Ce mois-ci, petite nouveauté dans ce top désintox : après les analyses de propos tenus dans les médias, on passe à des pépites et moments positifs, car il est quand même très important d’en parler ! Comme nous avons pu le voir dans la compilation d’octobre 2020, cette période a laissé place à de nombreux dérapages islamophobes. En novembre, les sujets phare de l’actualité ont changé, mais les pépites islamophobes sont toujours de mise et nous permettent d’étudier des mécanismes toujours plus similaires et fallacieux. Néanmoins, nous prendrons le temps avant cela de nous pencher sur ce qui a été le sujet phare de l’actualité française en Novembre : les violences policières.
1. Affaire Zecler, démantèlement violent de camps de réfugiés, violences policières et loi sécurité globale. Les policiers « déconnent » (G. Darmanin) ?
Lallab est une association féministe et antiraciste dont le but est de façonner un monde juste, dans lequel nous n’avons pas à craindre que notre identité puisse porter préjudice. Dénoncer les violences policières est donc important pour nous. Nous vous invitons donc à lire ou relire nos communiqués, sur notre condamnation des violences policières et sur notre dénonciation du projet de loi « sécurité globale ».
Ainsi, entre cette proposition de loi qui mettait notamment en place des restrictions sur la diffusion d’images de policiers, et le fait qu’elle soit suivie de la médiatisation d’actes violents de policiers (notons le remarquable timing des événements), on a pu observer une forte agitation médiatique et tout un débat sur la question des violences policières. Le moins que l’on puisse dire est que la vidéo de cet homme roué de coups et insulté par quatre policiers n’est pas passée inaperçue, tout comme ces migrants littéralement vidés de leurs tentes. Interrogé, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a parlé à plusieurs reprises de « policiers qui déconnent » et, s’il a évoqué une éventuelle sanction de ces quatre policiers, il présente un soutien « sans failles » à la police de manière générale. Ce n’est pas cet extrait précis qu’il s’agit de décrypter mais plutôt un discours plus large qu’illustre parfaitement ici Gérald Darmanin.
On explique souvent qu’il est impossible de qualifier la police française de raciste car aucune loi n’est raciste donc il n’y a pas de racisme institutionnalisé en France, CQFD la boucle est bouclée. L’idée de « brebis galeuse » qui met tout cela uniquement sur le compte de faits isolés et individuels est malheureusement beaucoup trop simpliste et le terme « systémique » doit précisément être défini.
Après parcours de diverses sources, le terme “systémique” (dont le sens précis n’est pas réellement statué) désigne à mon sens un phénomène dont l’existence est permise par une concomitance de plusieurs acteurs et facteurs à une échelle globale dans un système (ici celui de l’État). Il relève aussi de ce que l’on appelle un « fait social » ou « fait politique » en sociologie.
Par exemple, l’utilisation de ce terme dans ce cas s’explique par les éléments suivants : 1) Ces policiers sont soutenus par l’IGPN et les membres du gouvernement. Leurs actes sont d’ailleurs commandités et appuyés par l’instance supérieure, l’IGPN, qui est un service qui représente l’État. 2) Nous apprenons par ailleurs que ces policiers pourraient bénéficier d’une aide de l’État dans la prise en charge des frais de justice dans l’affaire des violences à l’encontre de Michel Zecler. Ces policiers qui n’avaient rien à craindre avant que la vidéo soit diffusée, puisqu’ils ont d’abord eu des accusations de violence envers M. Zecler et on est en droit de se demander ce qu’il serait advenu sans preuves vidéo. Malgré tout cela, même le président Emmanuel Macron affirme que non, il n’y a rien de systémique dans cette affaire.
Enfin, bien qu’il ne soit pas question de généraliser ni d’occulter ceux.celles qui font bien leur travail, force est de constater que le racisme est un phénomène répandu dans la police. L’enquête d’Ilham Maad (que l’on peut retrouver sous forme de podcast sur Arte) ainsi que celle de Streetpress font froid dans le dos, notamment de par l’étendue et l’ampleur des faits que l’on y constate. Le problème est par ailleurs même dénoncé par Amnesty international et par l’ONU, qui a récemment demandé le retrait de l’article 24 du projet de loi « sécurité globale ». Tout cela nous donne le droit de nous interroger et de nous indigner, de même que de parler de violences policières racistes et systémiques.
