Il n’est pas toujours évident de régner, de gouverner, d’enseigner et de faire accepter ses compétences et talents lorsque l’on est une femme. Il l’est encore moins lorsque cela n’est pas perçu comme légitime par un grand nombre de puissant.e.s
La femme dont nous allons parler fut brillante, savante, intelligente. Ses compétences et expériences dépassaient de loin celles de ceux des autres prétendants au pouvoir. L’ensemble des gouvernants et hauts représentants le savaient, Parikhan avait la capacité de changer la face de l’histoire.
Mais consciente de la misogynie et du sexisme de son temps, Parikhan refusa constamment de gouverner en son nom propre, consciente des violences et des menaces que cela impliquerait. Elle régna donc dans l’ombre mais apporta pourtant au sultanat safavide ses plus belles années de lumière.
C’est durant l’année 1548 et plus précisément au mois d’août que la future princesse Parikhan Khanum naquit dans la ville de Ahar dans l’actuel Iran. Elle fut la deuxième fille du roi safavide Tahmasp I et de Sultan Agha Khanum, originaire du Caucase.
Très tôt, Parikhan reçut une éducation poussée s’articulant entre d’une part l’apprentissage des sciences islamiques traditionnelles et la jurisprudence et d’autre part un enseignement axé autour des lettres et de la poésie.
Alors qu’elle n’avait qu’un an, Bahram Mirza Safavi, le frère de son père; décéda. Cette mort inattendue agrandit la famille. En effet, Tahmasp s’engagea à prendre la responsabilité des enfants de son frère, proclamant notamment Badi Al Zaman Mirza Safavi comme étant son propre fils. Il le nomma gouverneur du Sistan dix ans plus tard et lui promit la main de sa jeune fille Parikhan.
Eduquée et formée aux affaires, elle ne rejoignit jamais son conjoint établi au Sistan. Elle passa la majeure partie de sa vie auprès de son père où elle choisit une vie bureaucratique de conseillère politique. Au cours des dernières années du règne de son père, la participation de Parikhan aux affaires de l’Etat safavide se vit grandissante. Celui-ci prenait plaisir à la former et à lui partager les stratégies qu’il aspirait élaborer et développer.
C’est ainsi que son père lui confèra publiquement l’autorité et le statut juridique. Elle se basa notamment sur cette nomination par la suite pour son ascension au pouvoir.
Le 18 octobre 1574, Tahmasp affaibli par la maladie faillit mourir sans encore avoir nommé de successeur officiel.
Le soutien de sa fille Parikhan dans cette épreuve les rapprocha davantage. En effet, cette dernière l’accompagna quotidiennement à son chevet et prit soin de celui qui l’avait tant aimée. Simultanément, différents chefs de clans s’organisèrent afin de déterminer qui serait le successeur. Le clan Ustalju et le clan Shaykhavand favorisaient la nomination du fils de Tahmasp, Haydar Mirza Safavi.
Les Rumlu, Afshar et Qajar quant à eux, espéraient voir Ismail Mirza Safavi reprendre le trône, le frère aîné de Haydar. Parikhan soutenait également ce choix, estimant qu’Ismail était plus à même de régner.
Entre temps Tahmasp se remit de sa maladie et ne mourut finalement que deux ans plus tard, le 14 mai 1576, à Qazvin. Le lendemain de son décès, Haydar Mirza, son fils se proclama nouveau shah. Malheureusement pour Haydar Mirza, lorsqu’il tenta de rentrer dans le palais ce jour-là, tous les gardes étaient issus de tribus fidèles à Ismael Mirza.
Face au danger, Haydar Mirza prit Parikhan Khanum en otage, la sachant appréciée du clan opposé. Parikhan supplia son frère de la relâcher et promit de persuader les partisans d’Ismail Mirza, y compris son frère, Suleiman Mirza, et son oncle circassien, Shamkhal Sultan, de ployer le genou. Haydar la libéra, mais Parikhan ne respecta pas sa promesse et s’empressa d’aller remettre les clés du palais à celui qu’elle soutenait.
A la suite de cela, Haydar Mirza fut tué et Ismail Mirza de monta sur le trône sous le nom d’Ismail II.
Sous son règne, Parikhan qui avait été formée par son père et qui connaissait très spécifiquement les mécanismes de pouvoir devint de facto dirigeante de l’État. Elle demanda à rassembler tous les princes et aux hauts dirigeants du royaume de se rassembler à la mosquée principale de Qazvin dès mai 1576, afin de faire reconnaître au plus vite les nouvelles fonctions de celui qu’elle avait soutenu. Le nom d’Ismail fut prononcé durant la khotba et son règne commença officiellement.
