“La pop culture a un réel impact sur la manière dont les gens se voient les uns les autres”, disait Sue Obeidi, fervente activiste pour des représentations positives de personnages musulmans, à la tête du Hollywood Bureau du MPAC (Muslim Public Affairs Council). Alors que les musulman·e·s au cinéma et dans les séries télévisées pâtissent toujours du schéma typiquement occidental et ultra-stéréotypé du terrorisme, on constate tout de même, avec des figures comme celle de Sue Obeidi, qu’un travail de déconstruction de ces clichés est à l’œuvre dans le domaine audiovisuel. Bien plus que le cinéma, la télévision – et pas qu’américaine, on le verra – propose depuis quelques années des représentations de femmes musulmanes fortes, indépendantes et aux antipodes de la figure fantasmée de la femme soumise qui ne demande qu’à être sauvée. Au contraire, les quatre personnages de cette liste non-exhaustive brisent les barrières de l’imaginaire commun, et opèrent, à des échelles diverses et variées, un changement radical dans le champ des représentations des femmes musulmanes, plus badass les unes que les autres !
Sana Bakkoush dans Skam
Grande surprise lors de l’annonce de Skam annonçant que la quatrième saison serait consacrée à Sana Bakkoush, musulmane voilée. Une figure qui suscite beaucoup d’attention de par son fort caractère et son répondant, Sana est une des héroïnes préférées des fans de la série. Il s’agit notamment d’un grand pas pour la communauté musulmane qui se voit représentée à la télé et surtout appréciée par une communauté non-musulmane. SKAM permet de saisir davantage et de manière plus fluide certains enjeux actuels liés à différentes thématiques telles que l’amitié, les relations sexuelles chez les jeunes, le consentement, les troubles mentaux ainsi que la question LGBT. Il est effectivement intéressant de percevoir comment la protagoniste parvient à jongler entre ses études, amitiés, amours et sa foi, et de découvrir que les adolescent·e·s musulman·e·s sont des adolescent·e·s comme les autres (shocking, right ?).
Sana est une héroïne complexe, pleine de sarcasme, de charisme et très autoritaire que nous avons personnellement adorée lors des trois premières saisons. Cette quatrième saison (qui lui a été entièrement dédiée) nous a toutefois laissées sur notre faim… Cette dernière saison faisait véhiculer, un peu trop de fois à notre goût, un sentiment de solitude et de frustration croissantes. Contrairement aux saisons précédentes, on ressentait davantage une certaine tristesse et amertume provenant du personnage principal, qui semblait constamment lutter entre son identité d’adolescente norvégienne et celle de jeune femme musulmane, comme s’il s’agissait d’une incompatibilité évidente avec laquelle Sana était destinée à se battre tout au long de sa vie. Nous entendons bien que ces diverses identités peuvent être conflictuelles pour beaucoup de femmes musulmanes en raison de certains contextes socio-politiques ; cela dit, c’était parfois juste TOO much. Malgré cette petite déception, on est tout de même reconnaissant·e·s d’avoir été glorifié·e·s par ce personnage plein d’énergie et de badassery, qui rappelons-le quand même, ne représente évidemment pas la totalité des femmes musulmanes.
On appréciera également les réactions sur les réseaux sociaux de nos jeunes imam·e·s critiquant constamment la « mauvaise » conduite du personnage féminin. Les critiques allaient de la manière dont Sana faisait ses ablutions (considérée comme invalide) à sa façon de se maquiller, prier ou encore de s’habiller… ON A-D-O-R-E. Surtout lorsque les critiques sont accompagnées, de l’autre côté de la route, par des paranos qui crient à la préconisation de l’islam chez les jeunes et à la promotion du port du voile. ON A-D-O-R-E aussi. Bref, vous l’aurez compris : Sana est LA kickass muslim feminist du moment qui fait trembler la toile. Une version française est d’ailleurs annoncée pour février 2018, avec une Sana noire et voilée, interprétée par Assa Sylla. À vos écrans !
