Saher Sohail est illustratrice. Par le biais de ses dessins, elle lutte à la fois contre le racisme, le sexisme, les préjugés à l’égard des Pakistanais·e·s aux Etats-Unis, mais également contre les oppressions vécues au sein de la communauté Desi (renvoyant à tous les pays d’Asie du Sud, tels que le Bangladesh, l’Inde ou le Pakistan).
Martha Stewart est sûrement la décoratrice d’intérieur la plus connue des Etats-Unis. Le surnom de Saher a d’ailleurs été inventé par ses amies. Depuis son plus jeune âge, elle s’occupe des décorations, notamment pour les soirées à thème. Le but de son art est de faire en sorte que les femmes de la communauté Desi puissent se reconnaître dans ses dessins. Saher s’inspire à la fois de ses propres expériences et de celles de ses amies. Elle utilise également certaines figures connues du paysage bollywoodien. Bien qu’il existe plusieurs dessins dont les écrits sont en urdu ou en pendjabi, il est tout à fait possible de se reconnaître dans les illustrations de Saher, en tant que femmes de culture musulmane, quels que soient nos pays d’origine.
La lutte contre le sexisme, y compris au sein de la diaspora
Image de gauche : une tata faisant mine de ne rien entendre lorsqu’on lui dit : “il trompe sa femme”, “il est rentré à la maison à 4 heures du matin”, “tata, ton fils a une copine”, “il boit et il fume”, “il n’est pas vierge”. Image de droite : une tata ne supportant pas qu’une femme dise : “j’aimerais vivre dans une chambre universitaire pendant mes études”, “j’aimerais me marier après 30 ans”, “je ne sais pas cuisiner”, “je ne veux pas me marier”, “deux mots : sans manches”, “j’ai un copain”, “je veux faire une école d’art”. Crédit : The Pakistani Martha Stewart
Saher tente de changer les mentalités, notamment concernant le sexisme encore très ancré dans notre rapport à l’éducation. Elle lutte ainsi pour une tolérance à l’égard des femmes et des hommes. L’illustratrice critique notamment le contraste entre l’indulgence infinie à l’égard des hommes et le slut-shaming très facile concernant les femmes. Il s’agit du fait de stigmatiser des femmes parce que leur comportement serait jugé trop provocant d’un point de vue sexuel. “Honnêtement, je m’en fiche de ce qu’il fait, de ce qu’il ne fait pas, de ce qu’il cache ou de ce qu’il ne cache pas. Mais je m’inquiète de voir que sa soeur peut être crucifiée pour les mêmes actions que celles de son frère”, explique-t-elle. Saher évoque notamment le fait de scruter chaque détail de la vie des femmes. Elle prend également l’exemple des nombreuses critiques à l’égard de celles ayant une vie amoureuse hors-mariage, qui se maquillent, qui sortent le soir ou qui fument, par exemple. “Lorsqu’un homme fait la même chose, tout le monde devient soudainement aveugle et sourd alors que les femmes sont punies, il est temps de cesser cette misogynie endémique, à commencer par nos propres foyers”. Elle utilise ainsi très souvent la figure de la tata, à savoir les soeurs de ses parents mais également toutes les femmes âgées de la diaspora, afin de passer des messages. Cela est assez récurrent dans l’art desi. L’artiste de Hatecopy, Maria Qamar, également pakistanaise mais aussi canadienne, a d’ailleurs écrit un ouvrage intitulé Trust No Aunty (Ne fais confiance à aucune tata). Saher dessine également beaucoup sur le colorisme, les femmes dont la peau est foncée connaissant beaucoup de critiques au sein de sa communauté. Elle lutte aussi contre la grossophobie. “C’est la seule culture dans le monde dans laquelle on utilise l’expression “t’as l’air en forme” avec une connotation négative pour te dire que tu es grosse ou joufflue”, déplore-t-elle. Saher lutte également activement contre le revenge porn ou la pornodivulgation, ayant déjà fait face à des femmes songeant à se suicider, victimes de chantage de la part de leurs agresseurs.
