Malika Al Hurra : une reine bâtisseuse

par | 13 mai 2019 | Femmes musulmanes dans l'histoire, Portraits

Si l’on en croit certain.e.s grand.e.s historien.ne.s, notamment européen.ne.s, l’on conclurait qu’aucune femme dans l’histoire islamique n’aurait été en capacité de gouverner. Cette affirmation n’est pas mienne, elle est celle du très célèbre historien britannique Bernard Lewis qui, semblerait-il, n’aurait finalement pas assez cherché.
En effet, l’histoire de la femme que je m’apprête à vous conter viendra tout bonnement contredire son affirmation.
La femme dont je vais vous parler va une fois de plus nous prouver que, durant 14 siècles, les femmes musulmanes ont pu et su occuper des postes au sein de nombreuses élites dirigeantes. Malika, reine, puissante conseillère, autant d’appellations qui servaient à les qualifier. Ainsi, un grand nombre de femmes eurent pour mission de gouverner en leur propre chef, ou en tant que régentes pour leurs maris affaiblis ou leurs jeunes fils trop jeunes pour régner.
Arwa al Sulayhi fit partie de celles-ci.

 
Pour vous compiler cette biographie, c’est dans le fabuleux livre de Fatima Mernissi, Sultanes oubliées, que je me suis plongée. Un livre accessible, inspirant et comme à l’habitude de son autrice beaucoup trop puissant !
J’en profite pour vous rappeler que si vous n’avez pas eu le temps de le consulter, alors, courrez de ce pas vous le procurer car soyez sûr.e.s qu’il est gage de savoir(s).
 
Embarquons ensemble dans le Yémen du 11ème siècle !
 
Arwa al Sulayhi, également connue sous de nombreux autres noms sur lesquels nous reviendrons, naquit en 1048 au Yémen, dans le village de Hajjarah, situé dans la région montagnarde du Haraz, région au coeur de l’ismaélisme encore aujourd’hui.

Elle fut la nièce du célèbre d’Ali al-Sulayhi, fondateur et premier dirigeant de la dynastie ismaélienne des Sulayhide, courant de l’Islam chiite.

Alors encore enfant, Arwa perdit ses deux parents. Orpheline, elle fut recueillie et élevée par son oncle et sa tante Asma bint Shihab, qui l’installèrent auprès d’eux au palais à Sanaa. La reine fit enseigner à sa fille adoptive, réputée pour sa vivacité d’esprit et son excellente mémoire, la poésie, l’histoire, et la théologie.

En 1066, alors qu’elle avait environ 17 ans, Arwa épousa son cousin Ahmad al-Moukarram bin Ali, avec qui elle avait grandi. Ahmad, fils de Asma Bint Shihab et du sultan Ali Al-Sulayhi, était l’enfant légitime au trône. C’est avec lui qu’elle aura ses 4 enfants, Muhammed, Ali, Fatimah et Umm Hamdan.

L’année suivante, Najahid Sa’id ibn Najar, opposant au sultan, fit assassiner Ali al-Sulayhi et capturer son épouse sur le trajet qui les guidait à la Mecque. C’est ainsi qu’Ahmad devient de droit le souverain du Yémen.

Cependant, malade et affaibli, sa condition physique ne lui permit pas de diriger le royaume très longtemps. Ahmad, paralysé et alité, n’avait plus la capacité d’apparaître en public. Par conséquent, à partir de 1086, son épouse Arwa assuma les pleins pouvoirs.

Sa première décision fut de déménager la capitale depuis Sanaa vers la ville de Jibla, ville située au sud du Yémen. Ce choix visait à se placer en position plus stratégique notamment dans l’optique de détruire Sa’id ibn Najar et ainsi venger son beau-père qui l’avait éduquée. C’est en 1088 qu’elle parviendra à l’éliminer et par la même supprimer la menace qu’il pouvait représenter. Pour satisfaire sa communauté, Arwa transforma l’ancien palais en une grande mosquée.

