« Permettre aux gens d’être qui ils sont, être respecté·e·s pour nos différences dans la société, mais surtout permettre à chacun de pouvoir révéler son potentiel. » Voici le combat de Samia Hathroubi.
Une histoire mais aussi une vocation
Si Samia devait choisir des mots pour décrire l’humanité, ce serait : « inclusion », « respect de la différence », « contribution à une meilleure condition sociale ».
Née dans une famille tunisienne de milieu modeste, cette femme concentre en elle la richesse d’une histoire porteuse d’espoir : un grand-père combattant durant la Seconde Guerre mondiale, un père qui a contribué à la décolonisation de l’Algérie lors la bataille Sakiet sidi Youssef, une grand-mère qui a entrepris des travaux dans la médina de Tunis aux côtés de familles juives alors très nombreuses dans la Tunisie sous protectorat français… Dans cette famille, Samia prend rapidement conscience de cette diversité qui l’entoure, grâce à leurs nombreux débats. C’est cet enjeu de la diversité qui marque son identité :
Dans un système tout blanc, j’étais un peu la touche exotique
Professeure d’Histoire au lycée dans le 93, elle exerce cette profession à plein temps pendant cinq ans. Néanmoins, ce besoin d‘être présente dans la vie de la société civile occupe encore son quotidien de façon plus ou moins consciente. C’est pour cette raison que, depuis six ans, Samia s’est engagée dans une aventure aux quatre coins du monde, notamment en Europe et au Moyen-Orient, afin de lutter pour une société bien plus respectueuse des différences.
Engagée dans différentes structures pour promouvoir une société inclusive
À seulement vingt-trois ans, elle écrit un premier article dans Le Monde pour dénoncer cette société qui devrait être plus fraternelle. Elle se consacre aujourd’hui à une vie de militante. À travers trois structures associatives, elle se bat pour déconstruire tous les récits ou discours d’exclusion et discriminatoires, pour promouvoir une société plus inclusive qui prend en considération toutes les différences.
Elle s’engage ainsi au sein de The Foundation for Ethnic Understanding, un mouvement qui a vocation à renforcer les relations entre les différentes communautés. Cette fondation lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie. Elle promeut ainsi la compréhension et la coopération à travers des programmes de dialogue et des collaborations de solidarité.
Elle est également membre de Coexister, le mouvement interconvictionnel national de la jeunesse qui agit pour une société plus inclusive. C’est par le biais du dialogue, de la solidarité et de la sensibilisation qu’elle promeut la coexistence active au service du vivre-ensemble. De cette action entre l’interaction des identités de chacun et l’altérité, cette association favorise la compréhension de l’autre et de soi. La cohésion sociale est créée non plus « malgré » mais « grâce » aux différences.
Enfin, elle fait partie de la structure Rév’elles, qui a pour mission d’inspirer, de motiver et d’accompagner les jeunes femmes de milieux populaires dans leur épanouissement personnel et professionnel et de leur permettre de devenir actrices de la société dans laquelle elles évoluent.
Samia Hathroubi pendant un atelier de sensibilisation
Un parcours qui s’est fait à petits pas, tout a été très progressif. Il faut comprendre que tu sèmes une graine, quitte à ce qu’elle prenne trois, quatre ans à éclore, même si ce n’est pas toi qui la récoltes.
Samia a fait le choix de vouer sa vie à la cause militante : « Aujourd’hui mon cercle le plus proche ainsi que mes amis, me répètent encore que cette place que j’occupe aujourd’hui, c’est celle à laquelle j‘aspire depuis le début. C’est encourageant. »
Son parcours s’est ainsi construit sur des relations de confiance avec les personnes qui l’entourent. Au départ, au moment de se lancer dans l’aventure, Samia jongle encore entre l’enseignement et les associations. Notamment lors de la journée sans immigrés, pour laquelle elle s’engage déjà dans la déconstruction sur la vision et le rapport que l’on a de l’autre, particulièrement envers les enfants d’immigrés. Ou encore dans l’association Parler en Paix, qui permet d’étudier les langues telles que l’hébreu et l’arabe, afin de mieux connaître cette culture.
