Un jour, j’ai fait un rêve étrange. Un rêve utopiste. Ce rêve va vous paraître ordinaire. Mais faut croire que j’ai des rêves assez simples. J’ai fait le rêve que je travaillais dans une entreprise bienveillante où le fait d’être une femme, racisée de surcroît, ne serait pas une entrave à ma carrière. J’ai rêvé que je bossais dans une société où le mot féministe n’était pas une insulte, où les micro-agressions sexistes, racistes, homophobes, grossophobes, etc. ne faisaient pas partie de mon quotidien. Puis je me suis réveillée, j’étais en 2018 et on m’avait virée pour avoir dénoncé les comportements et agressions sexistes et racistes de mon entreprise. Et oui, je me suis faite licencier pour avoir balancé mon boss. J’avais identifié le problème donc j’étais devenue le problème. La femme à abattre. L’épine dans le pied. Il fallait m’extraire. Vite. Très vite. Une RH, rebelle, ce n’est pas très bon pour la marque employeur. Mais bon, je vous propose de commencer l’histoire depuis le début.
Acte I : Bienvenue à FunLand
L’histoire débute, j’ai 25 ans. Je suis « fraîchement » diplômée d’école d’ingénieurs et je galère un peu (beaucoup) sur le marché de l’emploi. Malgré mon Bac+5, mon expérience à l’étranger et mon aisance en entretien, je n’arrive pas à trouver un job en ingénierie. C’est la crise. Je commence à désespérer lorsque je tombe sur cette annonce. Une boîte jeune et dynamique cherche des ingénieur.e.s pour faire du conseil dans le secteur de l’innovation. Pourquoi pas ? En même pas deux semaines, j’ai candidaté, passé un entretien et commencé mon nouveau boulot. Inespéré. La boîte est jeune, moyenne d’âge 26 ans. On est 70, tout le monde se tutoie, les bosses sont jeunes et sympas. Dreamjob. Bon, il y a déjà un hic à l’époque. Le salaire dérisoire. Et beaucoup de départs précipités. Mais après 10 mois de chômage, je n’allais pas faire la difficile. En plus, le job me plaisait et je me débrouillais plutôt bien. Période d’essai validée.
Dans cette boîte, la principale valeur, c’est être sympa. Être sérieux sans se prendre au sérieux. Être fun sans rien prendre au sérieux. Beaucoup de moments sont accordés à la détente et à la construction de la cohésion des équipes (soirées, afterworks, séminaires, etc.). Ces moments, encouragés par la direction, sont l’occasion de faire connaissance avec les collègues (et plus si affinités !). D’ailleurs, comme beaucoup de mes collègues, c’est dans l’open-space que je fais la connaissance de mon compagnon. Décidemment ce job me comble à tous les niveaux. Même si le rythme est intense, milieu du conseil oblige, l’ambiance est excellente. Les déplacements et les nocturnes au bureau s’enchaînent, la direction est sympa elle nous paie les pizzas.
Très vite, la direction me repère. Je ne compte pas mes heures et je suis toujours disponible pour filer un coup de main. Je suis la nouvelle chouchoute du Big Boss. Il décide donc de me confier une mission chez un client qu’il connaît personnellement. Il propose de m’accompagner à ce rendez-vous. Dès l’arrivée à l’aéroport, il me pose des questions très personnelles. Est-ce que j’habite avec mon compagnon ? J’esquive au maximum ses questions. Nous nous retrouvons ensuite seul.e.s dans une voiture pendant deux heures et l’interrogatoire recommence avec un focus particulier sur ma relation amoureuse. Je finis par lui dire clairement que je ne souhaite pas parler de ma vie privée avec lui. Il me laisse tranquille pour la journée.
