#MuslimWomensDay : vos témoignages 1/3

par | 26 mars 2019 | Nos Voix

A l’occasion du Muslim Women’s Day, la journée internationale des femmes musulmanes de 27 mars, Lallab a lancé un appel à témoignages afin de récolter vos histoires de femmes musulmanes sur vos expériences, sur les discriminations et les violences vécues en relation avec le système éducatif en France.

 

Argelina : « Vous êtes trop intelligente pour porter ça »

 
L’année dernière, alors que je passais mes examens de licence, j’ai eu un oral avec une professeure que je considérais énormément depuis ma première année de licence.
Elle m’a toujours encouragée, je n’ai jamais eu de mésentente avec elle, bien au contraire, nous avions une très bonne relation.
Voilà pourquoi cette expérience a été encore plus difficile à vivre pour moi.
J’ai passé un examen oral avec elle. A peine me suis-je installée, elle me dit directement “bon M…. il faut que je sois honnête avec vous. Je ne comprends pas pourquoi vous portez le voile. Je vous ai toujours bien aimé, vous êtes une femme remarquable, l’une des meilleures de la promo, mais je trouve ça tellement dommage que vous portiez ce bout de tissu. Vous êtes trop intelligente pour porter ça, je garde espoir en me disant qu’un jour vous aurez assez de courage pour le retirer car ça ne va pas avec ce que vous représentez en tant que femme intelligente, indépendante, ouverte d’esprit… » et j’en passe. Je suis tombée d’au moins dix étages. Moi qui suis voilée depuis maintenant 5 ans, je n’ai jamais été « victime » de racisme, et recevoir toutes ces paroles d’une enseignante, une femme pour laquelle j’avais beaucoup d’estime de par son parcours scolaire.
Sur le coup je n’ai pas su réagir, j’ai juste pleuré, j’ai été blesseé d’un côté par ses fortes paroles et d’un autre côté car cela venait d’elle.
Bien évidemment je n’ai pas terminé mon oral, et je vous laisse imaginer la note que j’ai eue.
En sortant j’avais deux choix : aller me plaindre et faire remonter les conditions de l’épreuve orale que je venais de passer car ceci a beaucoup joué sur mon examen étant donné que ma seule envie était de quitter la salle. L’autre option était de me taire car en raison de son importance au sein du département, j’aurais pu avoir des répercussions sur les années d’études qu’il me restait. Je me suis tue. J’ai eu peur que ça puisse jouer sur mes études. Et honnêtement je ne savais pas vers qui me tourner, porter plainte ? Je ne voulais pas entrer en procédure judiciaire surtout que ça aurait été sa parole contre la mienne.
J’en ai parlé seulement à une enseignante, qui m’a énormément soutenue, elle m’a aidée à ne pas baisser les bras. J’étais à deux doigts de ne plus remettre un pied à la fac… Mais j’ai décidé de ne pas me laisser abattre car après tout ce n’est pas moi la victime mais plutôt cette enseignante. Victime de son manque d’ouverture d’esprit, qui refuse d’entendre qu’une femme est libre de porter le voile, et que ce « bout de tissu » n’est pas la définition d’une femme soumise, fermée aux autres, dépourvue de toutes formes de libertés. Bien au contraire.
 

Leila : « On vous tolère dans les couloirs de la fac »

 
L’histoire se déroule il y a maintenant 3 ans, dans une faculté de médecine parisienne où je terminais mon internat. Un examen national a lieu en fin d’année afin de déterminer notre spécialité pour l’internat. Le jour de mon récit, nous étions censé.e.s passer une épreuve blanche dans les mêmes conditions que l’examen officiel.
Une fois les portes fermées, les étudiant.e.s tou.te.s installé.e.s, la cheffe du service d’hématologie de l’époque lit le règlement, et en cours de lecture nous dit :  » rien sur la tête alors retirez vos foulards maintenant ». Silence assourdissant. Je lui fais savoir que le règlement a été revu avec les instances AVANT cet examen blanc et que nous avons le droit de garder notre voile. Le chef de service de cardiologie, à ses côtés, nous assure que non, c’est comme ça et qu’il faut le retirer. J’insiste, terriblement seule (dans une promotion où il y a un nombre conséquent de musulmans et de musulmanes par ailleurs), et je suis, Dieu merci, rejointe par une amie. Elle leur explique également que nous avons demandé avis à un avocat, que nous sommes dans l’enseignement supérieur et que nous avons le droit de le garder. Pendant l’échange qui suit, assez violent psychologiquement et verbalement, la cheffe d’hématologie nous dit « déjà que vous nous enquiquinez avec vos charlottes à l’hôpital, on vous tolère dans les couloirs de la fac, vous n’allez pas nous faire le coup encore maintenant donc maintenant ça suffit et vous les retirez ! ». Je lui rétorque qu’elle ne tolère rien du tout, et que c’est tout simplement LA LOI !

Voyant que nous ne lâcherons pas, et l’épreuve devant se lancer (puisque toutes les autres facs nous attendent, l’épreuve étant simultanée en ligne), ils abandonnent.