2. « Il n’y a aucune connotation terroriste dans cette affaire, ni même religieuse car la famille ne serait pas de confession musulmane. » Ouest France, le 6 novembre 2020.
Nous aurions aimé laisser les pépites islamophobes en octobre. Le journal Ouest France en a décidé autrement.
Mercredi 4 novembre 2020, un enfant de 11 ans dans un collège à Saumur (Maine-et-Loire) a proféré des menaces de décapitation à l’encontre de sa professeure. Voici le dernier paragraphe de l’article de Ouest France qui en rend compte :
Et non, vous ne rêvez pas ! Vous connaissez maintenant mon état d’esprit face à un tel propos. Je ris quand je devrais grincer des dents. Faites-en donc de même !
Cela nous renvoie au raccourci mécanique qui lie inconditionnellement le terrorisme à l’islam, comme l’évoquait le point n°6 du décryptage du mois de novembre. Et je dis bien à l’Islam et même pas l’islamisme ; car si l’on en croit la personne qui a écrit cet article, mais aussi les policiers chargés de cette affaire, le simple fait que la famille eut été de confession musulmane aurait donné un caractère terroriste au propos de l’enfant. Oui oui, c’est bien ce que vous avez compris. C’est assez déroutant qu’un tel propos puisse figurer en toute sérénité dans un article de presse à visée informative. La fréquence et la banalisation de ce raccourci est un réel appui pour que les amalgames islamophobes s’ancrent dans l’inconscient collectif. Ce qui me frappe aussi dans cet article, c’est l’attention portée à cet élément d’enquête, en survolant très rapidement le propos choquant de l’enfant. Très court, il se termine dès lors que l’on établit une absence de lien avec une foi musulmane, comme s’il suffisait de cela pour clore l’affaire et passer à autre chose. Cela est non sans nous rappeler le traitement médiatique de l’attaque qui a tué deux personnes à Cholet le 14 novembre. En avez-vous entendu parler ?
3. Le terme « islamophobie » est utilisé pour « lutter contre la liberté d’expression ». Jean-Sébastien Ferjou sur BFMTV le 15 novembre 2020.
Les journalistes Edwy Plenel et Jean-Sébastien Ferjou sont amenés à débattre de l’islamophobie en France. Selon ce dernier, le terme « islamophobie » est utilisé pour restreindre la liberté d’expression et empêcher certaines personnes de s’exprimer de façon à ce que, taxées d’islamophobie, elles s’auto-censurent. Le terme islamophobie ne serait rien d’autre qu’un terme dissuasif, utilisé pour « intimider », comme il le dit. Lorsqu’Edwy Plenel lui répond que, comme nous avons pu le faire en octobre dernier (point n°2), l’islamophobie, au même titre que l’homophobie et la négrophobie, est définie par des faits de rejet et de violence à l’égard d’une communauté. Jean-Sébastien met en avant un terme relativement nouveau, en tout cas un terme que mon correcteur Word souligne en rouge (contrairement à « islamophobie » qui est parfaitement reconnu, mon PC serait islamogauchiste ???) : la « musulmanophobie ».
Il oppose en effet l’« islamophobie » et la « musulmanophobie », un terme qu’il juge plus approprié pour définir ces actes de violence. Bon… C’est gentil d’aider en tout cas merci <3
Pour le citer, il dit ; « il y a un fossé intellectuel entre ce que SERAIT la musulmanophobie et l’islamophobie ». J’insiste en effet sur le conditionnel. Alors on ne va pas faire du freudisme du dimanche, mais j’ai l’impression que ça traduit une certaine réalité quant à la perception des actes islamophobes par certaines journalistes français. Ces actes qu’il cherche à qualifier appartiendraient à un monde qui n’existe pas, à un imaginaire ; on ne peut d’ailleurs pas utiliser l’indicatif pour s’y référer, vu qu’après tout, on n’est pas sûr que ces phénomènes existent réellement. Ce qui est malheureux, c’est qu’il ne conteste le terme « islamophobie » que dans l’optique de disqualifier l’usage de ce terme, et surtout, il fait partie des gens portent haut et fort cette définition biaisée de l’islamophobie qui ne relèverait que de l’opinion sans se soucier des faits ; définition portée par des gens qui ne la vivent pas et qui ne semblent pas la voir. Ah si, pardon, il s’en soucie, mais au conditionnel 😊
Non parce que du coup, pendant qu’on s’embête à savoir s’il faudrait plutôt les appeler « islamophobes » ou « musulmanophobes », on oublie de regarder les actes en question, ce qui est assez dommage. Parce que, pour rappel, la mosquée de Brétigny-sur-Orge a subi une attaque à la voiture bélier début décembre. Et ce qui m’intrigue ici en premier lieu c’est évidemment de savoir… si cette agression était islamophobe ou musulmanophobe ? Mmhh je tergiverse…
Ah ? Ce n’est pas un rappel mais une découverte de cette attaque ? Je m’en doutais bien, là est tout le problème.