Nimah et Raina Amin dans Quantico
Interprétées par une seule et même personne, la talentueuse actrice libanaise Yasmine Al Massri, Raina (voilée) et Nimah (non-voilée), jumelles et agents secrets du FBI, sont de loin les protagonistes les plus palpitantes de Quantico. L’attrait particulier de ces deux personnages est tout simplement qu’elles incarnent des femmes musulmanes très rarement représentées de manière positive dans les TV shows américains : ici, on a des personnages féminins d’origine arabe et/ou de confession musulmane à la fois rayonnantes et accomplies. Assez souvent, Raina doit endurer certaines conversations plus ou moins gonflantes avec d’autres membres de Quantico, concernant son voile, son mode de vie spirituel et sa vie amoureuse. La série met en évidence la capacité des femmes voilées à s’adapter à n’importe quel environnement en participant à plusieurs activités comme tou·te·s les autres recrues de Quantico. Je fais référence ici au moment où les recrues ont dû faire face à une épreuve de natation, pour laquelle Raina a tout simplement porté une combinaison de bain. Une femme voilée qui sait nager… damn… Chose, qui à vrai dire, n’offusque personne, à part peut-être nos choqué·e·s du burkini en France.
Bref, ces deux personnages sont en plein cheminement personnel et reflètent deux des multiples façons de vivre sa foi aux US aujourd’hui. Nimah et Raina sont tout aussi fortes, puissantes, confiantes et rusées que les autres recrues de Quantico et on notera l’engament des créateurs·trices de la série qui se sont promis de ne pas faire apparaître LE personnage musulman cliché : le terroriste de service. Josh Safran veille personnellement à ce que la représentation des personnages musulmans évite de tomber dans les stéréotypes, surtout avec le climat politique actuel du pays. Voir des personnages aussi empowering que ces deux femmes, ça fait juste tellement plaisir !
Alison Abdullah dans Orange is The New Black
Orange is the new black fait également partie de ces séries qui remettent en question les stéréotypes, et plus particulièrement ceux qui concernent la race. Ainsi, dès la première saison, on y retrouve un panel varié et représentatif de la diversité culturelle américaine. Les femmes de la prison de Litchfield permettent de formaliser des questions géo-politiques sur un ton comique mais engagé, qui bouleverse les schémas audiovisuels qu’on a l’habitude de voir. Il n’y a plus une seule féminité (blanche, cisgenre, hétérosexuelle, d’âge moyen et de classe bourgeoise), mais une multitude de féminités.
Lors de la quatrième saison, ce travail sur les féminités est d’ailleurs alimenté par l’arrivée d’une nouvelle détenue qui élargit davantage ce panel. Alison est une femme noire portant le hijab qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Lorsqu’elle commence à s’installer dans le box qui lui est attitré, Cindy, une des détenues de la communauté afro-américaine, l’attaque tout de suite à propos de son voile en accusant ses « frères » de mener un combat idéologique contre les USA. Cette scène permet de mettre en lumière l’islamophobie ambiante aux États-Unis, en même temps qu’elle fait d’Alison une musulmane des plus badass, qui lui répond du tac-au-tac : « Tu veux vraiment qu’on parle de ça, toi et moi ? », comme pour lui montrer qu’elle est prête à se battre pour défendre ses choix religieux.
Parallèlement à cela, puisque chaque femme fait plus ou moins office de porte-drapeaux des questions liées aux particularités de sa culture, le personnage d’Alison est très intéressant car il permet de défaire les archétypes à propos des femmes musulmanes. Le fait de choisir une femme noire permet de bousculer une représentation unique des musulmanes, mais aussi et surtout de croiser les problématiques de religion, de genre et de race : Alison a plusieurs identités, et c’est le croisement des multiples facettes de son personnage qui la rend si complexe.
Néanmoins, la série reste problématique sur quelques aspects concernant le personnage d’Alison. Puisque chaque femme représente une communauté et ses coutumes dans Orange is the new black, on pourrait par exemple reprocher à la série de perpétuer des stéréotypes de l’imaginaire commun à propos du mariage islamique. C’est Meeran Karim, une journaliste musulmane de la City University of New York qui en parle le mieux dans son article pour Slate : « Il s’avère que la seule détenue musulmane de la série est engagée dans un mariage polygame et devient jalouse de l’autre femme. Bien que le Coran autorise les hommes musulmans à avoir un maximum de quatre femmes (…) la pratique est très peu répandue, spécifiquement sur le sol américain. » Ici, on voit qu’en voulant briser certains stéréotypes à propos des femmes musulmanes, la série de Jenji Kohan en crée malheureusement d’autres.
