Oh, mais tu exagères. Concernant le harcèlement de rue, j’ai déjà vu des femmes faire du rentre-dedans à des hommes dans la rue ! Peut-être pas toi, mais je t’assure qu’il existe des femmes qui aguichent les hommes en public !
Si cette phrase peut vous surprendre, soyez sûr.e.s qu’il s’agit d’un argument qui revient très souvent dans la rhétorique des détracteurs du féminisme. Il s’agit en l’occurrence de présenter deux situations complètement différentes – celle des hommes et celle des femmes – comme analogues. Une petite mise au point s’impose pour déconstruire cet argument à tout le moins inadapté.
Cette idée peut concerner le harcèlement de rue, les violences conjugales ou même le viol. A qui n’a-t-on jamais rétorqué :
« Bon, il faut arrêter. Il y a aussi des femmes qui violent des hommes. On en parle ? » Ou encore : « Il y a des femmes qui transforment les hommes en objets sexuels. Le site Adopteunmec.com en est la preuve ! »
Bien sûr, les violences de femmes envers des hommes existent. Il ne s’agit pas de les oublier. Il ne s’agit pas de faire taire ceux qui les dénoncent. Au contraire, il faut s’attaquer à la question polémique du genre qui empêche les violences commises par des femmes sur des hommes d’être mises en lumière et combattues. « Une femme qui frappe un homme, c’est honteux ».
Les violences commises au sein d’un couple hétérosexuel sont celles dont l’on rend compte le plus souvent. Et il faut noter que la grande majorité des violences sont commises par des hommes. En 2014, 118 femmes et 25 hommes ont été tué.e.s par leur conjoint ou ex-conjoint. En 2014, 15 982 hommes et 561 femmes ont été condamné.e.s pour des crimes ou des délits sur leur conjoint ou ex-conjoint, selon les chiffres du gouvernement.
Mais au juste, en quoi l’argument selon lequel les hommes subiraient un sexisme symétrique à celui que subissent les femmes, est infondé ?
1) Non, les hommes ne sont pas agressés parce qu’ils sont des hommes
Selon certains, il existerait un « Female Gaze » (regard féminin), version féminine du Male Gaze (regard masculin), soit le fait, pour les femmes, d’être soumises en permanence au regard hétéro- masculin et jugées selon leur apparence. Cette objectivation sexuelle survient quand la femme est considérée, évaluée, réduite, et/ou traitée comme un simple corps par autrui.
Mais est-ce nécessaire de rappeler qu’il faut prendre en compte le genre pour analyser correctement les violences faites aux femmes ?
Le genre est un système de distinction de la société en deux catégories : les hommes et les femmes. Il faut bien évidemment ne pas éluder le caractère hiérarchisé de la distinction hommes-femmes, mis en exergue par Joan Scott.
Selon elle, le genre n’est pas qu’une construction sociale de la distinction des sexes, mais également « une façon première de signifier les rapports de pouvoir ». Autrement dit, le genre est une manière d’autoriser la hiérarchie homme-femme dans le cadre de laquelle l’homme exerce bien une domination sur la femme.
Pour Christine Delphy, les hommes et les femmes ne sont pas en tant que tels définis comme des groupes pré-constitués, mais sont institués par leur rapport d’opposition. À partir de réalités anatomiques, en elles-mêmes insignifiantes ou ambiguës, le sexe est le marqueur de la division sociale qui fait exister les hommes et les femmes comme groupes sociaux distincts et hiérarchisés.
Les oppressions et violences doivent être vues à travers le prisme du contexte social dans lequel elles sont perpétrées. Le susurrement de paroles salaces à l’oreille d’une femme dans le métro, par exemple, s’inscrit dans une longue et douloureuse expérience que connaissent les femmes.
Même s’il existe des femmes qui sifflent les hommes dans la rue pour attirer leur attention, le Male Gaze inversé, qui transformerait l’homme en objet sexuel, n’existe pas en tant que tel. Ces pratiques féminines particulières ne s’inscrivent pas dans un système de domination de grande ampleur. Ne comparons pas l’incomparable !
Cependant, il convient d’apporter quelques précisions sur le harcèlement de rue. Le harcèlement de rue peut trouver différentes « motivations ».
Les agressions peuvent être homophobes, trans-phobes, islamophobes, etc… Ces agressions sont liées à une certaine identité de genre affichée, et les hommes peuvent aussi subir ces violences parce qu’ils ne correspondent pas aux normes hétérosexistes (agressions homophobes, transphobes, etc). Ces agressions que subissent les hommes sont inhérentes à la domination basée sur les inégalités de genre.
La différence, et pas des moindres, est que les femmes sont surtout agressées parce qu’elles sont des femmes. Autrement dit : le sexisme, ce n’est pas seulement un « t’es bonne toi », c’est un système entier qui encourage insidieusement beaucoup d’hommes à exclure les femmes des espaces publics, à commenter ou à toucher leurs corps, parce que c’est bien connu, « elles adorent ça ! »
Peut-on réellement parler d’oppression systémique lorsqu’il s’agit de violences commises envers les hommes ?
