Lallab organise en partenariat avec Amy Tounkara, écrivaine et fondatrice de La femme en papier des ateliers d’écriture mensuels exclusivement réservés aux femmes musulmanes.
Il était important pour nous de créer un espace de bienveillance et de libre parole dans ce climat sexiste, raciste et islamophobe généralisée. L’objectif aussi, à travers les écrits que nous publions, est de mettre en évidence d’un côté la singularité de nos parcours de vie, le fait que LA femme musulmane dont on entend tant parler dans les médias n’existe pas; et d’un autre côté l’universalité de nos récits.
Les ateliers d’écriture ont pour but de créer un espace bienveillant afin de rendre l’écriture accessible à toutes et permettre à chacune de reprendre la narration de son histoire.
C’est une occasion à la fois d’écrire, parce que l’écriture est un exutoire, une affirmation de soi et une possibilité de développer sa créativité. Mais aussi une occasion de partager ses expériences, de libérer sa parole sur des discriminations et de rêver ensemble.
Thème : À partir d’un ensemble de citations de Fatima Mernissi sur le « harem », écrire un texte sur le désir d’évasion, de réaliser un rêve.
Le tunnel (préambule)
Le dimanche 25 octobre 2020 – La Femme en Papier – Lallab
Je marche, non je fulmine, j’exècre, je titube de rage, la boule est dans la gorge. Le tunnel est noir, au sens propre, sale et figuré. Le tunnel est long, crade et négligé. Les seules lumières sont celles de voitures passantes et désintéressées. Leurs phares s’étalent comme une bave de lumière rien d’autre.
Je marche, sous le masque j’entends ma respiration – elle me rassure par le réchauffement qu’elle procure sur mon visage, c’est mon pas, ma cadence, mon thermomètre et ma boussole. Ça pue aussi dans mon masque.
Mais le bout du tunnel est là – pas si loin je le vois.
Ce n’est qu’une période !? Qui revient comme une porte tournante ou une roulette russe. Paris. Mais ailleurs aussi. Ma ville. Mon tunnel mais aussi mon terrain de jeu. Mon évasion : comment la préparer ? S’évader de quoi ? Une condition humaine ? Une condition sociale ? Politique ? Seule ? Ça n’en vaut pas le coup, et seule c’est impossible.
La lumière, au bout du tunnel. De chaque côté des parois, des affiches abîmées dégueulent encore leurs slogans – réussir à ne pas être hypnotisé·e par l’image et ses conséquences pour viser le fond, l’horizon, la perspective. Le bout du tunnel, la lumière.
Sur la chaussée d’en face je n’avais pas vu – évidemment – d’autres âmes en lutte. Il faisait trop noir, les seules couleurs bleublancrouge des affiches absorbaient l’éclat.
Mon œil s’accommode…nyctalope…je nous vois, je nous reconnais, des milliers, des millions d’âmes en peine.
Je rejoins, on me rejoint, on commence à marcher collectivement. Des souffles se rejoignent et des regards rieurs et lumineux convergent. On marche d’un pas déterminé ou plutôt de plusieurs styles de marche.
La lumière gagne du terrain sur le tunnel et sur nous. On sait qu’il y a encore des obstacles.
Soit disant pas assez d’eau pour tout le monde,
Soit disant lui ou plutôt « elle » nous fait ralentir,
Soit disant il faut que quelqu’un lead la marche,
Soit disant.
Et les blessé-es, et les fatigué-es… Alors ce qui advient Hamdulillah est beau.
Les corps se soutiennent, s’épaulent, se béquillent, se supportent. Nous y arriverons ensemble ou jamais.
Le bout du tunnel est proche, il faut encore que je trouve les moyens de le rêver. Que nous trouvions les moyens de le rêver.
Diffuse la bonne parole