Mounia est une blogueuse féministe et antiraciste. Elle est également professeure de mathématiques. Cette militante nous explique son parcours, et ce qu’elle considère comme des solutions afin de remédier efficacement aux injustices vécues par certain·e·s dominé·e·s en France.
De la nécessité de militer
Née à Saint-Nazaire, en région Pays de la Loire, la jeune femme se souvient de son enfance et de son adolescence, durant lesquelles elle faisait déjà face à des injonctions contradictoires. « Mes parents souhaitaient me protéger en me mettant dans les meilleures écoles, dans lesquelles les élèves étaient majoritairement blanc·he·s, et dans lesquelles assumer son identité algérienne et musulmane, c’était s’exposer à du racisme et de l’islamophobie, alors qu’à la maison, nos interactions avec les personnes blanches ne devaient plus compter. » Ce phénomène est encore plus présent en classe préparatoire, où Mounia et l’une de ses camarades sont les seules Arabes de la promo. Bien que se sentant différente des autres, l’étudiante ne politise pas forcément cette question à l’époque. Lorsqu’elle est en école d’ingénieurs, la militante en devenir commence à utiliser Twitter. Mais la limite de caractères imposée pour chaque tweet l’empêche d’exprimer clairement ses opinions. Elle partage donc ses analyses politiques sur Facebook, mais aussi sur son blog, L’avis du chat glouton. Très vite remarquée, elle devient chroniqueuse sur Beur FM dans l’émission Les Zinformés.
Son militantisme devenant de plus en plus cher à ses yeux, Mounia ne s’imagine pas travailler tout en ressentant une incohérence vis-à-vis de ses valeurs éthiques et de ses opinions politiques. Le monde de l’éducation lui semble intéressant de ce point de vue. Enseignant les mathématiques à des collégien·nes, la professeure est ravie de pouvoir servir de modèle. Et tient à clarifier les choses concernant tout ce que nous avons pu lire ou entendre quant à l’éducation sexuelle à l’école. « Il s’agit avant tout de faire comprendre à ces jeunes, et notamment aux filles, qu’elles·ils ont le droit de dire non. Pas uniquement dans le cadre sexuel, ça peut aussi consister pour une fille à refuser qu’une amie s’amuse avec ses cheveux. » En tant que professeure, elle a elle-même été confrontée à des situations dans lesquelles certaines élèves sont parfois traumatisées parce que des garçons les harcellent, en les suivant pour regarder sous leurs jupes, par exemple. « Les parents ne se rendent parfois pas compte de ce que leurs enfants font, une fois qu’ils ne sont plus sous les yeux de leur famille. Ils ne sont pas forcément de simples petits anges, » insiste Mounia, qui a d’ailleurs consacré l’un de ses derniers articles au consentement.
Crédit : Twitter de Mounia
La blogueuse lutte aussi fermement contre la culture du viol. L’un des exemples l’ayant le plus marquée est celui de l’une de ses amies, ayant subi plusieurs viols qui l’ont traumatisée à jamais. Son amie avait trouvé la force de témoigner sur les réseaux sociaux, mais de nombreuses personnes ont alors réagi de façon très hostile. Certain·e·s proches lui ont même reproché d’avoir dévoilé les atrocités qu’elle avait subies et qui, depuis, hantaient son esprit. Incomprise, insultée et pointée du doigt, cette femme s’est suicidée, malgré quelques soutiens, dont Mounia. La blogueuse se sent ainsi très concernée par le viol et s’interroge sur les façons de l’éradiquer, de punir les coupables et de soutenir les victimes, notamment dans un contexte raciste. C’est l’objet d’une série d’articles que l’on peut trouver sur son blog. « Je pense qu’avoir recours à la justice patriarcale, raciste et souvent inefficace n’est pas la véritable solution, même s’il s’agit généralement du seul moyen se trouvant à portée des victimes. Il est nécessaire de trouver des frères qui puissent être des alliés. » Mounia regrette le fait que les femmes racisées acceptent volontiers de soutenir leurs frères, notamment dans les luttes contre les violences policières, alors qu’elles sont beaucoup moins soutenues lors des affaires de viols, par exemple.
Les joies du militantisme
Ses positions politiques lui ont souvent valu des ruptures amicales, notamment signalées par une suppression de la liste d’amis sur Facebook. « J’ai des potes avec lesquel·le·s je m’entendais super bien qui m’ont soudainement trouvée trop militante, trop féministe, trop antiraciste et trop méchante parce que j’exprime mes opinions, ce qui peut être assez violent, » confie-t-elle. Cependant, la blogueuse conseille de ne pas lutter à n’importe quel prix, se mettre en danger ou se retrouver marginalisé·e, notamment. « Je pense que pour être efficace pour la justice sociale, il est nécessaire de tout faire pour être au top, ce qui peut passer par des études, par exemple. Il ne faut pas non plus s’épuiser à commenter toutes les actualités oppressives et privilégier la production et la construction de choses utiles pour les dominé·e·s. » Cela ne signifie pas pour autant qu’elle exige un militantisme parfaitement safe, dans lequel tout le monde serait totalement déconstruit·e. Dans son article « De l’arnaque des espaces militants dits safe », Mounia tire la sonnette d’alarme.
Crédit : Le chat glouton, blog de Mounia
En effet, elle a déjà milité dans des milieux majoritairement blancs et masculins. Les personnes impliquées y tenaient un discours profondément tolérant et se montraient véritablement déconstruites, conscientes des inégalités et de leurs places avantageuses dans la société, mais leurs actions pouvaient être particulièrement hypocrites. Ainsi, les femmes avaient beau participer à la production intellectuelle de ces milieux, leurs écrits étaient systématiquement corrigés de A à Z, contrairement à ceux de leurs camarades masculins. Leurs travaux pouvaient même ne pas être publiés du tout. « On avait l’impression d’être à l’école, c’était partout souligné en rouge, » déplore-t-elle. « Lorsqu’il s’agissait de tenir de jolis discours, c’était simple, mais pour lâcher un peu ses privilèges et cesser de se retrouver avec les mêmes personnes à la tête de l’organisation, il n’y avait plus personne. » Désormais, Mounia considère que les personnes opprimées ne devraient pas forcément attendre l’aide de celles et ceux qui ne subissent pas ces discriminations pour se sentir légitimes de s’organiser. « C’est important d’avoir des allié·e·s, mais il faut faire très attention à ce que leur milieu militant ne devienne finalement pas un énième lieu d’oppression. Je pense qu’il faut d’abord apprendre à s’aimer, à nous aimer nous-mêmes pour ce que nous sommes avant d’attendre que quelqu’un de plus puissant nous sauve. »
C’est pourquoi Mounia consacre beaucoup de temps à la pédagogie engagée sur son blog et sur les réseaux sociaux. Elle espère aussi concrétiser plusieurs projets visant à aider les femmes racisées et/ou musulmanes. Nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.
Crédit photo à la une : Café More. Mounia invitée au Café More en tant que blogueuse société
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