Elsa Ray : la plume au service de l’engagement

par | 27 mars 2017 | Portraits

C’est l’un des avantages d’écrire pour Lallab : je peux profiter d’écrire le portrait d’une femme musulmane que j’admire et qui m’inspire… pour la rencontrer. Elsa Ray, ancienne porte-parole du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), femme engagée et à la plume poétique, me reçoit chez elle. Son accueil naturel et chaleureux me met tout de suite à l’aise, et je découvre l’énergie positive et la philosophie de vie qui lui permettent d’être aussi active.

 

A première vue, le parcours d’Elsa Ray ne semblait sans doute pas une évidence. Elle grandit dans un petit village de Bourgogne, qu’elle quitte après un bac littéraire. Elle étudie les sciences politiques à Lyon et à Rennes, puis le journalisme à Montpellier. Mais malgré l’intérêt qu’elle porte à ses cours, notamment ceux qu’elle suit avec Edwy Plenel, elle sent que son chemin est ailleurs. A 22 ans, son diplôme en poche, elle part pendant un an comme jeune fille au pair aux Etats-Unis, dans le petit Etat du Connecticut. Inspirée par les cours qu’elle y suit et par l’esprit d’initiative qui y règne, elle décide de se consacrer à ses rêves dès son retour en France.

J’avais deux rêves : écrire un livre et m’engager dans l’associatif. (…) Si j’ai un rêve ou une ambition, je ne me mets pas de frein, pas de barrière : je me donne les moyens pour y arriver. 

De retour dans l’Hexagone, elle couche sur le papier son premier roman (non publié) ; l’idée ayant pris forme depuis un certain temps dans ses pensées, le processus prend moins de trois mois. Elle est ainsi libre de se consacrer à son deuxième projet, celui de s’engager dans le milieu associatif. Mais pas n’importe où : marquée par les émeutes de 2005 dans les banlieues, elle s’intéresse particulièrement aux quartiers populaires. Le contraste avec son propre milieu d’origine, à la fois rural et plutôt aisé, renforce la curiosité à laquelle son éducation l’a toujours encouragée.

 

Engagements associatifs et découverte de l’islam

 

Désormais installée en région parisienne, elle donne des cours d’anglais dans une agence, puis y devient chargée de recrutement. Ses activités professionnelles ne représentent toutefois qu’un à-côté, l’essentiel de son temps étant consacré à ses activités associatives. Elle s’engage notamment au sein du collectif Stop le contrôle au faciès, et est pendant plusieurs années la secrétaire du collectif Cité en mouvement, qui vise à mettre en réseau les initiatives dans les quartiers populaires.

Face à l’étendue des difficultés, on peut parfois se dire que ce qu’on ferait ne servirait à rien ; mais je pense qu’il est essentiel d’agir et de se rendre utile à son niveau. 

Ses engagements changent complètement son environnement : pour la première fois de sa vie, elle est entourée majoritairement de musulman.e.s. Elle se sent « comme chez elle » dans son nouveau milieu, y noue de solides amitiés, et est marquée par la gentillesse et la solidarité qu’elle observe. Fascinée par l’islam depuis toute petite, son intérêt est croissant. « Mais je ne voulais surtout pas apprendre l’islam par les gens ! »

Sa première lecture du Coran ne la transcende pas, mais elle continue à chercher la connaissance par elle-même, dans les livres. Convaincue par ce qu’elle lit, elle fait alors les choses méthodiquement, changeant son comportement petit à petit, avant même de se convertir. Ainsi, lorsqu’elle franchit le pas, au début de l’année 2013, elle se sent cohérente vis-à-vis de sa foi – elle a même déjà commencé à prier.

 

Sur le devant de la scène avec le CCIF

 

Peu de temps s’écoule avant qu’elle n’allie ses convictions et son engagement associatif : en mars de la même année, elle rejoint le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), en tant que chargée de communication et chargée de projet. Pendant deux ans, elle développe IMAN (Islamophobia Monitoring and Action Network), le premier projet paneuropéen de lutte contre l’islamophobie.

 

Crédit Photo : SaphirNews

 

Subventionné par l’Union Européenne et porté par le CCIF et le réseau d’associations de jeunesse musulmanes FEMYSO, il réunit une quinzaine d’associations musulmanes ou de lutte contre le racisme et les discriminations, venant de huit pays européens différents. Elsa Ray compare l’étendue de ce projet à « une maison à construire sur un terrain vague » : il s’agit de collecter des données sur l’islamophobie pour combler le manque en la matière en Europe, de créer une plateforme intranet, et de développer des supports de formation sur cette thématique.

 

C’est lors d’une formation IMAN à Londres qu’elle prend la décision de porter le foulard. Elle, qui avait auparavant l’impression que ce n’était pas quelque chose pour elle, le garde en sortant d’une mosquée, pour ne plus jamais le retirer. Elle se souvient de la date exacte : le 12 mars 2014.