Adena El-Amin dans The Bold Type
Enfin, The Bold Type est aussi un exemple de la remise en question concrète des stéréotypes à propos des femmes musulmanes, plus particulièrement concernant *roulement de tambour* : LA SEXUALITÉ. On le voit dès le premier épisode : la série introduit Adena El-Amin, une photographe iranienne venue exposer son travail dans une galerie new-yorkaise, qui s’impose de manière magistrale dès le début de la narration. Alors que Kat, la responsable du pôle Communication du magazine féminin Scarlet, démarre leur entrevue en la traitant de « lâche », Adena se défend en lui rappelant qu’elle se définit ouvertement comme « musulmane, lesbienne et fière » dans sa bio Twitter : peut-on faire une entrée plus kickass?
Plus tard, lors d’une scène plus intime où les deux femmes emballent des sex-toys offerts par le magazine pour le retour d’Adena chez elle, Kat la questionne sur l’articulation, en apparence contradictoire, entre sa religiosité et son orientation sexuelle.
Kat : « Pourquoi portes-tu toujours le hijab ? Ce n’est pas contradictoire ? »
Adena : « J’ai choisi de porter le hijab. Il ne m’oppresse pas, mais me libère des attentes de la société par rapport à ce à quoi devrait ressembler une femme. »
Et le plus badass reste à venir :
Adena : « Les gens ont tendance à être mal à l’aise quand ils ne peuvent pas te ranger dans une case. Et j’ai toujours aimé mettre les gens mal à l’aise. »
On pourrait peut-être reprocher à la série son manque de part critique, par exemple à propos de l’islamophobie ambiante aux Etats-Unis. Car même si le sujet est traité à un moment donné, la série en fait une anecdote plutôt qu’un réel évènement qui mériterait d’être déconstruit. Néanmoins, même si The Bold Type n’est pas une réelle révolution, on ne peut ignorer l’impact qu’un tel personnage engendre dans le domaine des représentations visuelles de femmes musulmanes LGBTQI+.
Ainsi, ce que ce petit tour des figures féminines musulmanes dans les séries télévisées contemporaines nous apprend, c’est que les choses semblent changer. Petit à petit, on voit apparaître des personnages de femmes musulmanes, voilées ou non, d’origine, d’orientation sexuelle et de profession très diverses, qui ouvrent le spectre des représentations, jusqu’ici presque toujours négatives. Avec Sana, Nimah et Raina, Alison et Adena, on a ENFIN droit à des héroïnes plus complexes, plus ou moins éloignées des stéréotypes habituels, qui nous permettent d’espérer que ce n’est que le début d’une grande évolution des mentalités aux Etats-Unis et en Europe. De plus, comme dit en introduction, ces quatre femmes musulmanes ne sont pas les seules à agrandir le spectre des représentations sérielles : on pense aussi à La petite mosquée dans la prairie et son panel de musulman·e·s canadien·ne·s, ou au personnage de Trenton, hackeuse professionnelle dans Mr Robot, sans parler de la très attendue série Unfair and Ugly, annoncée pour le mois de décembre 2018 aux US.
Il serait tout de même agréable que l’on ne doive pas systématiquement parler de religion et des problèmes sociaux qui s’y accompagnent à tout bout de champ lorsqu’il s’agit d’un personnage voilé. La religion fait partie de l’identité de beaucoup d’héroïnes mais il s’agit d’une facette parmi tant d’autres, qui méritent elles aussi d’être explorées. L’occasion pour nous, Françaises, de nous poser la question à présent : à quand notre tour ? Car si les show runners américain·e·s et européen·ne·s ont enfin réussi à casser des portes pour laisser entrer ces héroïnes que l’on attendait depuis si longtemps dans la paysage audiovisuel international, l’absence quasi-totale de progrès à ce niveau en France est davantage révélatrice d’un retard sociétal qu’autre chose. A vrai dire, on sait pertinemment que le chemin est encore long, mais devinez quoi : nous existons, donc… DEAL WITH IT ♥
Article écrit par Tarani et Selma
Crédit image à la une : @jeeitd
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