Les histoires courtes de Pommette sont des textes de fiction destinés à redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Un grand merci à Myriam pour ses jolies illustrations !
Il était une fois, pendant le Ramadan, deux mondes, séparés par un couloir.
À droite du couloir, il y avait le salon, monde des hommes. Une heure avant la rupture du jeûne, les pères et les maris débarquaient, s’asseyaient autour de la grande table et commentaient l’actualité, d’ici et de là-bas. Plus tard, les jeunes se joignaient à eux, le front encore transpirant de la partie de football qu’ils venaient d’interrompre. Les anciens se mettaient alors à les questionner : qui avait gagné le match ? Est-ce qu’ils travaillaient bien à l’école ? Quel sport pratiquaient-ils ?
À gauche du couloir, il y avait la cuisine, monde des femmes. Elles étaient là depuis plusieurs heures déjà, répétant les mêmes gestes que chaque jour. Au fil des années, elles avaient mémorisé les particularités alimentaires de chacun. L’oncle voulait sa brick avec harissa mais sans câpres, le mari avec œuf dur, le neveu avec œuf coulant. Le cousin n’aimait pas le poulet donc il fallait prévoir du bœuf. Leur perception du temps aussi s’était perfectionnée : elles savaient que c’était une heure avant la rupture qu’il fallait pétrir la pâte du mlewi et quinze minutes avant qu’il fallait le mettre à frire dans la poêle pour qu’il soit servi chaud. La citronnade devait être préparée suffisamment à l’avance pour être fraîche, mais assez tard pour conserver les vitamines.
Alors que dans le monde des hommes, la rupture semblait ne jamais arriver, dans le monde des femmes, elle arrivait toujours trop vite. Lorsqu’elle survenait, les hommes croisaient leurs bras face à leurs assiettes tandis que les femmes, mécaniquement, attrapaient, remplissaient, resservaient, déposaient un plat à la cuisine, en ramenaient un autre. Puis, une fois que les hommes avaient tout ce qu’il leur fallait et qu’elles savaient qu’elles n’auraient pas à faire d’aller-retour d’ici quelques minutes, elles s’asseyaient sur la table basse, celle pour les femmes et les enfants, et mangeaient enfin. Elles n’avaient pas la disponibilité d’esprit de savourer les plats qu’elles avaient cuisinés, toutes attentives qu’elles étaient à ce qui se déroulait à la table d’en haut. Malgré leur expérience, elles commettaient toujours de petites erreurs, que les hommes, dans leur grande générosité, leur faisaient remarquer pour les aider à s’améliorer : un plat trop froid, pas assez salé, une cuillère mal lavée, une assiette manquante. Les femmes avaient cependant développé des stratégies astucieuses pour réduire le nombre d’erreurs. Par exemple, elles s’attribuaient toujours les bricks froides ou les mlewis trop cuits pour ne pas déranger les hommes. Si jamais elles avaient sous-estimé les quantités, elles se servaient moins, de sorte à ce qu’ils puissent satisfaire leurs appétits.
Quand les ventres des hommes étaient gonflés et leurs assiettes vides, sans un mot, les femmes se levaient, ramassaient les assiettes, passaient l’éponge sur la grande table, ramenaient les fruits, préparaient le café. Puis, moment qui amusait toujours les hommes, elles se disputaient pour faire la vaisselle tandis qu’ils se rendaient à la mosquée pour tarawih.
Mais un jour, les femmes en eurent marre. Elles commencèrent par servir aux hommes des bricks brûlées et froides et à garder les meilleures pour elles. Puis elles se mirent à profiter pleinement des repas, à manger avec plaisir, à rigoler, discuter et chanter autour de la petite table, en ignorant les demandes des hommes qui souhaitaient qu’on les serve. Quelques jours plus tard, elles décidèrent, une fois le repas fini, de laver seulement leurs propres assiettes et de se rendre ensuite ensemble à la prière de tarawih. Elles passèrent la nuit à discuter de leur foi et cela leur plut tellement qu’elles se dirent qu’elles y retourneraient tous les soirs.
Crédit : @myriam_arts
Le lendemain, lorsque les pères et les maris arrivèrent dans le salon, les femmes s’étaient assises autour de la grande table. Les hommes se mirent en colère, crièrent sur les femmes et certains devinrent même violents. Mais cela n’arrêta pas les femmes, qui continuèrent à faire ce qui leur semblait juste.
Les hommes argumentèrent que leur comportement était contraire aux ordres de Dieu, mais les femmes répondirent que le travail ménager n’était pas le devoir de la femme en Islam et que leur nouvelle vie leur permettait justement d’être plus proches de Dieu et de lire, honorant ainsi la première sourate du Coran. Les hommes utilisèrent alors leur intelligence, se remirent en question et changèrent.
Il était une fois, pendant le Ramadan, un monde harmonieux, dans lequel femmes et hommes s’impliquaient pour que ce mois soit synonyme de sérénité et d’apaisement pour tou.te.s…