Top 7 des pépites, absurdités et dérapages islamophobes du mois d’octobre: Partie I

par | 20 novembre 2020 | (Dé)construction

Il y a un mois, la France a vécu des évènements tragiques qui nous ont tou.te.s touché.e.s. Les traitements médiatiques de ces attaques terroristes, au vu des éléments d’enquête et des revendications qui rapprochent nécessairement ces méfaits de la religion musulmane, laissent parfois place à d’importants glissements et dérapages dans les débats télévisés notamment, qui nous rappellent ô combien les musulman.e.s sont loin d’être épargnés par la stigmatisation, et surtout dans quelle mesure cela va en s’empirant. 

 

Un discours politico-médiatique quotidien qui culpabilise, crée des ponts directs entre les musulman.e.s et le terrorisme islamiste, s’engage dans une guerre contre l’extrémisme qui finit par ne plus voir ses limites, menant à des répercussions directes sur les musulman.e.s, des discours légitimant l’islamophobie… Nombre d’entre nous essayent d’épargner tout cela à notre santé mentale en s’éloignant des écrans, en particulier les écrans télévisés. Editions spéciales, éditoriaux, débats, confrontations, lunettes rouges de Pascal Praud… On vous emmène en voyage à travers les allégations les plus surprenantes que nous avons pu entendre le mois dernier, car mieux vaut parfois en rire. 

La récurrence de ces propos et schémas de pensée qui reviennent depuis des années maintenant  nous a cette fois mené à basculer notre approche vers un format dossier : il s’agira cette fois d’en analyser les mécanismes.  Je préfère le préciser, il ne s’agit pas ici de vous proposer LE florilège ultime, ce serait un énorme travail dont je n’ai pas la prétention! J’ai seulement tenté  de sélectionner au moins les plus drôles, les plus marquants, sympathiques, et surtout ceux qui nécessitent le plus urgemment d’être déconstruits, tant ils gagnent en terrain dans l’opinion collective.

Préparez les popcorns !

 

 

 

 

1. Désolidarisons-nous du terrorisme en retirant nos voiles au moins pour rassurer Elisabeth Lévy, ou le degré zéro de l’islamophobie.  Sur Cnews

 

En première position, on a du lourd. On se croirait dans une série cliché sympa avec ce petit leitmotiv de la femme musulmane que l’on dévoile, mais en bien pire. Parce qu’ici, non seulement on la dévoile pour un présumé lien avec le terrorisme, mais en plus c’est la vraie vie. 

  La fameuse heure des pros de Cnews. Nous découvrons que les musulman.e.s, plus particulièrement les femmes musulmanes, pourraient avoir une façon bien particulière de rendre hommage à Samuel Paty. Elisabteh Lévy s’étonne en effet de ne pas avoir vu de musulmanes se dévoiler, pour le temps d’« une semaine ou quelques jours», se mettant même à la place de ces femmes, qui devraient penser selon elles : « Mon voile est aussi l’uniforme des ennemis de la France ». 

Ce qu’il faut noter dans l’idée de cette fervente défenseuse du « droit à l’islamophobie », c’est que d’une part, le voile islamique, sans la moindre nuance, se trouve essentialisé à « l’uniforme » de ces dits ennemis de la république. Ce caractère totalisant est un premier problème : en plus de nier la pluralité des femmes qui portent le voile et la façon de le porter, on nie leur faculté de conscience. En effet, on assigne au voile une valeur idéologique innée, (qui plus est, est très violente, on parle quand même d’ennemis de la république) et ce sans que celles dont il couvre les cheveux aient leur mot à dire. Le voile est ainsi détaché du lien personnel avec l’individu qui le porte. Le voile est désigné comme un objet, celui même d’une scission directe, essentielle et irrémédiable avec la république. Mon voile que je crois être mien ne serait donc pas mien du tout, je serais en fait déguisée en ennemi de la république, et je ferais savoir mon approbation des actions de ces derniers par le port de ce vêtement. Halloween à une semaine d’avance. 

 L’acerbe violence de ce propos tient donc au fait que le port de ce voile islamique soit assimilé à une solidarité latente et constante envers ces ennemis et ce avant de faire partie de l’identité de la femme, d’un choix vestimentaire (que rappelons-le, la République elle-même ne reconnaît pas en tant que religieux mais en tant que simple habit comme tout autre comme le stipule le fameux article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat). Selon Elisabeth Lévy ainsi, la femme musulmane qui porte le voile, le porte peut-être parce qu’elle en a envie, mais elle n’est pas censée ignorer ce qu’elle représente : une ennemie de la république. On associe des femmes musulmanes, qui n’ont absolument rien demandé, tout autant meurtries et endeuillées que le reste de la communauté nationale (encore et toujours devoir le préciser…) à l’expression du pire de la sauvagerie humaine. Un cas d’école. La définition la plus simple de l’amalgame. De l’islamophobie banalisée. Les musulman.e.s ne se victimisent pas mais ne font que constater.

 

 

Alors, non, permettez aux femmes qui portent le voile d’en décider : leur voile leur appartient et n’est l’uniforme de rien d’autre que de ce dont ELLES décident !I still wrap my hijab ! 

Tous ces raccourcis, entre de simples pratiques religieuses personnelles, qui pourtant s’inscrivent dans le cadre de la loi, et les idéologies les plus radicales, dénote d’une certaine paresse intellectuelle dans la façon dont les médias appréhendent les musulman.e.s. Ils sont d’une rapidité qui mène directement à la stigmatisation, et rompent par conséquent tout dialogue. Phénomène assez paradoxal quand de fait, les musulman.e.s sont en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. 

