On dit que dans la vie, on a toujours un modèle, connu ou inconnu, que l’on suit par mimétisme et qui nous guide dans nos choix et nos engagements. Le mien c’est mon père. Cet homme a été pour moi une grande source d’inspiration et m’a permis de pouvoir me sentir légitime à m’engager pour des causes qui me tiennent à cœur. Ma perception de l’engagement, c’est à travers lui que je l’ai vue, apprise, et comprise. C’est pourquoi je voudrais mettre en lumière son histoire, ainsi que celles de ces hommes et femmes qui sont aujourd’hui des personnes accomplies malgré leur parcours, et surtout encore et toujours engagé.e.s pour la même cause : leur patrie.
Bien que la question des réfugié.e.s soit vivement discutée en France aujourd’hui, ce qui en ressort majoritairement, c’est que ce pays n’a pas beaucoup de considération pour la condition de ces personnes qui ont quitté leur contrée natale. Pourtant, ces citoyens du monde, hommes, femmes et enfants, venant d’Asie, d’Afrique, ou d’Amérique, n’ont pas d’autre espoir que celui de pouvoir enfin avoir le droit de vivre, penser, aimer, ou tout simplement exister, dans un pays supposé plus accueillant.
Chaque récit d’exil mériterait, évidemment, d’être raconté. Mais aujourd’hui, c’est en tant que femme issue de l’immigration, et témoin pendant plus de vingt ans de la lutte exercée par mon père pour libérer sa patrie tout en vivant loin de son pays, que je choisis de vous parler de lui, car ses victoires m’inspirent et m’aident à la construction de mes propres engagements.
Le récit d’exil de mon père prend ses racines au Maghreb, et plus précisément en Tunisie, le 27 décembre 1983. Le Président Bourguiba décide ce jour-là de doubler le prix du pain dans tout le pays, déclenchant le jour-même une révolte du peuple sud tunisien, « l’Émeute du Pain”, occasionnant des confrontations entre la police et de jeunes manifestants dont mon père, alors âgé de 17 ans, faisait partie. Blessé par les forces de l’ordre, il sera admis à l’hôpital, puis transféré en prison.
Quelques jours plus tard, une grande manifestation ayant éclaté dans la capitale, le Président cède et revient sur ses propos. Le 3 janvier 1984, le pain reprend son coût initial. Cette première victoire obtenue par la jeunesse tunisienne m’a permis de prendre conscience que lutter, c’est résister, combattre sans abandonner, mais aussi s’organiser pour réussir, ensemble.
En 1987, Ben Ali arrive au pouvoir. Il organise, en 1989, des élections législatives dites “libres”, mais qu’il a en réalité truquées. Cette manipulation va créer, au sein du pays, des tensions politiques. Plusieurs opposants au Gouvernement ayant été arrêtés, certains dissidents, dont mon père, décident de quitter la Tunisie. Avec quinze de ses compatriotes, il rejoint dans un premier temps la Libye. Mais dès leur arrivée, constatant l’insécurité et l’instabilité du pays, ils décident d’entreprendre un nouveau périple d’une quinzaine de jours vers le Soudan, dans des conditions évidemment très dangereuses.
A la frontière, ils subissent un long interrogatoire portant sur les raisons qui les poussent à vouloir pénétrer le territoire soudanais, à l’issue duquel ils sont enfin autorisés à entrer dans le pays. Ils poursuivent jusqu’à Khartoum, la capitale, où ils décident d’un commun accord de s’installer. Cependant, rencontrant au fil des jours de trop grandes difficultés d’intégration dans ce pays dans lequel ils aspiraient à vivre libres et en paix, mon père et ses compagnons de route rebroussent finalement chemin vers la Libye.
En arrivant là-bas, mon père apprend que tous ses frères ont été emprisonnés. Il entreprend alors, malgré les risques que cela représente, de rejoindre la Tunisie pour être au côté de sa famille. Mais un avis de recherche à la frontière tunisiennes conduira à son arrestation, et il sera alors transféré de poste de police en poste de police. C’est au cours d’un de ces transferts qu’il parviendra à prendre la route et à échapper aux forces de l’ordre, le 25 août 1992.
Il trouve refuge chez des proches, mais commence tout de suite à organiser son départ pour l’Algérie. Accompagné d’une femme et de ses quatre enfants, tous fugitifs et donc recherchés comme lui, il quitte le pays avec l’aide d’un passeur algérien, respectant la consigne stricte de le suivre sans jamais lui adresser la parole. A cette époque, il était très compliqué de passer la frontière en raison de la fréquence des contrôles de police, mais ils y parvinrent au bout de deux jours, et purent rejoindre Annaba.
L’Algérie, troisième pays du périple mais pas le dernier, l’histoire continue…
Aussi inspirante soit-elle, cette histoire est aussi une leçon de vie. Elle m’a permis de prendre conscience de la force et du courage qu’il faut à tous ces hommes, ces femmes, et ces enfants, pour quitter leur pays dans des conditions indécentes, bravant le danger et même parfois la mort, pour tenter de construire une nouvelle vie, seul-e, sans famille ni ami-e-s ni repères, dans un pays dans lequel tout est différent, êtres, langue, et culture.Ce parcours a été pour moi un modèle. Un modèle de lutte et de combat. Un modèle de vie et de survie. Un modèle de réussite et de victoire. Un modèle de leçon et d’engagement. Je pense qu’aujourd’hui s’engager c’est donner de sa personne, de son temps, parfois de sa vie, pour une cause, pour une histoire, pour un combat important à nos yeux. C’est aussi faire entendre nos voix et nos vies, nos droits et nos libertés. Et comme le dit si bien Rosa Parks : “Si nous baissons les bras, nous sommes complaisants envers les mauvais traitements, ce qui les rend encore plus oppressifs.”, alors engageons-nous, et brisons les barrières de l’oppression.
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