Founé se définit elle-même comme une musulmane et une féministe décoloniale en contexte occidental : son féminisme est en mouvement en fonction de son environnement de vie. Elle a récemment animé un atelier au festival Nyansapo, organisé par l’association afro-féministe Mwasi. Elle revient pour nous sur son parcours et ses difficultés en tant que femme noire, musulmane et vivant dans un quartier populaire.
De la difficulté d’être noir·e et d’un milieu modeste
Founé est née dans le dix-neuvième arrondissement de Paris. Son immeuble, situé rue du Maroc, prit feu alors qu’elle était âgée de moins d’un an. Sa famille fut alors relogée à la cité des Lilas à Aubervilliers, où elle a vécu ensuite la majorité de sa vie. Elle se souvient des inégalités qu’elle avait du mal à comprendre, plus jeune. « Par exemple : on avait une nouvelle paire de chaussures pour le début de l’année scolaire, qui restait la même jusqu’à la fin de l’année ! », s’exclame-t-elle. Ses parents n’avaient pas non plus forcément les moyens d’envoyer leurs enfants en vacances. « Au départ, je pensais que mes parents étaient des crevards », confie la diplômée en communication, pour laquelle les études universitaires furent symboliquement très violentes et révélatrices de sa personne. Elle se souvient de camarades non-boursiers, étudiant sur leur Mac. Elle s’est ainsi vite rendu compte que leur niveau de vie était différent et que ça n’était pas de la faute de ses parents.
Founé vivait dans une cité très populaire, riche d’une communauté immigrée venant notamment d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, et qui se situait non loin d’habitations où vivait une population globalement blanche. « Il y a une histoire qui me frustre, m’énerve quand j’en parle », confie-t-elle. Il s’agit de la fois où, à l’école primaire, une de ses amies blanches invita tous ses camarades de classe pour son anniversaire, sauf les Noir·e·s, sans donner d’explication. Founé a ainsi, dès le plus jeune âge, subi le racisme.
Son père lui a toujours inculqué qu’ils étaient venus en France, par espoir d’un avenir brillant pour leurs enfants, mais qu’ils n’appartenaient pas totalement à l’Hexagone. « En bref, on nous disait qu’on n’était pas des toubabs (des Blancs) », sourit l’antiraciste. « Mais aujourd’hui mon discours serait de dire qu’on est là et qu’il faut faire avec. A nous de nous approprier cet espace français », affirme-t-elle. Le père de la féministe tenait à sa réussite, elle représentait un modèle de méritocratie scolaire pour toute la fratrie, composée de sept enfants. « Je n’avais pas le droit à l’erreur, si j’avais des bavardages sur mon bulletin, je me faisais déchirer ! », rit-elle.
Founé estime cependant que le système éducatif français est « pourri dès le début ». Mais elle n’est pas fataliste : elle envisage de l’intégrer, par passion pour l’enseignement, se montrant très déterminée à changer les choses à son échelle. Parallèlement à cela, Founé constate que les racisé·e·s peuvent développer un certain complexe d’infériorité durant leurs études. Elle se souvient d’elle-même, en fac de droit, considérant qu’il « fallait absolument sortir de la banlieue pour vivre la vraie vie, celle d’une bourgeoisie parisienne ».
Son conseil ? Se mettre en avant, prendre sa place, l’arracher s’il le faut, mais ne jamais lâcher sous prétexte que notre présence n’est pas considérée comme légitime dans ces milieux. Elle essaie de s’engager auprès de la jeunesse, notamment féminine, afin de lui apprendre à ne pas avoir honte de ce qu’elle est. La future professeure aimerait influencer les jeunes et les rassurer : « vous avez le droit à l’erreur », prône-t-elle avec beaucoup de conviction.
Elle considère également que le système est raciste : les inégalités persistent et sont bien présentes encore aujourd’hui, malgré des tentatives pour les occulter en brandissant la carte de la « discrimination positive ». Elle se souvient des professeur·e·s, majoritairement blanc·he·s, désigné·e·s pour enseigner le Wolof ou d’autres langues non-occidentales à l’INALCO. « Même pour enseigner leur langue natale, les Noir·e·s sont jugé·e·s incompétent·e·s », déplore-t-elle.
Dans sa formation actuelle, elle décide un jour de consacrer un exposé historique aux tirailleurs sénégalais de la Seconde Guerre mondiale. Cela avait choqué l’une de ses camarades qui considérait que son propos était trop militant et qu’il valait mieux insister sur les soldats blancs de France. De la même façon, lorsqu’elle dénonce les injustices, on lui fait remarquer, le ton moqueur, qu’elle joue au « Black power ou à la féministe, comme s’il était anormal que je défende ce que je suis ».
De la difficulté d’être à la fois femme, musulmane et noire
En revanche, vivre son islam auprès des « sien·ne·s » n’est pas non plus de tout repos. Founé regrette le fait qu’en tant que musulmane noire, certain·e·s musulman·e·s arabes puissent se montrer condescendant·e·s envers elle, sous prétexte d’une infériorité en piété, un argument justifié par ses origines subsahariennes. « Les Noir·e·s musulman·e·s éprouvent des difficultés à s’approprier l’islam, mais il faut le répéter, nous sommes tout aussi légitimes à pratiquer cette religion », insiste Founé. Elle se souvient également d’une fois où une connaissance maghrébine l’avait péjorativement définie comme Africaine. « J’étais ébahie, le Maghreb, n’est-ce pas en Afrique ? », avait rétorqué la militante.
