Lorsque je partage mon vécu en tant que femme voilée, je suis souvent confrontée à des discours qui visent à délégitimer mes propos – en se concentrant sur la forme au détriment du fond, en me reprochant d’être parano, etc. Voici donc les 7 techniques que j’ai le plus rencontrées, et surtout ce dont j’aimerais que l’on se rappelle lorsqu’on tente de retirer leur valeur à notre parole et nos témoignages, en tant que membres de n’importe quelle minorité.
1. Tu es le.la mieux placé.e pour savoir ce que tu vis
Je te trouve parano, faut pas non plus voir le mal partout …
Alors bizarrement, tu remarqueras que ce sont très rarement des gens dans ta situation qui tiennent ce genre de discours. Non, ce sont des gens qui n’ont aucune idée de ce à quoi ressemble ta vie, et qui minimiseraient un peu moins ce que tu dénonces s’ils se retrouvaient dans ta peau ne serait-ce qu’une journée.
Il se peut aussi que la personne qui te tient ce genre de propos soit dans une situation similaire à la tienne, et en joue pour te « prouver » que tu exagères. Mais elle n’a pas TA vie. Vos expériences peuvent varier du tout au tout selon l’endroit où vous habitez, le contexte dans lequel vous travaillez, les gens que vous côtoyez, etc. C’est TA vie, c’est TOI qui sais, et la personne en face de toi devrait au minimum être capable de reconnaître ta légitimité à décrire ton vécu, ton histoire et ton ressenti.
2. C’est justement parce que tu es concerné.e que tu peux le mieux en parler
Tu es trop concerné.e par la situation, tu ne peux pas être objectif.ve.
Ou bien : T’es trop dans l’émotion.
Ah, le mythe de l’objectivité… Certain.e.s pensent que ne pas être dans une situation, c’est être neutre. Non, c’est juste être dans une autre situation. Je ne vois pas qui pourrait se targuer d’être objectif.ve – même si certain.e.s pensent qu’être un homme, blanc, hétérosexuel et aisé, c’est être « neutre ».
Et puis quelle est cette aberration de dire qu’une personne concernée ne serait pas légitime à s’exprimer sur un sujet, alors que c’est elle qui peut en témoigner en premier lieu ? Personnellement, j’accepterai cette méthode lorsqu’on m’invitera sur un plateau télé pour disserter sur ce que vivent les hommes blancs hétérosexuels aisés, sans aucun homme blanc hétérosexuel aisé présent. En d’autres termes : jamais. Pourtant, ça ne choque pas quand il s’agit d’autres catégories de la population.
3. Ta manière de t’exprimer n’enlève rien à la légitimité de ton propos et à l’écoute qui doit lui être accordée
Tu es trop agressif.ve, ça dessert ta cause.
Ou encore : Tu devrais apprendre à écrire sans fautes avant de parler.
La manière dont tu t’exprimes ne devrait pas empêcher ton interlocuteur.trice d’entendre ton propos. Tu as le droit de faire des erreurs, de bégayer, de faire des fautes d’orthographe ou de français, et ça ne doit pas être un moyen de te tourner en ridicule.
Crédit photo : Bluntcards
Tu pointes aussi un vrai problème et tu as le droit d’être triste, en colère ou déstabilisé.e en le faisant. Mais le sage montre la Lune et l’idiot regarde le doigt…
Sache que si tu cries au feu et que tout ce que la personne en face de toi trouve à dire, c’est que tu pourrais rester calme et crier moins fort, et qu’à cause de ça, elle n’a pas très envie d’aller chercher l’extincteur, ce n’est pas vraiment toi qui as un problème.
4. Tu as le droit de parler en ton nom propre, en ne représentant personne d’autre que toi
Franchement, tu me donnes une mauvaise image de ta communauté.
Ou en interne : T’as pas honte de faire ça alors que tu nous représentes ?!
Personne ne t’a investi.e d’une mission, et tu ne t’es pas non plus investi.e d’une mission juste parce que tu as pris la parole. Tu ne prétends pas représenter qui que ce soit à part toi-même, alors pourquoi voudrait-on te faire porter une responsabilité démesurée ?
Sans compter qu’il semblerait que nous soyons ambassadeurs.drices de certaines de nos identités seulement. Personne ne dira que tel.le criminel.le fait passer tou.te.s les hindou.e.s pour des barbares ; ou que tel ministre montre encore une fois que les hommes sont vraiment incapables de gérer une position de pouvoir.
5. Personne ne peut plaire à tout le monde, alors autant être toi-même et aller au bout de tes convictions
Tu devrais arrêter de faire ci, fais plutôt ça. A ta place, je serais plus X et moins Y.
A ce sujet, Aristote disait : « Un seul moyen d’éviter les critiques : ne dis rien, ne fais rien, ne sois rien ». Alors quitte à être critiqué.e, autant l’être pour quelque chose qui te permet de te sentir en accord avec toi-même et fidèle à tes convictions profondes.
De toute façon, qui que tu sois et quoi que tu penses, dises ou fasses, il y aura toujours un pourcentage incompressible de la population qui te sera viscéralement opposé. Même des personnes comme Martin Luther King, Gandhi ou Mère Teresa ont rencontré les plus vives oppositions et la haine. Et toi, tu espèrerais être épargné.e ?
Rappelle-toi aussi de cette citation lorsque tu seras critiqué.e par des gens cachés derrière leur écran. Certain.e.s voudraient te faire croire que tu ne devrais pas agir, sous prétexte que tu fais des erreurs, alors que la perfection n’est pas de ce monde. En attendant, c’est une bonne excuse que ces personnes utilisent pour pouvoir critiquer tout en restant au chaud dans leur canapé. Quand on agit, on n’a pas le temps de partir à la chasse aux défauts et aux erreurs des autres.
6. Tu as le droit de dénoncer les injustices que tu affrontes
C’est bon, arrête de te victimiser …
Est-ce toi qui te victimises, ou est-ce la situation qui fait de toi une victime ? Ce n’est pas à toi qu’on doit reprocher le fait que tu sois victime de rejet, de discrimination ou de violence. On ne peut pas non plus te reprocher de dénoncer ce que tu subis, et cela ne veut pas dire que tu te places dans une position victimaire, faible ou passive. C’est une idée malheureusement largement répandue que les personnes fortes sont celles qui ravalent leurs difficultés et continuent en faisant comme si de rien n’était. Alors qu’il faut plus de force et de courage pour faire entendre sa voix afin que les choses changent.
7. Il n’y a pas besoin de choisir entre plusieurs causes
Tu crois vraiment que c’est ça, la priorité ? Tu crois pas qu’il y a d’autres choses plus importantes ?
Eh bien oui, peut-être que TA priorité, c’est ça. Nous avons tou.te.s des causes qui nous touchent plus ou moins, et nous n’avons pas un nombre limité de luttes dans lesquelles nous pouvons nous engager. En réalité, beaucoup sont interconnectées. Comment peut-on espérer nourrir toute la planète si on ne préserve pas l’environnement et qu’on n’améliore pas les conditions de vie par l’éducation ? Comment peut-on espérer une société inclusive, qui nous accepte tel.le.s que nous sommes, tout en étant indifférent.e.s aux combats d’autres parties de la population, voire en les rejetant nous-mêmes ?
N’écoute pas non plus celles et ceux qui voudraient te faire croire que certaines de tes convictions et de tes causes sont incompatibles. Par exemple, mon petit doigt me dit que tu peux tout-à-fait être musulman.e et féministe à la fois. 😉
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