ça fait du bien, ça donne envie de tout casser ! »
Merci à Myriam, Mouna, May, Assa, Nawal, Paya, Béatrix et Maryème pour leurs témoignages.
Crédit photo image à la une : @dalal.tmr