Ne dites pas que c’est un acte islamophobe, vous risqueriez d’être accusé de nourrir le terrorisme. Dites que ce sont des républicains qui « déconnent ». https://t.co/9miFE2dzzF
— Marwan Mohammed (@marwanormalzup) December 3, 2020
4. Analogie entre cancer et immigration par Marc Ménant sur Cnews
Le fond de son propos est le suivant : considérant que l’immigration en France soit un problème et qu’il faille « éviter de faire croire que nous soyons une grande Terre d’accueil », le traitement de celui-ci doit se faire en amont. En bon pédagogue, il éclaircit les choses grâce à une analogie assez particulière : le processus de l’immigration est comparé à celui d’un cancer. « C’est la métaphore ; si vous traitez le cancer au dernier stade […] la possibilité de sauver les gens est plutôt réduite », a-t-il notamment affirmé.
Une fois que les migrant.e.s sont arrivé.e.s en France, c’est déjà trop tard, selon lui. Globalement, on entend la logique du raisonnement, le problème dont il rend compte étant le traitement des problèmes dans les pays d’origine qui mènent les gens à émigrer (pauvreté, guerres…). Mais dans la forme, la métaphore est terriblement douteuse. Elle donne une connotation très négative, voire anxiogène, au phénomène d’immigration. Notre prochain point sera l’occasion de se demander s’il s’agit de la meilleure façon de percevoir l’immigration. Place maintenant, après les décryptages médiatiques, aux moments positifs du mois de novembre, car il faut savoir leur donner leur importance !
Maintenant, place aux moments positifs du mois de novembre !
5. Lydia Veyrat, soignante en EHPAD, ne sera pas expulsée.
Soignante dans un EHPAD en Isère et ressortissante Béninoise, Lydia Veyrat était menacée d’expulsion par le Préfet alors qu’elle ne comptait plus ses heures de travail dans ce contexte d’épidémie. Ses supérieur.e.s étaient eux.elles-mêmes scandalisé.es par cette décision. Heureusement, suite à l’indignation des internautes et une pétition, elle peut finalement rester en France. Épisode qui nous rappelle dans quelle mesure les personnes issues de l’immigration n’ont pas à être perçues comme une tare, au contraire : elles font souvent les métiers les plus difficiles et vouloir les exclure relève d’un manque de reconnaissance. Elles ne sont pas le « cancer » de notre société. Bien au contraire, pour certain.e.s, ce sont même elles qui le soignent.
6. Les actrices algériennes se mobilisent contre les féminicides. (Vidéo)
[ Trigger Warning : la vidéo est dans le titre, sous-titrée en français ; la violence et le meurtre y sont suggérées.]
En novembre, Naïla, jeune lycéenne et escrimeuse, est renvoyée de son lycée à Oran en Algérie. Pour cause, se présenter avec ses cheveux bouclés au naturel contreviendrait aux codes de bonne conduite de son lycée. Cette affaire a suscité une vague d’indignation sur les réseaux sociaux. Ce qui nous rappelle à quel point, en Algérie, au Maghreb comme ailleurs, les enjeux de sexisme et de colorisme sont préoccupants.
