A l’angle mort du féminisme classique
Sillonnant les rues de ma ville, je ne peux m’empêcher de remarquer un déséquilibre dans le paysage visuel. N’as-tu pas remarqué cette prépondérance – pour ne pas dire cette omniprésence – du corps féminin, de préférence nu, par rapport au corps masculin sur les panneaux publicitaires ? Comment expliquer ce fossé ?
Fossé d’autant plus incompréhensible à l’heure du féminisme – mimétisme occidental, alias « tout ce que l’homme fait, je veux le faire ». Pourquoi n’entendons-nous pas les féministes classiques monter au créneau, exigeant la parité, réclamant d’habiller ces panneaux géants de portraits d’hommes déshabillés ?
Comprenons-nous bien, l’objet de cet article n’est nullement de formuler une revendication perverse. L’objectif est plutôt de mettre en exergue un point oublié dans l’angle mort du féminisme contemporain occidental. En somme, souligner ses imperfections, ses contradictions.
En vérité, si le corps féminin dénudé est partout où l’œil se pose, c’est parce que les publicitaires ont bien compris une chose : il est ce qui suscite le plus le désir ; à la fois chez l’homme et chez la femme. Dans le cas de l’homme : il s’agit d’un désir d’ordre sexuel. Mais quid de la femme ?
Ces publicités débridées viennent en réalité stimuler un désir particulier chez la femme : celui de plaire. Mesdames, n’est-ce pas vrai que nous regardons ces femmes parfaites d’un œil envieux, nous exclamant : « comment fait-elle pour avoir un corps de sirène ? » « Qu’est-ce qu’elle met sur ses cheveux pour les avoir soyeux comme ça ? » « Quel épilateur utilise-t-elle pour n’avoir aucun poil incarné ? Je veux le même » …
Ne jouons pas les dupes, nous savons que le but des publicitaires, en stimulant ainsi nos désirs, est de provoquer l’acte d’achat. Le corps féminin, dans toute sa splendeur, a le mérite de faire d’une pierre deux coups, en éveillant les désirs à la fois des hommes et des femmes. D’où son omniprésence. Ainsi, voit-on une femme jouir de plaisir en mangeant un simple yaourt ; une femme nue pour une pub de gel douche (passe encore), mais une femme nue pour un aspirateur ? Si le lien n’est pas évident, qu’à cela ne tienne, les publicitaires n’hésitent pas à être créatifs.
Mise en concurrence généralisée du corps de la femme
Que le corps de la femme soit réifié, qu’il soit présenté comme un simple objet de jouissance, cela n’est pas une nouveauté. D’ailleurs, les féministes classiques occidentales l’ont suffisamment critiqué sans qu’il soit nécessaire d’y revenir dans cet article.
Ce que je souhaite discuter ici c’est le phallocentrisme qu’induit la situation. En effet, dans nos sociétés, les hommes ont constamment sous les yeux, un éventail de belles femmes à contempler. Mais en plus de cette jouissance oculaire, les publicitaires ont aussi été à l’origine d’une mise en concurrence généralisée du corps de la femme.
A force de regarder ces profils idéaux, les femmes se disent : « pourquoi pas moi ? ». En somme, elles sont poussées à relever le défi esthétique et sont contraintes de tendre vers toujours plus de coquetterie, toujours plus de beauté…
Je dénonce cette surenchère esthétique qui a pour fâcheuse conséquence de provoquer un réel mal-être chez bon nombre de femmes qui, pour des raisons financières ou personnelles, ne peuvent plus tenir la compétition.
Elles se sentent alors mal dans leur peau, se comparent à des chimères photoshopé.e.s, se dévalorisent et perdent en estime personnelle.
Voilà la conclusion à laquelle j’aboutis : reconnaissons la dimension factice et artefactuelle de ces beautés publiques ; et surtout, apprenons à aimer nos personnes, à voir le beau là où aucun projecteur ne s’attarde. Voilà un combat féministe digne de ce nom !
Crédit photos : R.S
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