A la fin de l’épreuve, le chef de service de cardiologie prend la parole en disant « effectivement nous avons appelé les instances et il n’y a pas de souci ». Exaspérée, stressée par la fin d’une épreuve que j’ai totalement bâclée, je lui rétorque : « SANS BLAGUE. »

Ce que je retiens de ce jour, ce n’est pas l’agression en elle-même. C’est le silence assourdissant de tous nos frères présents à ce moment-là (15). Aucun n’a pris la parole pour nous défendre, même si ma voix tremblait de rage et d’humiliation, aucun cœur. Les mêmes qui feront une réflexion rabaissante si une fille retire son foulard à cause de la pression sociale….
 

Amina : « Je vais faire une petite liste des micro-agressions par rapport au hijab. Ce n’est pas pour me plaindre mais c’est pour m’en souvenir parce que, à force, j’en oublie beaucoup. »

 
– Agressions par la concierge du collège parce que parfois j’oubliais ou bien j’attendais d’être à l’abri de la pluie pour me découvrir.
– Stage de Troisième où j’ai dû l’enlever dans mon endroit préféré de ma ville : la bibliothèque municipale.
– Années lycée : j’ai arrêté le badminton à l’AS parce que je ne voulais plus me prendre la tête à l’enlever.
J’ai voulu faire du théâtre mais je suis freinée à cause de ça aussi.
– J’ai eu une convocation chez le proviseur une fois pour me rappeler les règles de la laïcité.
– Je suis passée de la seule hijabi à une parmi d’autres donc ils ont commencé à nous soûler par rapport aux jupes etc. J’avais de nombreuses stratégies de contournement pour éviter de passer devant les bureaux du CPE quand j’en portais une.
– Ah oui, j’avais oublié… durant les portes ouvertes du lycée, il y avait ce fameux prof d’histoire et section euro qui allait me suivre durant tout le lycée et même à la fac. Première rencontre : il m’avait carrément ignorée (pas encore élève, je portais mon voile) par la suite il a été plus cordial.
– Année de Première : voyage à Londres. On me dit que je ne peux pas le garder. Bref je décide de ne pas y aller.
– En Première, ce fut aussi l’année du bac français. On me dit que je peux le garder pour les épreuves étant donné qu’elles ne se déroulent pas dans mon lycée. FAIL
– Concours général de français dans un lycée où je ne suis pas élève : Un CPE à l’allure vallsienne sort de son bureau en courant pour me rattraper et me crier dessus.
– Terminale. Année du bac, des concours, APB etc.. Dans le cadre d’une prépa aux IEP (Instituts d’Etudes Politiques) que je faisais depuis la Première sans souci avec le hijab, je me rends une semaine à Sciences Po Lille. Problème : l’internat était au lycée Faidherbe cette année-là alors que l’année d’avant, nous dormions dans un internat de lycée privé. La CPE me suit donc dans le self alors que je me servais à manger et me met la pression pour retirer mon hijab. Une autre hijabi était là mais elle venait de la banlieue de Lille. Elle est donc rentrée chez elle le soir même… Je me suis faite discrète mais me suis retrouvée le lendemain convoquée dans le bureau de l’ex-directeur de Sciences Po Lille. Je pensais que j’allais devoir prendre mon billet retour… c’était un peu tendu mais il était compréhensif. Il a fait en sorte que je puisse rester.
– L’université : pas d’interdictions mais ils ont le don de confondre le nom des filles voilées… parfois même les filles arabes. Et puis quand tu vas présenter le projet d’une association étudiante et qu’on te dit : « faut pas organiser des prières hein… on a déjà eu des soucis comme ça… »
– La carte étudiante : quand on te ment en te disant que la photo avec le voile n’est pas acceptée. Alors que ni dans la loi ni dans le règlement intérieur, il n’y a d’interdiction à ce sujet… D’ailleurs en L3, j’ai pu refaire ma carte avec ma photo en hijab par une jeune en emploi étudiant.
– Le sport à la fac : quand le prof vient te voir pour te dire qu’il a pas de problèmes avec le voile mais attention faut des vêtements adaptés. Non ? Sans blague…
– En stage dans une entreprise (maghrébine qui plus est) : au bout de deux semaines une fille qui avait retiré son voile pour son stage revient de congé et le soir même on m’envoie un sms pour voir si je ne peux pas le retirer ou au moins le mettre en turban.
– Pour mon dernier stage (d’une semaine) dans un grand média, la photo en hijab pour le badge ne leur convenait pas pour je cite « des motifs de sécurité » LOL. Bref j’en ai envoyé une en turban. Puis plus de réponses… je n’avais toujours pas reçu ma convention. La semaine avant le stage on me dit que ce ne sera pas possible avec le hijab malheureusement car l’entreprise fait une mission de service public. Mais, ô miracle ! Lorsqu’on connait des personnes bien placées dans l’entreprise, on parvient à négocier le turban. L’affaire est remontée jusqu’à la directrice du média. Finalement, j’ai pu faire mon stage. Et surprise : qu’est-ce que je découvre ? Plusieurs employées en turban mais dans la restauration et le ménage et pas dans les rédactions.

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