Diariatou Kebe, militante pour nos enfants

par | 7 octobre 2019 | Portraits

Diariatou Kebe est blogueuse, écrivaine mais aussi militante. Elle est également présidente de l’association Diveka, luttant pour la reconnaissance de la diversité dans les productions culturelles à destination de la jeunesse. Elle revient pour nous sur son parcours.

 

La maternité, le déclic de son militantisme

 

“Depuis que je suis devenue maman, j’ai très peur de l’avenir”, affirme Diariatou Kebe. Elle redoute le fait que son enfant vive tout le racisme qu’elle a pu subir tout au long de sa vie. “Comment pourrais-je expliquer à mon fils que nous n’avons rien fait pour lutter contre cela ?”, s’interroge la mère du garçon de 9 ans. Cela lui rappelle son vécu. Elle est née et elle a grandi en France, mais elle a systématiquement été renvoyée à sa couleur de peau. En effet, elle raconte par exemple les difficultés auxquelles elle a été confrontée afin de trouver un stage en troisième. Le fait d’avoir un fils la questionne également sur l’éducation à donner à son enfant, afin qu’il soit respectueux envers les femmes et qu’il “bénéficie le moins possible du patriarcat”. Diariatou ne s’estimait pas vraiment féministe auparavant. Cependant, depuis sa grossesse, elle tient absolument à ce que son fils ait totalement conscience des inégalités dues au genre. Elle tente également de ne pas imposer à son enfant certaines couleurs perçues comme masculines. Néanmoins, “parfois, il rentre à la maison en me disant qu’il ne veut plus porter de rose parce que c’est pour les filles”. Cela prouve à quel point il est difficile de remettre en question certaines normes sociales concernant le genre, y compris dans les détails.

 

Diariatou avait également très peur d’avoir une fille, en raison de l’invisibilisation des femmes noires, ce qu’elle a elle-même ressenti durant son enfance. “C’est récent, la représentation des femmes noires, surtout par les Afro-Américaines dans les années 90”, rappelle-t-elle, nostalgique. “Auparavant, il n’y avait pas autant d’afro-féminisme”, ce qui était compliqué pour la jeune femme, à la fois noire et musulmane, ne trouvant pas de modèle, y compris dans les canons de beauté. Elle fait ainsi très attention à protéger ses nièces, âgées de 3 mois et de 12 ans. “Mon engagement part des enfants de mon entourage”, affirme-t-elle. Diariatou explique que l’une de ses nièces, très foncée de peau, subit le colorisme depuis son plus jeune âge. “Dès la naissance, lorsque les gens voient le bébé, iels ont tendance à regarder la couleur des oreilles”, explique-t-elle. La mélanine s’activant au contact du soleil, les nouveaux·elles-né·e·s noir·e·s sont souvent clair·e·s de peau, contrairement à leurs oreilles, dont la couleur indique le teint qu’iels auront plus tard. Certaines remarques désobligeantes peuvent alors surgir, lorsque les oreilles sont foncées. De plus, certain·e·s enfants de la famille de Diariatou ont déjà subi des moqueries racistes à l’école, leurs camarades les estimant “noir·e·s comme du caca”. “Ce n’est pas possible de grandir comme cela, constamment plein·e·s de traumas, c’est très important de sensibiliser tout le monde sur la question du racisme et du colorisme dès le plus jeune âge”.

 

La nécessité d’agir pour les mères et pour les enfants

 

Le livre de Diariatou Kebe. Crédit : Diariatou Kebe

 

Lorsqu’elle était enceinte, Diariatou affirme avoir eu une période “geek” en 2009 et 2010. “Je faisais beaucoup de recherches débiles sur Google, où il y a énormément de blogs de parents”. Elle lisait donc de nombreuses choses sur l’accouchement, les rendez-vous chez le médecin, etc. Elle a cependant vite remarqué la rareté de blogueur·se·s noir·e·s dans ce domaine. Trois mois après la naissance de son fils, Diariatou lance donc son blog Clumsy Mummy afin d’y remédier. Ses lecteur·rice·s sont divers·e·s et varié·e·s. “Dans la blogosphère parentale, on se connaissait tous·te·s.” La blogueuse était même invitée par des marques pour participer à des événements, jusqu’à ce qu’elle s’exprime sur les questions de racisme et d’éducation. Son blog a finalement entraîné l’écriture d’un livre, intitulé Maman noire et invisible : Grossesse, maternité et réflexion d’une maman noire dans un monde blanc. Le premier chapitre est consacré à la grossesse. “Il y a plein de livres sur la maternité à la Fnac mais aucun ne parle aux femmes noires, c’est plutôt destiné aux femmes blanches de métropole, de classe moyenne supérieure”, déplore l’auteure. Diariatou a également co-fondé le premier syndicat de parents des quartiers populaires, Front de Mères. Elle y a participé durant quelques mois, mais n’a pas pu continué par manque de temps. Elle se consacre désormais à l’association Diveka, en tant que présidente. Cette organisation vise à promouvoir la diversité dans la littérature jeunesse, mais aussi dans toutes les autres productions culturelles destinées aux enfants, à l’instar des séries et des films. Cela vise notamment à lutter contre les représentations racistes, sexistes, homophobes, mais également validistes.

 

Diveka. Crédit : Diveka.

 

De plus, Diariatou s’attaque à certains tabous concernant les mères. “J’ai détesté être enceinte, je kiffe être mère, mais la grossesse, c’était vraiment désagréable”, confie-t-elle. “Que ce soit dans la pop culture, dans les médias ou même les médecins, on ne cesse de nous dire qu’être enceinte n’est pas synonyme d’être malade, il n’empêche que nous sommes suivies tous les mois”. Diariatou se rend vite compte de ce bouleversement. “On nous dit que c’est quelque chose de merveilleux, qu’on a des beaux cheveux avec les hormones, mais on n’est plus dans le même corps, on met beaucoup de temps à s’en remettre et peu de livres ou de médias parlent de ça”. Elle a notamment été très touchée par Aishwarya Rai, l’une des actrices indiennes les plus célèbres. Bien que cette dernière ait beaucoup été critiquée en raison de son poids suite à sa grossesse, elle affirmait vouloir prendre son temps afin de perdre ses kilos. “La perte de poids, ça n’est pas pour tout le monde, il y a plein d’injonctions, ça nous fait très vite culpabiliser”, confie Diariatou. “Dans grossesse, il y a grosse, pourquoi cette injonction à reprendre très vite une activité et pourquoi autant s’immiscer dans notre rapport à notre propre corps ?”. Elle prend l’exemple des modèles Instagram et de Rachida Dati, alors garde des Sceaux, retournant au ministère de la Justice 5 jours après son accouchement. “Nous sommes les mères de l’humanité, nous devrions avoir des statues à notre effigie, nous sommes les présidentes du monde !” s’exclame-t-elle, la voix enjouée.

 

Alors que certains mouvements féministes considèrent la maternité comme un frein à l’émancipation des femmes, le parcours de Diariatou Kebe nous prouve tout l’opposé. Tout en insistant sur le fait que les femmes devraient être libres de ne pas devenir mères, la blogueuse estime également que la maternité permet parfois un véritable renouveau et une très grande motivation, dans l’objectif de construire un monde plus inclusif pour nos enfants, inshAllah.

 

Image à la une : Diariatou Kebe. Crédit : Clumsy Mummy

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