 

 

2. « Il ne faut pas avoir peur d’être islamophobe ou d’être traité d’islamophobe ». Retour sur le terme « islamophobie ». Idée proposée à plusieurs reprises, qui a émergé depuis longtemps sous la forme du débat. Dernièrement par Marine Le Pen mais aussi par d’autres.

 

Et bah oui… Pourquoi en rougir finalement ? Il ne s’agira même pas ici de s’attarder sur le fait qu’il n’y ait pas à s’inquiéter : l’islamophobie est largement décomplexée dans le discours médiatique et politique depuis plusieurs années. En dehors des propos de la vidéo de Marine Le Pen, il s’agit surtout de s’intéresser à l’utilisation du terme islamophobie, et de voir en quoi ces déclarations montrent que sa définition est faussée.

Il semble que la construction du terme soit effectivement le meilleur prétexte à libérer les passions. La sémantique entre pour une fois en jeu et le mot est pris en son sens littéral, permettant les meilleures dérives vers un réel déni parfaitement assumé de la dimension islamophobe de l’acte. La définition de l’islamophobie est complètement évacuée et tronquée ; l’islamophobie ne serait ainsi rien d’autre que la peur, le rejet, la critique de la religion musulmane, et pourquoi pas des musulmans. Construit sur la racine du grec ancien « phóbos » (peur) et du terme « islam », on semble vouloir le situer sur un pied d’égalité avec des peurs de même type que l’arachnophobie.

On a pourtant très rarement pu voir quelqu’un justifier publiquement et impunément l’homophobie, ou la négrophobie par exemple, en tant que « phobies » légitimes. Des mots construits sur la même sémantique (construction que l’on peut effectivement contester en outre) mais sur lesquels il y a un consensus collectif au sein de notre société pour les définir comme relevant de la haine, du rejet et du mépris des minorités qu’ils désignent. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’islamophobie est reléguée au statut d’opinion, ce qui crée alors une confusion importante, car les actes de violence et de discrimination envers les musulman.e.s sont ainsi invisibilisés, et dissimulés derrière une fausse définition de ce qu’est réellement l’islamophobie. 

L’islamophobie désigne donc « l’ensemble des actes de discrimination ou de violence contre des individus ou des institutions en raison de leur appartenance réelle ou supposée à l’Islam.»(CCIF). Non, l’islamophobie ne qualifie pas un avis ou une critique intellectuelle, ni une simple peur. Intéressons-nous au droit français.  Voici un extrait de l’article 225-1 du code pénal ; « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison […] de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » Ou revenons-en peut-être seulement à la devise de la France : « Liberté, égalité, fraternité » Alors, s’il est nécessaire de le dire sans détour : non, il n’est en France ni normal ni légal de se revendiquer, islamophobe, ni de légitimer cela. Un retour sur la définition que l’on donne aux mots semble particulièrement nécessaire, et cet usage du terme islamophobie traduit donc un réel déni de ce problème dans notre société. 

 

 

Encore faut-il identifier tous les discours qui permettent de l’entretenir

 

 

3. « On vous demande pardon, car il a été décapité au nom de notre religion ». Hassan Chalghoumi le 19/10 

 

(Re)lire : “Communiqué Lallab : sortons de cet engrenage de violences”

L’imam Hassan Chalghoumi en hommage à Samuel Paty.

Dur dur quand l’islamophobie est même alimentée par … des musulmans. Mais en même temps, nous ne sommes pas à la première phrase du genre de notre représentant préféré et unanimement désigné. Que voulez-vous, évidemment, on ne peut rien reprocher à ce porte-parole exhaustif de tous les musulmans. Nous sommes maintenant habitués, après ces longues années, à toutes ces sorties fédératrices et pleines de perspicacité. Non vraiment on vous assure, nous n’avons pas du tout l’impression qu’il est si souvent mis en valeur pour sa capacité à valider en tant qu’imam ces discours médiatiques qui culpabilisent les musulmans, à montrer une docilité et même une approbation parfaite face à des discours islamophobes. 

Il est très important, pour tout le monde, d’exprimer sa condamnation ferme des agissements que nous avons connu, ainsi que son soutien aux victimes. Mais condamner et s’excuser sont deux actions fondamentalement différentes. Je dirais même que s’excuser au nom des musulman.e.s est peut-être la pire chose à faire. Déjà, cela établit un lien explicite et direct entre « les musulman.e.s » et des attentats de type terroristes… dont ils ont souvent été elleux-même victimes ! On oublie complètement que les musulman.e.s peuvent être directement touché.e.s au même titre que les autres, parce que surprise : ils/elles sont pour la plupart français.e.s ! Je suis bien triste d’avoir à le rappeler. Et cette façon d’essentialiser les musulman.e.s, de se désigner porte-parole, d’une parole qui ici nous stigmatise et nous dessert plus qu’autre chose… quel dommage. Disons-le. Ce raccourci est douloureux car il place les musulman.e.s dans un rôle de complicité. Cessons d’opposer français.e.s à musulman.e.s. Cessons de lier sans complexe les terroristes aux musulman.e.s. Nous sommes autant touché.e.s que les autres, nous n’avons pas à présenter d’excuses. 

Pour lire la deuxième partie de l’article, c’est par ici.

 

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