L’annonce à la famille est difficile, mais elle vit une période d’exaltation spirituelle intense, heureuse d’avoir pris « la plus belle décision de [s]a vie » et d’avoir fait ce choix uniquement par amour pour Dieu. Bien que les plus simples moments du quotidien puissent maintenant être synonymes de difficultés, les regards, les remarques et les insultes glissent sur elle. Face à ces réactions hostiles, elle prône la douceur, mais aussi la fermeté : « Ne jamais, jamais céder sur ses droits ».

 

Cette position est sans doute influencée par les témoignages de victimes d’islamophobie qui sont accompagnées par le CCIF. Elsa Ray reste malgré tout optimiste : elle voit dans ces épreuves des opportunités de se réinventer et de se réapproprier son identité, comme en témoignent les initiatives de plus en plus nombreuses de femmes musulmanes qui tirent parti des difficultés pour se prendre en main. Elle se réfère notamment au verset 286 de la deuxième sourate du Coran, qui dit que « Dieu n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité » :

Si on subit ces épreuves, c’est qu’on est en capacité de les surmonter et d’en faire quelque chose de constructif. 

Mais la période après les attentats de janvier 2015 est particulièrement difficile. En parallèle du projet IMAN, elle est devenue porte-parole du CCIF, et elle est assaillie par des médias du monde entier pour commenter l’évolution de la situation en France. Au mois de juillet, la fatigue la pousse à prendre une pause, afin de se reposer et de prendre du recul.

 

Chroniques de Palestine : vers ses propres projets

 

Elle décide de prendre une année « sabbatique », dit-elle tout en précisant pourquoi elle utilise des guillemets : « Tout est relatif… ! ». En effet, elle continue à être très investie au niveau associatif, notamment en tant que bénévole chez We are solidarité, qui œuvre à la fois dans la bande de Gaza et en faveur des réfugiés en Île-de-France. C’est avec des membres de cette association qu’elle entreprend en 2016 un voyage en Palestine, qui sera un véritable déclic.

Tu ne peux pas aller en Palestine et revenir en étant la même personne que tu étais avant. 

Crédit Photo : Marion Pons

 

Suivant son intuition, elle veut absolument y retourner et ne cesse de se demander comment elle pourrait soutenir la cause palestinienne. Les paroles d’un homme rencontré sur place l’aiguillent : « Il faut que vous veniez et que vous rapportiez notre vérité ».

Elle sera donc une ambassadrice des voix des Palestinien.ne.s, en mettant à profit ce qu’elle sait faire : écrire. Lors de son premier voyage, elle avait déjà partagé des chroniques quotidiennes avec les milliers de personnes qui suivent sa page Facebook. Celle-ci est d’ailleurs devenue un espace de dialogue avec ses détracteurs.trices, du fait de son choix de répondre avec sincérité aux messages d’insultes qu’elle reçoit – conformément à un verset qu’elle cite :

Repousse le mal par ce qui est meilleur, et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux !  – (Coran / sourate 41, verset 34)

Toutefois, inquiète de voir son ego flatté ou de ne plus agir avec la pureté de ses intentions initiales, elle hésite à fermer sa page Facebook. Pour elle, il est en effet important de se réformer au niveau individuel pour être une force pour les autres. Elle cite un autre verset : « En vérité, Dieu ne modifie point l’état d’un peuple tant que les hommes qui le composent n’auront pas modifié ce qui est en eux-mêmes. » (Coran – sourate 13, verset 11). Ou, comme elle le dit de manière plus directe :

Ne t’attends pas à changer le monde si tu ne te réformes pas toi-même ! 

Après avoir refait le point sur ses intentions et s’être assurée de l’impact positif de ses publications, elle décide finalement de continuer à écrire ses chroniques lors d’un deuxième voyage, et surtout d’en tirer un livre. Son séjour dure cette fois trois mois, et elle en revient lorsque je la rencontre en janvier 2017.

 

Son objectif est de transmettre les voix des Palestinien.ne.s qu’elle a rencontré.e.s, de rapporter la vérité de ce qu’ils.elles vivent, et d’encourager chacun.e à s’y rendre. Elle souhaite également encourager la communauté musulmane française à s’engager, et l’y aider en montrant comment chacun.e peut être actif.ve.

 

Aujourd’hui, Elsa Ray veut créer ses propres projets, pour la Palestine et dans d’autres domaines, mais toujours avec le même état d’esprit : faire des choses qui ont du sens, et rechercher la satisfaction divine à travers des valeurs d’utilité, d’éthique et de justice.

 

A venir : exposition éphémère et soirée événement « Un autre jour viendra », avec les textes d’Elsa Ray et les photographies de Marion Pons. Vendredi 21 avril à 19h, à la galerie Echomusée – Goutte d’Or.

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