Certain·e·s proches lui font aussi remarquer, sur un ton très paternaliste, que son voile n’est pas islamique, son cou étant visible. Ce fut le cas un jour, lorsqu’elle vit d’anciens amis. « J’étais venue pour la naissance d’un bébé et me voici présente au procès de ma tenue vestimentaire », explique-t-elle, profondément déçue. Pour elle, ces remarques sont d’autant plus déplacées lorsqu’elles sont émises par des hommes. Ses amies noires non musulmanes peuvent également se montrer peu compréhensives quant à ses choix de vie : celles-ci préfèrent son turban « au lieu de la cape ! », selon l’une d’entre elles, à savoir son jilbeb (longue tenue ample, en 1 ou 2 pièces).
Elle estime donc qu’il est nécessaire de s’entourer de personnes bienveillantes, à l’instar de ses amies très proches, l’ayant toujours soutenue dans ses choix personnels. Elle s’inspire aussi de figures fortes françaises, mais aussi américaines, se réclamant du Black feminism, ou d’écrivaines africaines ouvertement féministes, telles que les Sénégalaises Ken Bugul et Mariama Bâ.
Founé considère que beaucoup de personnes, y compris certain·e·s Noir·e·s, ne sont pas conscient·e·s du colorisme, ce système hiérarchique où les peaux claires sont valorisées par rapport aux peaux foncées (y compris au sein d’un même groupe ethnique), ni des répercussions de cette forme de racisme, notamment sur les femmes noires. Elle évoque, par exemple, le fait que la beauté d’Omar Sy ne soit pas niée en raison de son teint foncé, contrairement à l’écrasante majorité des femmes noires pour lesquelles c’est souvent un caractère rédhibitoire. Elle a donc animé un atelier sur le colorisme au festival Nyansapo, pour remédier au manque de conscientisation sur ce sujet.
Son message ? « Acceptez-vous les sistas ! Les individu·e·s peuvent redevenir puissant·e·s par la magie de l’amour de soi. » Elle a aussi dû subir les prétendues blagues sur les photos où elle serait « trop sombre », les confidences de ses amies plus claires qu’elle et qui avaient peur de bronzer… « Je précise qu’en tant que femme noire à la peau foncée, on n’a pas le droit au cumul des mandats : impossible d’être noire, ronde et d’avoir une grande gueule. Il ne faut pas paraître sauvage », déplore-t-elle.
En tant que jeune femme, Founé a également dû subir les remarques de certains hommes blancs la percevant telle une bête sexuelle et « sauvage ». Mais plusieurs hommes noirs ont également pu lui faire remarquer sa beauté rare « pour une Noire charbon », explique-t-elle, l’air ébahi. Elle accuse tout un système médiatique, comprenant les clips musicaux et les séries télévisées par exemple, de perpétuer le colorisme : c’est « un produit type de l’esclavage et de la colonisation ». Tout cela l’amène à ne pas hésiter à s’affirmer en tant que féministe noire et musulmane.
Plus jeune, elle avait pu rejeter l’islam, pensant qu’il s’agissait d’une « religion de châtiment » et de misogynie, une religion de calcul où il fallait constamment compter ses hassanettes (bonnes actions) et ses dunubs (péchés). Elle n’a cependant jamais renié Dieu, espérant trouver ailleurs une certaine spiritualité. C’est bel et bien le féminisme qui lui a finalement permis de redécouvrir l’islam. « J’ai vu à quel point Amina, Aïcha, grande rapporteuse de hadiths (paroles du Prophète, ndlr), Khadija ou encore Soumaya avaient des rôles importants et valorisants (respectivement mère, épouses du Prophète, et première femme martyre de l’islam, ndlr). Elles étaient magnifiques. J’ai aussi étudié la vie du Prophète : il est évident qu’il prônait les droits des femmes », se réjouit-elle aujourd’hui.
A l’heure actuelle, elle déplore néanmoins une surreprésentation des discours masculins en Islam. « C’est compliqué à expliquer aux gens, mais je trouve ça très libérateur d’avoir des discours exclusivement féminins qui mettent en avant des femmes ayant eu un rôle important dans l’Islam », affirme-t-elle. A côté de cela, Founé porte depuis peu un intérêt très particulier pour le mouridisme. Ce courant soufi, présent au Sénégal, mêle à la fois l’islam et l’affirmation décoloniale vis-à-vis de la France, à l’époque des luttes pour l’indépendance. « C’est magnifique ce que cette religion peut apporter spirituellement à un·e individu·e, et à quel point elle peut donner des choses incroyables en fonction du milieu où on la pratique », nous confie-t-elle finalement, le sourire aux lèvres.
Crédits image à la une : Shehrazad pour Lallab. Founé à l’Institut des Cultures de l’Islam (Paris 18ème)
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