Finalement, Samia veut nous montrer que les principales difficultés que l’on peut rencontrer peuvent se surmonter avec le temps et la confiance en l’autre. Pour elle, tout peut permettre d’aller de l’avant : les rencontres, son engagement, le fait de continuer à s’indigner, à écrire, à le dire, mais surtout à proposer des idées concrètes ! « Mes principales difficultés rencontrées ont été au tout début en lien avec les rapports entre les juifs et les musulmans. Il y avait beaucoup de suspicion. Je crois que les gens doutent de ta sincérité. Souvent sur les questions sensibles : comme avec la laïcité ou les problématiques qui placent les autres communautés comme ennemies. Ainsi tu te retrouves assez surprise et tu dois comprendre tout de suite les enjeux. Pour moi il faut réellement avoir beaucoup de sincérité, mais aussi rester très lucide et rester humble. »
En fin de compte, le temps est le principal obstacle, puisque créer un lien de confiance est indispensable avant de pouvoir monter des projets. « Parfois, ce qu’il y a de plus beau, c’est qu’au bout d’un moment, tu vois des illuminations : ceux qui ont une prise de conscience, ces moments te poussent à continuer, comme à l’association de Coexister où tu vois des gens qui assument leurs identités et s’expriment face au grand public. Toutes ces évolutions me font dire que je participe à quelque chose de juste. »
Être une femme musulmane militante
La religion accompagne Samia. Ce chemin, elle le décrit comme un perpétuel « work in progress », participant à des retraites spirituelles d’autres convictions, étudiant le Droit musulman, la Littérature et l’Histoire de l’Islam, ses débuts, la compréhension de l’arabe, le rapport entre l’homme et la femme. « C’est pour moi une quête initiatique, à la fois sur le plan intellectuel, historique. Les valeurs islamiques sont un appui spirituel. J’emprunte aussi toute une spiritualité à d’autres mouvements religieux, par exemple je vais beaucoup à Taizé, mais je mets ces temps spirituels à profit pour parfaire ma conviction musulmane. Oui, je me sens musulmane, c’est au cœur de qui je suis en tant qu’être humain et en tant qu’être pensant, intellectuel, être agissant. La vision holistique musulmane est très importante. »
Samia ne sait pas si elle doit se définir comme une femme musulmane, mais s’il faut s’affirmer comme telle pour lutter pour plus d’égalité et obtenir une société plus inclusive dans toutes ses sphères quotidiennes entre les hommes et les femmes, alors oui, elle l’est profondément, mais elle refuse de se définir uniquement sous ce prisme. « J’ai conscience que c’est un énorme débat que je suis de très près, simplement aujourd’hui je pense que nous sommes vues comme des femmes musulmanes, or je ne me définirais pas seulement en tant que telle. Je suis aussi issue de milieu modeste, mon ascension sociale, ma réussite doivent être également un exemple pour les filles musulmanes mais pas seulement. »
Trouver ce qui t’émeut et te motive à te mettre en mouvement : « Qu’est-ce qui m’empêche de dormir le soir ? Qu’est-ce que je veux changer profondément ? »
Si Samia a un conseil à donner, c’est bien de continuer inlassablement à apprendre et à produire. Réfléchir, trouver ce qui nous émeut et nous empêche de dormir, pour se lever et aller à la rencontre des solutions, parler et construire des projets.
Mais ce qui est primordial, c’est de garder en tête qu’il faut toujours « savoir que l’on ne sait rien » comme peut le citer Socrate. Notre statut d’être humain est fragile, notre science et notre connaissance sont extrêmement limitées, c’est pourquoi il faut savoir rester humble. Nous sommes sur la brèche du temps, ce qui donne beaucoup d’humilité pour agir, il faut savoir se mettre à la hauteur de ce que l’on est. « Dieu nous dit « faites et seulement faites, vous n’avez pas à comprendre », Il nous ramène à ce que nous sommes : des êtres fragiles. Nous pouvons beaucoup mais nous ne sommes pas grand-chose. L’air du temps manque cruellement de sagesse pour notre humanité, nos débats et la perception des choses. La sagesse mène à l’humilité. Nous devons continuer inlassablement à réfléchir tout en apprenant à cultiver un peu de sagesse et d’amour pour ce que nous sommes et pour ce qui nous entoure. »
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