Médias et responsabilité : le rôle des médias français dans l’islamophobie actuelle

par | 13 septembre 2017 | (Dé)construction

Charlottesville (Virginia, Etats-Unis), le samedi 12 août 2017, des manifestant·e·s défilent. Jusque-là rien d’anormal, et pourtant : ces manifestant·e·s portent des drapeaux nazis et confédérés, des torches et des brassards à svastikas. Ils·elles scandent des slogans tels que “All lives matter” (“Toutes les vies comptent”), réponse raciste au mouvement Black Lives Matter qui lutte contre les discriminations et les violences faites aux Afro-Américain·e·s.

 
Certain·e·s sont armé·e·s, la police ne réagit pas. Le drame survient lorsque la contre-manifestation antiraciste est attaquée par un sympathisant des néo-nazis, qui lance sa voiture dans la foule. Bilan : une morte et 19 blessé·e·s. Alors que le procureur Jeff Session annonce lundi 14 août que l’attaque correspond à la définition de terrorisme domestique, les médias français, une fois de plus, n’utilisent pas ce terme pour décrire l’attaque. Au contraire, certains médias évitent même complètement de parler du responsable et décrivent “une voiture folle”.
 
L’impression de déjà-vu est malheureusement bien réelle : le 19 juin dernier, l’Angleterre se retrouve une fois de plus plongée dans l’horreur des attentats contre sa communauté musulmane. Les médias français, eux, s’enfoncent une nouvelle fois dans un traitement raciste de l’information. Les journalistes internationaux font état d’un mort et une dizaine de blessé·e·s, tou·te·s musulman·e·s, visé·e·s par un individu conduisant une camionnette. Celui-ci a foncé dans la foule en criant : « Je veux tuer des musulman·e·s ».
 
Les médias français, quant à eux, pondent la description suivante :
 

Crédit photo : Huffington Post
 
Non, vous ne rêvez pas, là où les médias internationaux précisent “des musulman·e·s”, les médias français écrivent “des piétons” : l’attaque terroriste est présentée comme un simple accident. Une pensée pour les victimes d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui.
 
Le regard que la société française porte sur les musulman·e·s n’est pas anodin : il découle d’une vieille tradition raciste et coloniale de l’Etat français, qui petit à petit s’est étendue dans l’inconscient collectif, et a provoqué une réelle islamophobie.
 
Les médias doivent reconnaître leur part de responsabilité dans cet état de fait. TF1 ou BFM TV, les méthodes sont les mêmes : il y a d’un côté les supposé·e·s coupables auxquel·le·s toute présomption d’innocence est retirée et qui sont jugé·e·s en direct sur les plateaux télé. Leurs noms et prénoms sont jetés en pâture sans pudeur, avant même de savoir s’ils·elles sont réellement coupables, comme si l’on regrettait le temps des lynchages sur la place publique. Il est déjà arrivé que l’identité et les photos de personnes soient diffusées pendant des heures ou mis en une de journaux à la suite d’un attentat, avant que celles-ci se révèlent innocentes. On ne peut imaginer l’impact sur ces personnes et leur entourage. En quelques minutes seulement, la sentence tombera dans les journaux, livrée par des expert·e·s du djihadisme : attentat islamique.
 
De l’autre côté se trouvent les supposé·e·s innocent·e·s, celles et ceux dont les actions ne peuvent s’expliquer que par des “déséquilibres psychologiques” et que l’on déresponsabilise volontiers, parce que c’est bien connu : les Blanc·he·s ne sont jamais terroristes ! Ce titre est réservé aux racisé·e·s, aux Arabes, aux Noir·e·s et à celleux qui disent “Allahou Akbar” ! L’identité des terroristes blanc·he·s reste précieusement cachée, il ne faudrait pas importuner leurs familles. En quelques minutes seulement, l’affaire sera classée par les médias et la sentence tombera : faits divers.
 
Pourtant, la définition d’un acte terroriste ne mentionne ni racialisation, ni religion, réelles ou supposées : il s’agit d’un «ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système ». Les actes islamophobes tels que ceux ayant eu lieu pendant le Ramadan 2017 entrent bien dans cette définition, n’en déplaise aux journalistes français·es! Même lorsque certain·e·s responsables politiques définissent ces attentats comme terroristes, les journalistes les citent en utilisant des guillemets, comme si leur usage était une prise de position alors que c’est tout simplement un fait.
 