Les femmes musulmanes, au centre de ses préoccupations
Image de gauche : “Femme au foyer durant mon temps libre”. Image de droite : La femme : “J’ai besoin de préparer le ftour (repas de rupture du jeûne) pour ce soir, prier, nettoyer, prier la nuit et dormir trois heures avant de préparer le shor (repas avant l’aube et le début d’une journée de jeûne). Que peux-tu faire pour aider ?”. L’homme : “Je peux le snaper” (mettre sur Snapchat). Crédit : The Pakistani Martha Stewart
Saher s’attaque également à certains problèmes communs à de nombreux pays de culture musulmane, y compris certains ayant lieu durant le Ramadan. Elle évoque ainsi la gêne d’avoir ses règles durant ce mois béni. “Je me demande pourquoi je devais mentir à mon père et aux hommes de ma famille en disant que je jeûnais. N’ont-ils pas des femmes et des soeurs ? Les raisons pour lesquelles je ne jeûne pas ne sont-elles pas évidentes ?”. Tout en critiquant certains hommes insistant pour connaître les raisons pour lesquelles une femme ne jeûne pas durant le Ramadan, elle déplore le rôle des femmes dans ce sentiment de honte. “Allah m’a accordé une excuse parfaitement légitime pour ne pas jeûner donc pourquoi se censurer comme s’il s’agissait d’un péché ? C’est à cause de cette censure que beaucoup d’hommes ne connaissent rien à cela”. De plus, elle insiste sur l’importance de la participation aux tâches ménagères, notamment durant le Ramadan, les hommes ayant souvent le luxe de passer leur soirée en prière tandis que les femmes se retrouvent coincées à devoir tout ranger. “Aidez votre mère, vos soeurs, vos femmes, vos tantes, etc. à préparer l’iftar. Elles jeûnent et doivent aussi prier, il est injuste de les laisser s’occuper de tout”. Saher défend également beaucoup les femmes au foyer. “Je n’ai aucun respect pour les personnes qui dénigrent les femmes au foyer. Elles n’ont aucun bénéfice, pas de vacances, elles ne sont pas payées, elles travaillent tout le temps sans être valorisées. Notre travail se termine à 17 heures, le sien continue”.
Saher, l’exemple parfait d’une fille d’immigré·e·s faisant honneur à ses racines pakistanaises
De gauche à droite : “Parle en anglais !”, “Est-ce que tu parles l’islam ?” et “Est-ce que tu parles pakistanais ?”. Crédit : The Pakistani Martha Stewart
Saher exprime également toutes les difficultés liées au racisme, notamment pour les enfants d’immigré·e·s. “Si tu es bilingue, tu as forcément vu à quel point certaines personnes étaient dégoûtées de t’entendre parler une langue différente en public”. L’illustratrice incite donc tout·e·s les descendant·e·s d’immigré·e·s qui ont la possibilité d’apprendre la langue de leurs ancêtres à le faire. “Aujourd’hui, je vois de plus en plus de jeunes dont la famille vient d’Asie du Sud qui ne parlent pas leur langue maternelle parce que leurs parents ont peur qu’ils ne sachent plus parler anglais mais il n’y a jamais d’inconvénient à apprendre une autre langue, les bénéfices d’apprentissage d’une langue à un jeune âge sont infinis”. Elle prend d’ailleurs l’exemple de son frère autiste, capable de comprendre l’anglais, l’urdu et le pendjabi, bien qu’il parle uniquement anglais. “Je pense sincèrement que les parents se concentrant uniquement sur l’anglais pénalisent leurs enfants, surtout à l’ère du mondialisme”. Saher déplore également l’islamophobie aux Etats-Unis, qu’elle considère “immense”. Bien qu’elle estime vivre moins de racisme que la plupart des Desis qu’elle connaît, elle a souvent été choquée par le racisme de certain·e·s proches. “Les remarques racistes peuvent être dites par n’importe qui, comme les ami·e·s n’étant pas desis ou encore les collègues”. Elle défend d’ailleurs les femmes qui portent le foulard, à la fois victimes de racisme et de sexisme. L’illustratrice insiste également sur le fait que ces femmes peuvent facilement être critiquées au sein de la communauté musulmane, lorsqu’elles ne semblent pas parfaites d’un point de vue religieux, ce qui les marginalise encore plus, étant les principales victimes de l’islamophobie.
En attendant un monde plus inclusif, Saher nous permet de nous consoler avec ses belles illustrations sur des T-shirts, des trousses ou encore des masques pour les yeux. Ses produits sont disponibles sur ce site. Nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.
Image à la une: Saher Sohail. Crédit : Saher.
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