C’est ainsi que le règne d’Arwa commença. Son accession au trône marquait le début d’une période prospère, bénéfique et pacifique dans l’histoire du Yémen. Reine bâtisseuse, elle fit construire un nombre important de routes, d’écoles et de mosquées, dans l’optique de développer l’économie du royaume et de favoriser l’agriculture et sa rentabilité.

Sur le volet religieux, Arwa fit le choix d’envoyer des missionnaires dans certaines contrées et ce jusqu’à l’Inde où elle fit en sorte de favoriser l’établissement de communautés ismaéliennes alors parfois persécutées.

Arwa fut une reine quelque peu unique, en effet, elle fut l’une des rares femmes souveraines musulmanes à avoir eu l’ultime honneur de voir son nom figurer et être prononcé dans l’ensemble des mosquées du Yémen. Durant les prières du vendredi son nom était proclamé et des prières en son honneur étaient réalisées. Ainsi tous les vendredis, les croyant.e.s du Yémen prononçaient cette phrase rappelant le respect et l’amour qu’ils.elles lui portaient : « Qu’Allah prolonge les jours d’Al hurra, la parfaite, la souveraine, qui gère avec soin les affaires des croyant.e.s »

Appréciée du peuple, elle était également fréquemment appelée As Sayyida al Hurra (la femme souveraine qui n’obéit à aucune autorité supérieure), al Malika al Hurra (la noble reine) ou encore Malika Saba As Saghirah (la petite reine de Saba). Tant de noms nous montrant le travail colossal qu’elle réalisa.

En l’an 1901, quand son époux décéda, il lui fut conseillé de se remarier. Réticente dans un premier temps, elle songea à refuser puis elle finit par accepter à condition de continuer à gouverner. Une fois ceci accepté, elle se maria avec un cousin de son défunt mari, Saba ibn Ahmad.

En 1101, Saba décéda et Arwa fit le choix de ne pas se remarier et régna ainsi seule jusqu’en 1138, jusqu’au jour dans sa mort.
 
Arwa fut la figure la plus appréciée et renommée de la dynastie Sulayhide. On lui accorda notamment le titre prestigieux de hujja dans la branche ismaélienne de l’Islam chiite, et fut donc considérée comme la médiatrice entre Dieu et les êtres humains de son temps.

Puissante, intelligente et inspirante, Arwa laissa derrière elle un certain nombre de monuments, de routes, de mosquées et d’écoles autant de choses qu’une longue période de pouvoir des imams fut en incapacité d’accumuler. Son règne de plus d’une quarantaine d’années fut le plus long de sa dynastie. Il fut marqué par la paix, le développement de l’économie, des écoles et des infrastructures favorisant le renforcement du royaume.

Aussi puissante et importante que son histoire puisse être, il convient de se rappeler que dans l’histoire contemporaine, Arwa fut tout bonnement oubliée. Ainsi elle nous rappelle avec force à nous femmes musulmanes de manière générale que nous ne pouvons compter sur personne, ni savant.e, ni érudit.e, ni historien.ne pour lire notre histoire avec respect et dignité.

Comme le dit la fabuleuse Fatima Mernissi dans ses écrits, « cette lecture est note entière responsabilité, elle est notre devoir. Notre revendication de la jouissance pleine et entière de nos droits humains, ici et maintenant, passera nécessairement par une réappropriation de la mémoire, une re-lecture, une reconstruction d’un passé musulman large et ouvert. Faire des incursions dans notre passé pourra nous instruire et nous divertir, mais également nous donner des idées précieuses sur comment trouver le bonheur lorsque l’on est une femme, musulmane et de surcroît racisée. »

Je ne saurais que rajouter après ces mots de la grande Fatima Mernissi, alors je me contenterai de vous rappeler qu’ensemble, notre mission est de créer, partager et diffuser !

A demain pour de nouvelles aventures toujours plus puissantes, inspirantes & fascinantes,
Attika with love
 
 
Crédit image à la une : Charlotte. Charlotte est une illustratrice passionnée de dessin et notamment par l’univers de la mode.
Je vous laisse découvrir son univers :
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