Durant les premiers jours de règne d’Ismail, de nombreux chefs de clans se sont rendirent au palais de Parikhan afin de lui prouver leur allégeance. Ils l’informèrent notamment de l’urgence de la reprise en main des affaires fiscales et financières du royaume et l’invitèrent à s’en charger.
Conscient du pouvoir et de l’affection que Parikhan possédait, le nouveau sultan interdit à l’ensemble des officiers et des hauts responsables de la visiter. Le manque de gratitude envers celle qui l’avait pourtant jusque là soutenu mit en colère l’ensemble de ses officiers.
Le 25 novembre, à la surprise générale Ismail II fut retrouvé mort, bien qu’il ne présentât aucun signe de maladie ou de mauvaise santé. La piste de l’empoisonnement fut vite explorée mais l’ensemble des officiers et hauts dignitaires firent comme si de rien n’était.
Après la mort du sultan, un groupe d’hommes d’État se rapprochèrent de Parikhan et lui demandèrent de reprendre la succession, offre qu’elle refusa, consciente du sexisme et de la misogynie qui régnaient dans l’Etat. Elle trouva plus approprié de gouverner dans l’ombre d’un sultan qui accepterait le rôle qu’elle jouerait. Ils lui proposèrent donc dans un premier temps de nommer Shoja al-Din Mohammad Safavi, le jeune fils d’Ismail II âgé de huit mois, faisant d’elle par nature la régente du règne qui serait sien. Cette suggestion fut finalement rejetée dans l’optique de trouver un consensus favorisant les alliances tribales.
L’assemblée nomma finalement Mohammad Khodabanda, frère aîné d’Ismail II, après approbation de Parikhan.
En raison de son âge avancé, elle comprit vite qu’elle pourrait tirer partie de ses faiblesses et gouverner ainsi sans être inquiétée. La sphère d’influence et d’autorité de Parikhan était devenue si énorme que personne n’osait se rendre à Chiraz sans son consentement.
Parikhan continua donc de régner et de mettre en place les différentes actions qui permirent à la dynastie de se développer et de créer des alliances renforçant leur pouvoir. Ses choix politiques et économiques furent tous plus stratégiques les uns que les autres, ce qui lui valut d’être appréciée par la majorité. Elle n’était pas officiellement sultane, mais de fait l’ensemble de l’Etat la reconnaissait comme telle sans pourtant la nommer.
Mais malheureusement cela ne dura pas. Comme l’avait imaginé Parikhan, le rôle qu’elle occupait fit naître chez certain.e.s de l’envie. En effet, l’épouse de Mohammad Khobanda, Khayr Al Nisa, se sentant humiliée, se jura de reprendre le pouvoir coûte que coûte. Elle fit donc le choix d’aller s’installer avec son conjoint dans le palais royal auprès de Parikhan Khanum et commença à planifier son assassinat. A ses côtés, elle embarqua Khalil Khan Afshar, tuteur de Parikhan durant son enfance.
Celle-ci, lui vouant une confiance totale, ne s’en méfia pas et fut prise au piège le 12 février 1578. Alors que Pari Khan Khanum se rendait chez elle avec ses serviteurs, Khalil Khan l’arrêta et l’emmena chez lui, où il l’étrangla à mort. Dans les jours qui suivirent Khalil tua un à un les personnes qui occupaient des places centrales dans l’Etat.
La voie était donc ouverte pour Khayr Al Nisa et son mari. Cependant, leur manque d’expérience et de maîtrise diplomatique plongèrent la dynastie safavide dans un déclin.
Aujourd’hui, peu d’écrits et de chercheur.se.s rendent hommage à Parikhan, si bien qu’il est assez difficile de trouver des informations à son sujet.
Bien que le peu d’informations nous informent que Parikhan fit énormément pour l’empire safavide, l’on ne peut s’empêcher d’imaginer qu’elle fit en réalité bien plus.
L’histoire de Parikhan nous rappelle avec force que l’histoire des femmes est bien souvent oubliée et minimisée à l’inverse de celle des hommes qui est souvent glorifiée et semblerait-il parfois exagérée.
Alors mesdames, messieurs lorsque vous lisez ces histoires de femmes toutes plus incroyables que les autres, n’oubliez pas de vous rappeler qu’en réalité ces dernières ont sans doute réalisé bien davantage que ce qui nous est conté !
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