Plusieurs footballeuses professionnelles ou amatrices se sont regroupées au sein de la campagne « Les Hijabeuses » afin d’avoir le droit de pratiquer leur sport avec leur foulard. En effet, la FFF interdit toujours aux joueuses de le porter pendant les matchs. Bouchra, membre du collectif, répond à nos questions. Elle nous explique à quel point les lois liberticides et islamophobes de notre pays, mettent en danger les femmes autant psychologiquement que physiquement.
Au départ
Au départ, il y a la FIFA, qui autorise enfin en 2014 les femmes à porter leur voile pendant les matchs de football. Malheureusement en France, la FFF continue obstinément à leur refuser ce droit fondamental. « La FFF est la seule fédération à maintenir la politique d’exclusion des femmes qui portent le foulard sous le principe de laïcité […] alors que les autres pays l’autorisent. Il n’y a aucun argument, même d’hygiène et de sécurité. Les nouveaux hijabs de Nike par exemple sont parfaitement homologués ».
Face à ce refus constant, un groupe de footballeuses décide de s’organiser et de lancer la campagne Les Hijabeuses, accueilli au sein de l’association Alliance Citoyenne. Cette association comporte 4 syndicats principaux et c’est dans le syndicat des femmes musulmanes que Les Hijabeuses ont pu s’inscrire.
Bouchra nous explique : « Ce qui nous a motivées, c’est qu’en 2021 nos droits les plus fondamentaux sont bafoués. Le sport est synonyme de bien-être et d’épanouissement. Cela fait des années qu’il y a du sexisme, du racisme et de l’islamophobie qui persistent dans le domaine du sport. Et nous, en tant que femmes, femmes racisées et qui portent le voile, c’est comme une triple sanction. Tous les week-ends, il y a des femmes qui se font exclure des terrains de football car elles portent le foulard sur la tête. Moi personnellement, quand j’ai commencé à jouer en club il y a deux ans, à l’entraînement, pas de soucis, mais dès que je fais des matchs en compétition, je suis interpellée par l’arbitre pour retirer ce que j’ai sur la tête. Et je ne suis pas la seule. Depuis la lancée de notre campagne, on s’est rendu compte qu’on était beaucoup à se faire discriminer. C’est pour ça qu’on a décidé de lancer le collectif ».
Crédit photo: Marthe Minaret
L’islamophobie de l’état
Alors qu’en France, le 12 avril 2021, le projet de loi « confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme » a été adopté en première lecture par le Sénat, un nouvel amendement vise à interdire le port du voile dans les compétitions sportives.
« Aujourd’hui, clairement, on a un contexte politique islamophobe. Les citoyennes françaises qui portent le voile sont la cible du gouvernement. J’ai l’impression qu’on veut penser, choisir et prendre des décisions à notre place. On nous interdit l’accès scolaire, l’accès au sport, l’accès aux baignades publiques… Et ensuite ce sera quoi ? C’est un enchaînement de lois liberticides. Nous, à travers cette campagne, on se lève et on dit stop ».
Se faire entendre devient vital lorsque l’on subit quotidiennement des discriminations liées à son identité. « Moi je suis de nature très timide, réservée et tout ce que j’ai vécu, ça m’a forcé à prendre la parole, à mobiliser, à en parler autour de moi, à essayer de connaître mes droits. Et il y a plein de femmes comme moi qui sont timides et réservées, qui n’auraient jamais pris la parole devant un.e journaliste et aujourd’hui on le fait par nécessité. Si on ne le fait pas nous-même, personne ne va le faire à notre place ». Une nécessité pour nombre de femmes qui subissent ces discriminations. « J’ai vécu des discriminations par rapport à ma tenue vestimentaire, par rapport à mon voile, toute ma vie. Que ce soit à l’école, dans le domaine professionnel, en stage, et même maintenant aujourd’hui dans le sport. J’ai toujours vécu ça ».
Pour Bouchra, l’interdiction même de porter le foulard dans un sport freine les plus jeunes à se lancer dedans. « L’exclusion ça a des conséquences graves sur le plan psychologique et physique. Comme je t’ai dit, je l’ai vécu toute ma vie et ça crée en toi plein de mauvaises choses. Tu manques de confiance en toi, tu stresses constamment, tu as peur du rejet, ça te casse. Avec le temps, tu ne t’en rends plus compte et tu te refuses plein de choses. Juste par peur de te faire exclure et de te faire humilier. On va nous conditionner à nous restreindre psychologiquement et physiquement. Tu n’as même plus envie d’essayer quoi que ce soit et tu te dis « ça sert à rien je porte le voile, il va encore me dire non ».