Quelques mois plus tard, nous sommes en séminaire pour quelques jours en Tunisie. C’est un moment clé de l’année, les bosses nous présentent les résultats de la campagne qui vient de finir et les perspectives de l’année à venir. Tout ça, agrémenté bien sûr de blagues de bon goût, ambiance Club Med. C’est surtout un moment de détente entre collègues. L’occasion de faire le point sur les évolutions de l’année (la musculature d’untel, la cellulite de machine, la future grossesse de bidule, le dernier tatouage de trucmuche, etc.). Lors de la première soirée, je finis par me retrouver à la table des bosses. Nous discutons et plaisantons de sujets divers. À un moment, l’un d’entre eux me tape sur l’épaule et me dit : « Toi, tu vas passer une bonne soirée ! ». A priori, il a raison, je suis en Tunisie, dans un magnifique hôtel avec un superbe buffet et des collègues sympas. Toutes les conditions sont donc réunies pour que je passe une bonne soirée. Mon compagnon est aussi à cette table. Je laisse traîner mes oreilles et surprends une conversation. Je comprends qu’ils ont mis du viagra dans les verres de certains de mes collègues masculins, dont celui de mon compagnon. Et ça les fait marrer, sans même songer une seconde que l’une des victimes de cette blague potache pourrait faire une mauvaise réaction à cette potion magique. Le pire dans tout ça, c’est qu’il ne me vient même pas à l’idée d’aller dénoncer ce comportement le lendemain. Et puis à l’époque, je me demande bien à qui j’aurais pu dénoncer cela. À l’alternante RH qui était en couple avec le Directeur Technique ou à sa boss qui était la maîtresse du coupable. Ah oui, je ne vous ai pas dit que ma boîte, c’était Dallas (ou 90210 pour les plus jeunes) et les Feux de l’amour version consulting.
Acte II : Je crois que je bosse dans une boîte sexiste
Deux ans, une rupture et quelques incidents sexistes plus tard, à force de travail acharné, je suis choisie avec un de mes collègues pour aller passer trois mois sur le continent nord-américain. L’objectif, aider le bureau canadien qui est sous-staffé et lancer notre première mission aux US. Notre direction nous informe que durant cette mission, nous partagerons le même appartement durant les trois mois. Avec mon collègue, nous sollicitons donc un rendez-vous avec la DRH, nouvellement arrivée, et un des associés, le DG. Nous indiquons que nous ne souhaitons pas vivre ensemble. Ce à quoi notre boss nous répond, « C’est quoi votre problème, vous avez peur de coucher ensemble ? ». Il nous fait comprendre que pour des raisons économiques nous n’aurons pas vraiment le choix et que ça va aider à la cohésion de l’équipe. Esprit Start’up. Me voilà donc quelques semaines plus tard en colocation avec un collègue. Pour l’intimité, on repassera.
Après quelques semaines de mission, je reçois un mail du DG. « Comment va ma beurette préférée ?». Quelques semaines plus tard, il vient nous rendre visite au Canada. Nous sommes réquisitionné.es pour occuper ses soirées pendant son séjour. Pendant un des dîners en sa compagnie, j’ai le droit à un interrogatoire, devant mes collègues, sur ma situation matrimoniale. Séparée depuis un an d’un de mes collègues, mon boss s’amuse à mentionner son nom à plusieurs reprises pendant le dîner et me pose un milliard de questions sur lui. Ne réagissant pas, il tente de vérifier les dernières rumeurs de « radio-moquette ». Il change de cible. Il me pose des questions sur mon N+2.
Comment va-t-il ? La rumeur disant que nous nous sommes rapproché.es avant mon départ. D’ailleurs, il paraîtrait que c’est grâce à lui que j’ai été positionnée sur le bureau nord-américain (et non grâce à mon travail acharné !). Une fois encore, j’esquive le sujet en indiquant ne pas avoir pas de nouvelles du bureau parisien.
Bond de quatre ans dans le temps. Nouveau séminaire. Pour celui-ci, la boîte nous a bien préparé.es. Une esthéticienne est même passée au bureau quelques jours avant le départ pour pimper celles qui le souhaitaient. Nous sommes en Corse. Mes derniers jours de consultante avant de rejoindre l’équipe RH. Team building. Un jeu de piste avec des énigmes et des épreuves nous permet de découvrir Calvi. Dans mon groupe, j’ai plusieurs managers et un des directeurs techniques. Nous discutons et rigolons, lorsque sans crier gare un des managers me dit « Toi, des bites t’as dû en voir aux kilomètres !». Mon cerveau déconnecte une seconde. Ai-je bien entendu ce que j’ai entendu ? Si c’était le cas, une des dix personnes qui m’entouraient aurait dû réagir. J’ai dû rêver. Mais non, tout le monde se marrait autour de moi. Je reporte l’incident à la DRH qui m’indique que nous ferons un point lors de notre retour à Paris. Je ne vais pas vous laisser du faux suspens. Il n’aura pas de sanction. Pas même un avertissement. Pendant ce même séminaire, on m’avait informé d’autres incidents qui ne seront soit pas officiellement reportés au service RH, soit non sanctionnés.
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Article rédigé par Zoubi DAH
Crédit Photo Image à la une: Rakidd
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