Il n’en demeure pas moins que plus tard dans le mois, j’ai aperçu une vidéo IGTV, largement relayée, aussi bouleversante que résonnante d’espoir. Plusieurs actrices Algériennes ont pris l’initiative de se liguer pour dénoncer les féminicides. Dans une vidéo sobre, elles prononcent à tour de rôle des phrases ancrées dans les mœurs du pays, qui portent un sexisme ordinaire teinté de violence.
« Il faut être calme et sage » ; « tu cherches trop à comprendre à mon goût » ; « si on se marie, tu arrêtes la fac » ; « sois patiente » ; « tais toi ». Dans un effet d’escalade, elles ressassent toutes ensemble ces phrases, qui au départ paraissent anecdotiques, mais au fur et à mesure gagnent en violence, le lien qui les traverse paraît de plus en plus évident. Les injonctions inculquées dès la jeunesse par les adultes, celles qui apparaissent en grandissant… et qui, nous le comprenons, mènent à une banalisation des violences faites aux femmes et aux féminicides. Une vidéo difficile, sombre, mais annonciatrice de prise de conscience et qui dégage beaucoup d’authenticité.
« Nous, actrices algériennes, nous unissons aujourd’hui pour dire stop à la violence faite aux femmes et stop aux féminicides. Nous appelons à la prise de conscience et à la mobilisation générale pour que cesse cette violence. »
7. Les femmes de chambre en grève de l’hôtel Ibis de Batignolles promeuvent leur cause dans un clip musical (Vidéo)
A Clichy-Batignolles, des employées à l’hôtel Ibis en tant que femmes de chambre sont en grève depuis déjà plus d’un an. Cette lutte pour la reconnaissance de leurs droits, qui dure depuis un si long moment, a pris forme dans le clip d’une chanson publiée le 4 novembre pour appuyer leur lutte. Sur le rythme dansant de l’artiste nommé Bobbyodet retranscrivant leur dur quotidien dans son titre Dur dur ménage, on les aperçoit reconstituer leur quotidien, puis rejoindre la danse.
Elles protestent contre des conditions de travail insupportables et une cadence intenable, la non-reconnaissance de ces difficultés, les humiliations qui en découlent ainsi que l’inégalité face à laquelle elles se trouvent : en tant que les salariées de la sous-traitance, elles ne bénéficient pas du même statut social que les salariées embauchées directement par IBIS Batignolles. Elles réclament donc l’embauche directe par l’établissement où elles travaillent, la baisse de leurs cadences et l’augmentation de leurs salaires.
« On leur demande plus de chambres que ce qu’elles peuvent faire sans même payer les heures supplémentaires », « frotter frotter, ça donne mal aux pieds, mal au dos », « à quand la fin de la sous-traitance ? » ; « harcèlement, agressions, on subit parce qu’on n’a pas de droits ». Cette chanson est un bon condensé de ce qu’elles subissent et de leurs revendications.
Cette lutte fait écho à celle des travailleur.s.es de l’hôtel de luxe Park Hyatt Vendôme, qui étaient confrontées au même problème de sous-traitance oppressive, et dont nous avions d’ailleurs reçu une représentante, Nora Khalil, au Festival Lallab Birthday en 2018.
Comme Lallab, je transmets tout mon soutien et ma solidarité aux courageuses grévistes d’Ibis Batignolles <3
8. Un si beau message dans les DM de Lallab !
Suite à un partage de notre article à propos des raisons pour lesquelles il est mieux de ne pas appeler « Mahomet » le prophète de l’Islam, Lallab a reçu un message sur Instagram qui nous a clairement fait sourire ! 😊
« Merci infiniment pour cet article que j’avais lu sur votre site ! Mon fils de 10 ans a parlé avec sa maîtresse en expliquant qu’il fallait dire « Muhammad » pour être respectueux envers les croyants – ce qu’elle n’a pas compris mais il a tenu bon malgré la pression d’autorité ! Par la suite j’ai envoyé le lien vers cet article à cette enseignante et elle m’en a remercié. Vous faites un travail formidable, force à vous 🙏»
Cet adorable message, en plus de nous faire craquer face au souci du respect et à la perspicacité de cet enfant, fait honneur à l’importance de notre travail et surtout à un public qui sait y donner du sens et transformer cela en ressource pour un monde plus fraternel et respectueux. Une bonne dose de positivité que nous avons voulu partager avec vous !
Diffuse la bonne parole