De plus, les médias saturent les chaînes pour couvrir les attentats perpétrés par les racisé·e·s et minimisent complètement les autres. Une étude récente montre qu’entre 2011 et 2015 aux Etats-Unis, seulement 12,4% des attentats étaient commis par des supposé·e·s musulman·e·s alors qu’ils recevaient 41,4% de la couverture médiatique dédiée au terrorisme. Cela s’est vérifié en France en juin dernier avec les attentats de Londres : la journaliste Juliette Gramaglia a fait une comparaison édifiante. Dans le JT de TF1 du 4 juin 2017, 14 minutes sont consacrées à l’attentat sur le London Bridge perpétré par des supposés musulmans. 15 jours plus tard, seulement 24 secondes sont consacrées à l’attentat islamophobe devant la mosquée de Finsbury Park. BFM TV n’a fait d’édition spéciale que pour un seul attentat. Inutile de préciser lequel.
 
En France, de nombreuses personnalités prennent position pour dénoncer le traitement raciste des attentats par les médias : l’humoriste Yassine Belattar, des associations, ainsi que beaucoup de militant·e·s antiracistes, comme João, notamment après la tentative d’attentat à Créteil devant la mosquée, peu après les attentats de Londres.
 

Crédit photo : Le blog de João

 

Crédit photo : @s_assbague

 

Cette différence de traitement a un impact réel et quotidien sur les personnes racisées et/ou membres de la communauté musulmane, qui se retrouvent associées au terrorisme par l’opinion publique. La lecture racialisée des crimes commis par les supposé·e·s musulman·e·s est en grande partie la réponse à la question.
 
L’une des conséquences avérées et visibles qui découle de ce traitement différencié est la criminalisation de la religion musulmane. Cela passe notamment par une méconnaissance et une incompréhension du langage. Vous n’êtes pas convaincu·e·s ? Nous vous invitons à crier dans la rue « Allahou Akbar », qui veut littéralement dire « Dieu est plus grand » et qui imprègne le quotidien des musulman·e·s (au cours des prières, mais aussi pour exprimer l’émerveillement, par exemple). Oui, il est très probable que vous finissiez au poste de police pour allégeance au terrorisme.
 
Cette criminalisation va bien au-delà du langage, puisqu’elle s’installe dans la vie quotidienne : on peut observer par exemple des jouets représentant un criminel armé et en possession d’un… Coran. Vous ne rêvez pas, en 2017, de telles choses existent. Les enfants sont bien souvent très vulnérables face à ces conséquences, ainsi ils·elles essuient directement les dérives d’adultes trop facilement manipulé·e·s par les préjugés véhiculés à l’écran ou dans les journaux. L’histoire du petit Nahil, 11 ans, en est un exemple est frappant : il a été assimilé à un apprenti terroriste par son enseignante, qui a depuis présenté ses excuses. Personne n’est à l’abri des préjugés, même à l’école.
 
Si les enfants sont les plus vulnérables face à ces dérives, les personnes les plus touchées par les conséquences de cette criminalisation de l’islam restent les femmes. Les femmes musulmanes en France font face à une triple discrimination : le racisme lié aux origines réelles ou supposées, le sexisme lié à leur genre, et l’islamophobie liée à leur appartenance religieuse réelle ou supposée. Les répercussions n’en sont que plus violentes. Pourtant, un argument indécent revient souvent : « T’abuses, tu vois du racisme partout ». Non nous n’abusons pas, c’est une réalité qui doit être dénoncée !
 
Nous vous invitons à regarder cette vidéo pour comprendre l’oppression que vivent les femmes musulmanes. Après les attentats contre Charlie Hebdo, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a observé une augmentation de 70% des actes perpétrés à l’encontre des musulman·e·s. Pas moins de cinquante-quatre actes islamophobes sont recensés en France entre le 7 et le 12 janvier. La majorité des victimes sont des femmes.
 
Le racisme est bel est bien présent et ses conséquences sont dévastatrices, autant sur le plan physique que psychologique. Ici ou ailleurs, l’islamophobie devient une source réelle d’insécurité pour les femmes musulmanes. Nabra Hussein en est le symbole. Triste sort d’une jeune femme de 17 ans sauvagement assassinée, outre Atlantique, parce que musulmane. Combien sont-elles aujourd’hui à penser qu’elles pourraient être les prochaines, ici en France?
 
Et pourtant, la meilleure réponse que nous puissions leur donner est celle-ci : n’ayez crainte, ne laissez jamais personne vous faire croire que vous n’êtes pas en sécurité chez vous. Eteignons nos postes de télévision, vivons avec notre époque et menons ensemble ce combat en faveur d’une société inclusive, pour qu’un jour nous soyons plus fortes et plus unies : c’est là le plus bel hommage que nous puissions rendre à Nabra et à toutes les victimes de la haine.

Crédit photo : search/muslim

 

Article écrit par Juliette, Marie et Hajer

 

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