[Publié initialement le 24 juin 2017]
Salwa est diabétique de type 1. Elle est donc insulino-dépendante et il lui est interdit de jeûner, afin de ne pas mettre sa vie en péril. Elle nous explique en quoi le mois de Ramadan est difficile pour elle en tant que croyante.
« Je me sens vraiment exclue pendant le Ramadan. J’ai déjà essayé de jeûner, mais c’est trop difficile. J’ai beaucoup trop soif, si je ne bois pas toutes les quinze minutes, j’ai l’impression que je vais mourir – j’ai beaucoup trop de sucre dans le sang pour pouvoir me passer d’eau. Je bois environ six bouteilles de 1.5 litre par jour.
Je culpabilise beaucoup durant ce mois, parce que je me sens inutile. J’ai l’impression d’être une fausse musulmane, même si je sais très bien que je n’ai pas choisi d’être malade. Dans la rue, je vois souvent des gens ayant l’air épuisés et je me dis « les pauvres, ils doivent faire le Ramadan ». Quand je vois des personnes très âgées jeûner, je m’en veux, comme cet homme de plus de quatre-vingt-dix ans chez lequel je vais pour m’occuper de son épouse malade… Pareil pour ma mère, ayant des problèmes cardio-vasculaires mais jeûnant quand même. Quand je la vois souffrir et s’abstenir de boire et de manger, je me dis que j’aimerais tellement faire preuve d’autant de force, même si toute ma famille m’affirme que je n’ai absolument pas à jeûner en raison de ma maladie. Ma mère est la première à me gronder lorsque je me confie sur la culpabilité, mais elle reste aussi la première à ne pas respecter ce qu’elle prône, à savoir la préservation de sa santé en s’interdisant de jeûner en raison de sa maladie.
Le regard des autres
Ce mois est difficile, parce que, personnellement, je me sens mal, mais aussi en raison de certaines remarques. Le diabète est une maladie très méconnue. On m’affirme souvent qu’il faut simplement que j’arrête de manger du sucre pour guérir, sauf que c’est beaucoup plus compliqué que ça. On présuppose que les diabétiques le sont à cause de leur mode d’alimentation, donc un diabétique qui ne jeûne pas, c’est parfois aux yeux des autres une personne qui se trouve des excuses pour ne pas pratiquer le quatrième pilier de l’islam. Il « suffit » d’équilibrer son diabète, comme si c’était dépourvu de toute difficulté. On arrête de manger du chocolat et de boire du coca et hop, nous voici guéri·e·s ! Sauf que j’ai plus de cinq grammes de sucre dans le sang, ça atteint souvent les huit grammes – aussi incroyable que cela puisse paraître, quand on sait que les non-diabétiques ont environ 1 gramme de sucre dans leur liquide sanguin.
En 2005, on m’a diagnostiqué le diabète. Un proche m’avait conseillé de tenter de jeûner, malgré le fait que le médecin l’ait catégoriquement refusé. Cela part d’une intention bienveillante, on me conseille sur la façon de pratiquer la religion et de me montrer dévouée à Dieu, mais ça alimente surtout la culpabilité. J’ai mis du temps à assumer le fait de ne pas jeûner, moi qui pratiquais le Ramadan depuis mes dix ans. Désormais, cette personne comprend que je suis incapable de ne pas manger et de ne pas boire durant ce mois sacré, mais ça fait quand même mal de voir que les conséquences de cette maladie sont difficilement saisies.
Les remarques ne sont pas douloureuses uniquement lorsqu’elles viennent des musulman·e·s. Certain·e·s non-musulman·e·s ont déjà insisté pour connaître les raisons pour lesquelles je ne jeûnais pas, remarquant ma petite bouteille d’eau au travail. Je trouve cette indiscrétion particulièrement ennuyeuse. Sous prétexte que j’ai des origines arabes, je dois forcément me justifier, concernant ma pratique de la religion ? Je n’apprécie vraiment pas ces injonctions, manifestant la croyance selon laquelle l’Arabe est synonyme de musulman·e.
Comme ces personnes insistent, je leur explique parfois que je suis diabétique et que cette maladie m’empêche de pratiquer complètement le Ramadan. Cependant, ces dernières osent parfois m’affirmer que c’est tout de même faisable, étant donné que leurs ami·e·s diabétiques et musulman·e·s n’ont aucun problème à cesser de manger et de boire durant tout ce mois. Quelle condescendance…
C’est rigolo, parce que dans la vie quotidienne, on me pense rarement d’origine arabe, sauf durant le Ramadan ! Du coup, j’ai déjà été injuriée dans la rue, durant ce mois sacré, parce que j’étais en hypoglycémie et que je devais absolument boire quelque chose de sucré. Bien que je me faisais discrète, il s’agissait systématiquement d’hommes énervés qui m’insultaient de tous les noms. Cela me fait beaucoup de peine, parce qu’ils n’ont strictement rien compris à l’islam. Ils jugent tellement facilement.
En revanche, j’ai eu la chance d’avoir des collègues très pratiquant·e·s qui m’encourageaient à manger, avec beaucoup de bienveillance. Ils faisaient preuve d’empathie et cela redonne foi en l’humanité. Ils se montraient attentionnés et s’inquiétaient pour moi, surtout durant la chaleur, que j’ai beaucoup de mal à supporter.
La façon dont je vis le Ramadan
Durant ce mois sacré, j’essaie de prendre un bon petit déjeuner, afin de survivre à la faim de la journée, comme je n’ose pas forcément me nourrir. Je prends quand même une ou deux bananes avec moi, ce fruit étant l’équivalent d’un steak. Je bois de l’eau au travail, mais comme je refuse de boire dehors, ça reste difficile pour moi, ayant une heure de trajet. La soif est vraiment compliquée. Il arrive cependant que je ne mange rien de la journée, pas même le matin, parce que je n’ai pas très faim à huit heures, et je rentre donc affamée le soir, entre dix-neuf et vingt heures.
Je culpabilise moins de ne pas jeûner lorsque j’ai mes règles. Mais je me cache quand même pour manger, à la maison, parce que je ne veux pas que ma sœur me voie. Lorsque nous étions chez nos parents, je me sentais vraiment coupable, parce que ma mère et ma sœur, qui jeûnent, ne cessaient de me rappeler à quel point il était important que je mange, parfois tout près d’un proche devant lequel je n’apprécie pas de parler de ça. Je me sens exclue, le diabète établit forcément une certaine distinction entre les musulman·e·s en capacité de jeûner et nous, les malades.
Le Ramadan est à mon sens un vrai mois de partage. J’ai donc plaisir à cuisiner pour ma sœur, étudiante, vivant avec moi. J’apprécie l’idée de lui faire déguster mes bons petits plats, après une journée difficile sans nourriture et sans boisson. Son ftour (repas de rupture du jeûne) me permet de vivre le Ramadan par procuration. Je suis très triste qu’on ne puisse pas jeûner ensemble, mais c’est ainsi.
Il faut toujours être reconnaissant·e envers Allah, alors, al hamdoulillah (la louange est à Dieu), ma situation pourrait être pire. Mais j’avoue que la façon dont on considère le diabète dans notre société m’insupporte. Un frère musulman m’avait affirmé qu’il me trouvait incroyablement chanceuse de ne pas être obligée de jeûner et qu’il souhaiterait vraiment être diabétique, lui aussi, pour ne plus faire le Ramadan. Ce genre d’inepties prouve à quel point les individus ne se rendent pas compte de toutes les contraintes de ce cancer à vie. »
Crédit image à la une : Sanaa K
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