Denis Colombi, docteur en sociologie, professeur de sciences économiques et sociales etagrégé de sciences sociales, remet en cause cette idée : les violences subies par les hommes surviennent la plupart du temps lorsque ceux-ci ne se conforment pas à leur rôle de dominant.
Se conformer au rôle de dominant est le coût de l’accession à un cercle et à des avantages sociaux. Le prix à payer pour obtenir l’admiration de ses pairs, de la crédibilité, de la légitimité, du pouvoir, etc…
L’oppression, au contraire, c’est lorsque même en respectant les règles du jeu, tu ne peux pas gagner ! Il s’agit du même raisonnement que l’on peut appliquer pour déconstruire l’idée qu’il existerait un « racisme anti-blanc » comparable à celui que subissent les personnes racisées. Parler d’un racisme anti-blanc, c’est confondre relations sociales interpersonnelles et rapports sociaux.
L’insulte « sale.s Blanc.he.s » n’est pas corrélée à tout un système qui par ailleurs freine les Blanc.he.s dans l’accès au logement, sur le marché du travail, à l’école, … Il ne peut y avoir de similarités entre les situations de ceux qui subissent les discriminations, et ceux qui se retrouvent privilégiés par un rapport social.
Croire au racisme anti-blanc, c’est considérer comme équivalentes des barrières sociales concrètes telles que des discriminations à l’embauche ou au logement, et des insultes qui peuvent toucher des personnes, sans être le reflet de pratiques structurelles réelles.
2) Non, la publicité ne représente pas une violence perpétuelle envers les hommes
Comment dire… Nous en avons assez d’entendre que la publicité représente aussi bien des hommes que des femmes dénudé.e.s. Au risque d’en rajouter une couche, laissez-moi vous dire que non, cette représentation n’a pas la même ampleur que la représentation d’une femme dans le même cas. On ne voit pas des hommes dénudés sur TOUS les panneaux publicitaires en permanence.
Crédit photo : eram
Pour aller plus loin, l’objectivation du corps féminin ne peut être comprise dans son intégralité qu’en prenant en compte les conséquences dramatiques qu’elle engendre. Dans l’ouvrage « Self-objectification in Women: Causes, Consequences, and Counteractions », les auteur.e.s Thompson, Calogero et Tantleff-Dunn proposent une définition qui englobe aussi la conséquence principale du Male Gaze.
La société moderne industrialisée objectifie le corps féminin de manière chronique et généralisée et beaucoup de femmes en sont venues à se voir elles-mêmes à travers le regard d’un observateur extérieur, surveillant habituellement leur propre apparence que ce soit dans un cadre public ou privé.
Quelles séquelles suite à cette objectivation permanente ? La honte de son corps, la dépression, les troubles du comportement alimentaire… Rien que ça !
À celles et ceux qui vous exposeraient l’exemple des jeux vidéos dans lesquels les hommes sont représentés de manière irréaliste (pectoraux et autres muscles mystérieux en veux-tu, en voilà), nous pouvons leur répondre en prenant à nouveau l’argumentaire de Denis Colombi.
Selon lui, les corps irréalistes des hommes dans les jeux vidéos ne sont là que pour satisfaire l’ego des hommes eux-mêmes, et non pas pour émoustiller les femmes qui vont s’adonner à ce loisir. Donc pour l’objectivation sexiste, on repassera, hein.
3) Non, accepter la dichotomie hommes-femmes n’est pas une tare
Ne soyez pas féministes, mais humanistes ! Il n’y pas d’hommes ni de femmes, il n’y a que des individus.
Combien sont-ils à se sentir pousser des ailes lorsque cette magnifique phrase toute faite sort de leur bouche ? La personne, gonflée d’orgueil au point de ne plus parvenir à passer les portes, se sent soudain appartenir aux citoyen.ne.s du monde, aux héro.ïne.s du quotidien. La distinction hommes/femmes ne servirait qu’à « communautariser » les esprits dans une peur mutuelle. Pourtant, la mauvaise foi est frappante. Nous vivons dans un monde qui classe les humains, et le faisait bien avant l’apparition du féminisme. Que nous le voulions ou non.
Par ailleurs, il existe bel et bien des discriminations qui touchent spécifiquement les femmes – mais aussi les personnes transexuelles, transgenres, etc… – et ces violences sont à distinguer des autres, car elles sont liées, comme évoqué au début de l’article, à une identité de genre affichée.
Dans une logique d’équité, les mesures mises en place pour lutter contre ces discriminations et agressions ne peuvent être les mêmes que celles qui visent à combattre les violences commises à l’encontre des hommes. A nature et causes différentes, nous ne pouvons proposer des mesures de luttes similaires pour les hommes et pour les femmes.
Imaginons une seconde que nous supposions que « les riches et les pauvres rencontrent des difficultés symétriques et de même nature » et que nous proposions « les mêmes outils pour combattre ces inégalités de chaque côté… » Vous trouvez cela insensé ? Nous aussi.
Vous voilà désormais paré.e.s pour vous opposer à tous ces arguments redondants qui ne servent qu’à discréditer votre parole. Bonne chance !
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