Crédit photo : Charlotte Abramow
Un avenir sorore
Lancée en mai 2020, l’association compte déjà 170 contacts engagés et 66 membres adhérents. « La demande grandit de plus en plus. Ça grandit proportionnellement avec l’islamophobie. Les femmes veulent prendre la parole pour défendre leur droit ». Malheureusement, la crise sanitaire freine quelque peu les actions que voudrait mener le collectif, par exemple en organisant plus de rencontres physiques ou plus de matchs solidaires. N’étant pas une équipe de football officielle, mais bien une campagne, elles souhaitent avant tout se faire connaître du grand public afin de faire évoluer les mentalités. « On n’est pas un club officiel avec des tournois, des compétitions. C’est surtout destiné à la communication, pour partager nos expériences avec les gens, essayer d’accueillir des nouveaux allié.es et avoir des personnes qui peuvent nous aider dans notre campagne ».
Et cela fonctionne. Bouchra voit une vraie évolution dans le regard des gens et aussi de ses collègues masculins. La sensibilisation de leur vécu permet de faire bouger les mentalités. « Je trouve qu’il y a une bonne évolution. Les gens maintenant en parlent de plus en plus, se mobilisent de plus en plus et dans mon entourage personnel, il y en avait plein qui n’étaient pas au courant de toutes ces discriminations que je vivais et que je vis encore. Et par la suite, il y a eu beaucoup d’intérêt et de soutien. Ça fait plaisir, on sent que ça touche, ça éveille les consciences, ça fait évoluer les choses. […] Les hommes dans mon environnement n’étaient pas au courant de toutes ces discriminations que les femmes qui portent le foulard vivent au quotidien. Après qu’ils aient été informés, cela a créé beaucoup d’intérêt. Mes frères se sont montrés très soutenants. Les nouvelles générations sont beaucoup plus ouvertes. C’est mon avis personnel ».
Crédit photo : Charlotte Abramow
Le collectif lui donne aussi beaucoup de force pour affronter le quotidien et faire face aux remarques constantes. « Quand tu partages les mêmes choses avec des personnes qui ont vécu les mêmes choses que toi, qui te comprennent, c’est puissant, c’est fort. On est toutes bienveillantes entre nous parce qu’on se comprend, il n’y a pas d’ambiguïtés, que du partage, du plaisir, des conseils et du soutien. On a vécu des choses et cette cohésion d’équipe ça nous aide, c’est fort. J’ai rencontré des personnes formidables et quand je pense à elles, elles m’ont beaucoup inspirée et on a pris le temps depuis le début de la campagne de créer un cocon bienveillant pour grandir et se soutenir. Parce que c’est vrai que quand on a débarqué sur les réseaux, c’était dur, c’était violent. Quand tu commences à prendre la parole sur quelque chose, tu auras beaucoup de soutien, mais il y aura aussi beaucoup de gens qui vont venir te casser gratuitement. Le fait d’être avec des personnes qui sont bienveillantes, à l’écoute et qui comprennent, ça change tout. Ça me fait penser à une célèbre citation anglaise « When women support each other, incredible things happen ». Nous clairement c’était ça, musulmanes ou non, on avance ensemble pour une société qui accepte toutes les femmes comme elles sont ».
L’association intègre des personnes très différentes. Certain.es sont concerné.es, d’autres non, mais chacun.e œuvre pour aller dans la même direction. « Il y en a qui pratiquent le foot depuis l’enfance, d’autres qui viennent de découvrir ce sport. Dans tous les cas, c’est des personnes passionnées, des compétitrices. Des compétitrices qu’on empêche d’évoluer dans leur domaine et il y en a aussi qui ne pratiquent pas le foot. Il y a des runneuses, des joueuses de basket, des joueuses de hand. C’est un peu pluriel et en fait elles rejoignent notre campagne parce que ça leur parle. Elles portent le voile ou pas, mais elles se sentent concernées par cette injustice. Il y en a même qui nous demandent de faire une campagne pour chaque sport. Il y en a qui font zéro sport même, qui sont juste alliées ! C’est important qu’il y ait des personnes qui nous soutiennent, même si elles ne font pas de sport, même si elles ne sont pas musulmanes, même si elles ne portent pas le voile, même si elles n’ont jamais subi d’injustices ou de discriminations. Je trouve ça beau, car on se lève ensemble contre ces injustices. Et c’est que comme ça qu’on va pouvoir avancer ensemble et créer quelque chose de positif. Juste en tant qu’être humain, on a une responsabilité. Quand une personne subie une injustice ou discrimination, on va se lever contre ça et on a une responsabilité par rapport à ça ».
Voilà qui est dit. Allié.es, il est temps de s’unir et de se battre aux côtés des personnes concernées, car nous ne pouvons plus continuer à ignorer les injustices que subissent les femmes musulmanes qui portent le voile en France. Les Hijabeuses ont d’ailleurs besoin d’aide, tant pour rejoindre le rang des membres que pour partager leurs actions. N’hésitez plus !
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